The Picture of Dorian Gray - Le portrait de Dorian Gray (Oscar Wilde)

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"Ah! but what do you mean by good?" cried Basil Hallward.

- Ah ! qu'entendez-vous par être bon, s'écria Basil Hallward.

"But they are so unhappy in Whitechapel," continued Lady Agatha.

- Mais ils sont si malheureux à Whitechapel, continua Lady Agathe.

"But I like sentimental people."

- Mais j'aime les personnes sentimentales.

"Harry, you are dreadful! I don't know why I like you so much."

- Quel terrible homme vous êtes, Harry ! Je ne sais pourquoi je vous aime autant.

"My dear Basil! Surely you don't think it was a vulgar accident? Of course she killed herself."

- Mon cher Basil ! Vous ne pensiez sûrement pas que ce fut un vulgaire accident. Cer-tainement, elle s'est suicidée.

"No one has. People will some day, however. She is a genius."

- Ni personne. Mais on parlera d'elle un jour. Elle est géniale.

"It is perfectly true."

- C'est ce qu'il y a de plus vrai.

"I don't want you to meet him."

- Je ne désire pas que vous le connaissiez.

"Why?"

- Pourquoi ?

"Nothing is ever quite true," said Lord Henry.

- Rien n'est jamais tout à fait vrai, riposta lord Henry.

Those who read the symbol do so at their peril.

Ceux-là aussi qui tentent de pénétrer le symbole.

The lad started, as if awakened from some dream.

L'adolescent tressaillit comme éveillé de quelque rêve.

Oscar Wilde

Oscar Wilde

Preface

Préface

"At least you are like it in appearance. But it will never alter," sighed Hallward. "That is something."

- Au moins, vous l'êtes en apparence... Mais cela ne changera jamais, ajouta Hallward... C'est quelque chose.

"To whom?"

- Avec qui ?

"It is not."

- Ce n'est pas...

"How serious you both are!" she cried. "What is the matter?"

- Comme vous êtes sérieux tous les deux ! dit-elle. Qu'y a-t-il ?

"He is very good-looking," assented Lord Henry.

- Il est très beau, affirma lord Henry.

"The betting is on the Americans."

- Les paris sont pour les Américaines.

"My dear Harry, why?"

- Mon cher Harry, pourquoi donc ?

"Sibyl, you are mad about him."

- Sibyl, vous êtes folle !

"A prince!" she cried musically. "What more do you want?"

- Un prince ! cria-t-elle musicalement, que voulez-vous de plus ?

"You know quite well."

- Vous la savez...

Dorian Gray laughed and shook his head.

Dorian Gray se mit à rire en secouant la tête...

Dorian shook his head. "I am not cold," he murmured.

Dorian secoua la tête. - Je n'ai pas froid, murmura-t-il.

"Ah, Dorian, I am so glad you take it in that way! I was afraid I would find you plunged in remorse and tearing that nice curly hair of yours."

- Ah ! Dorian, je suis content que vous preniez ça de cette façon. J'avais peur de vous voir plongé dans le remords, et vous arrachant vos beaux cheveux bouclés...

"Ah! Harry, your views terrify me.

- Ah ! Harry, vos idées me terrifient.

"Ah! that is very nice, and very wrong of you," she cried; "so mind you come"; and she swept out of the room, followed by Lady Agatha and the other ladies. When Lord Henry had sat down again, Mr. Erskine moved round, and taking a chair close to him, placed his hand upon his arm.

- Ah ! c'est charmant, mais très mal de votre part, donc, pensez à venir ! et elle sortit majestueusement suivie de Lady Agathe et des autres dames. Quand lord Henry se fut rassis, Mr Erskine tourna autour de la table et prenant près de lui une chaise, lui mit la main sur le bras.

"Ah! this morning! You have lived since then."

- Ah ! ce matin !... Vous avez vécu depuis...

"Ah! I have talked quite enough for to-day," said Lord Henry, smiling. "All I want now is to look at life. You may come and look at it with me, if you care to."

- Ah ! j'ai bien assez parlé aujourd'hui, dit lord Henry en souriant. Tout ce que je désire maintenant, c'est d'observer. Vous pouvez venir avec moi, nous observerons, ensemble, si vous le désirez.

"Ah! but you don't like being kissed, Jim," she cried. "You are a dreadful old bear." And she ran across the room and hugged him.

- Ah ! mais vous n'aimez pas qu'on vous embrasse, Jim, s'écria-t-elle ; vous êtes un vilain vieil ours. Et elle se mit à courir dans la chambre et à le pincer.

"Ah! Mother, Mother, let me be happy!"

- Ah ! mère, mère ! laissez-moi être heureuse !

"Ah, then," said Lord Henry, rising to go, "then, my dear Dorian, you would have to fight for your victories. As it is, they are brought to you. No, you must keep your good looks. We live in an age that reads too much to be wise, and that thinks too much to be beautiful. We cannot spare you. And now you had better dress and drive down to the club. We are rather late, as it is."

- Alors, reprit lord Henry en se levant, alors, mon cher Dorian, vous aurez à combattre pour vos victoires ; actuellement, elles vous sont apportées. Il faut que vous gardiez votre beauté. Nous vivons dans un siècle qui lit trop pour être sage et qui pense trop pour être beau. Vous ne pouvons nous passer de vous... Maintenant, ce que vous avez de mieux à faire, c'est d'aller vous habiller et de descendre au club. Nous sommes plutôt en retard comme vous le voyez.

"Stop, Jim!" she exclaimed. "You must not say anything against him. I love him."

- Arrêtez, Jim ! s'écria-t-elle ; il ne faut rien dire contre lui. Je l'aime !

"Stop!" faltered Dorian Gray, "stop! you bewilder me. I don't know what to say. There is some answer to you, but I cannot find it. Don't speak. Let me think. Or, rather, let me try not to think."

- Arrêtez, dit Dorian Gray hésitant, arrêtez ! vous m'embarrassez. Je ne sais que vous répondre. J'ai une réponse à vous faire que je ne puis trouver. Ne parlez pas ! Laissez-moi penser ! Par grâce ! Laissez-moi essayer de penser !

"Stop, Basil! I won't hear it!" cried Dorian, leaping to his feet. "You must not tell me about things. What is done is done. What is past is past."

- Arrêtez-vous, Basil, je ne veux pas les entendre ! s'écria Dorian en se levant. Ne me parlez pas de ces choses. Ce qui est fait est fait. Le passé est le passé.

"Good-bye, my son," she answered with a bow of strained stateliness.

- Au revoir, mon fils, dit-elle avec un salut théâtral.

"To some little actress or other."

- Avec une petite actrice ou quelque chose de pareil.

"Yes, we are overcharged for everything nowadays. I should fancy that the real tragedy of the poor is that they can afford nothing but self-denial. Beautiful sins, like beautiful things, are the privilege of the rich."

- Bah ! Nous sommes imposés pour tout, aujourd'hui... Je m'imagine que le côté vraiment tragique de la vie des pauvres est qu'ils ne peuvent offrir autre chose que le renon-cement d'eux-mêmes... Les beaux péchés, comme toutes les choses belles, sont le privilège des riches.

"Humph! tell your Aunt Agatha, Harry, not to bother me any more with her charity appeals. I am sick of them. Why, the good woman thinks that I have nothing to do but to write cheques for her silly fads."

- Bah ! dites donc à votre tante Agathe, Harry, de ne plus m'assommer avec ses œuvres de charité. J'en suis excédé. La bonne femme croit-elle donc que je n'aie rien de mieux à faire que de signer des chèques en faveur de ses vilains drôles.

"You know you believe it all," said Lord Henry, looking at him with his dreamy languorous eyes. "I will go out to the garden with you. It is horribly hot in the studio. Basil, let us have something iced to drink, something with strawberries in it."

- Bah !... Vous savez bien que vous croyez tout ce que je vous ai dit, riposta Lord Henry, le regardant avec ses yeux langoureux et rêveurs. Je vous accompagnerai au jardin. Il fait une chaleur impossible dans cet atelier... Basil, faites-nous donc servir quelque chose de glacé, une boisson quelconque aux fraises.

"Basil," said the lad, going over to him and putting his hand on his shoulder, "you have come too late. Yesterday, when I heard that Sibyl Vane had killed herself--"

- Basil, fit l'adolescent, allant à lui et lui mettant la main sur l'épaule, vous êtes venu trop tard. Hier lorsque j'appris que Sibyl Vane s'était suicidée...

"Basil, I am tired of standing," cried Dorian Gray suddenly. "I must go out and sit in the garden. The air is stifling here."

- Basil, je suis fatigué de poser, cria tout à coup Dorian Gray. J'ai besoin de sortir et d'aller dans le jardin. L'air ici est suffocant...

"Don't, Basil, don't!" he cried. "It would be murder!"

- Basil, je vous en prie !... Ce serait un meurtre !

"Then he asked me if I wrote for any of the newspapers. I told him I never even read them. He seemed terribly disappointed at that, and confided to me that all the dramatic critics were in a conspiracy against him, and that they were every one of them to be bought."

- Alors il me demanda si j'écrivais dans quelque feuille. Je lui répondis que je n'en li-sais jamais aucune. Il en parut terriblement désappointé, puis il me confia que tous les critiques dramatiques étaient ligués contre lui et qu'ils étaient tous à vendre.

"Then why won't you exhibit his portrait?" asked Lord Henry.

- Alors, pourquoi ne voulez-vous point exposer son portrait, demanda de nouveau lord Henry.

"I am in Lady Agatha's black books at present," answered Dorian with a funny look of penitence. "I promised to go to a club in Whitechapel with her last Tuesday, and I really forgot all about it. We were to have played a duet together--three duets, I believe. I don't know what she will say to me. I am far too frightened to call."

- Hélas ! Je suis à présent dans ses mauvais papiers, répliqua Dorian avec une moue drôle de repentir. Mardi dernier, je lui avais promis de l'accompagner à un club de Whitecha-pel et j'ai parfaitement oublié ma promesse. Nous devions jouer ensemble un duo... ; un duo, trois duos, plutôt !... Je ne sais pas ce qu'elle va me dire ; je suis épouvanté à la seule pensée d'aller la voir.

"He is a very lucky fellow."

- Il est bien heureux...

"He is gone," murmured Sibyl sadly. "I wish you had seen him."

- Il est parti, murmura tristement Sibyl, j'aurais voulu vous le montrer.

"I can sympathize with everything except suffering," said Lord Henry, shrugging his shoulders. "I cannot sympathize with that. It is too ugly, too horrible, too distressing. There is something terribly morbid in the modern sympathy with pain. One should sympathize with the colour, the beauty, the joy of life. The less said about life's sores, the better."

- Je puis sympathiser avec n'importe quoi, excepté avec la souffrance, dit lord Henry en haussant les épaules. Je ne puis sympathiser avec cela. C'est trop laid, trop horrible, trop affligeant. Il y a quelque chose de terriblement maladif dans la pitié moderne. On peut s'émouvoir des couleurs, de la beauté, de la joie de vivre. Moins on parle des plaies sociales, mieux cela vaut.

"I should have said that whatever they ask for they had first given to us," murmured the lad gravely. "They create love in our natures. They have a right to demand it back."

- Je répondrai que, quoi que ce soit qu'elles nous demandent, elles nous l'ont d'abord donné, murmura l'adolescent, gravement ; elles ont créé l'amour en nous ; elles ont droit de le redemander.

"I know what pleasure is," cried Dorian Gray. "It is to adore some one."

- Je sais ce que c'est que le plaisir ! cria Dorian Gray. C'est d'adorer quelqu'un.

"I am told, on excellent authority, that her father keeps an American dry-goods store," said Sir Thomas Burdon, looking supercilious.

- Je sais de bonne source que son père tient un magasin de nouveautés en Amérique, dit sir Thomas Burdon avec dédain.

"I know you will laugh at me," he replied, "but I really can't exhibit it. I have put too much of myself into it."

- Je sais que vous rirez de moi, répliqua-t-il, mais je ne puis réellement l'exposer. J'ai mis trop de moi-même là-dedans.

"Yes, I knew you would; but it is quite true, all the same."

- Je savais que vous ririez, mais c'est tout à fait la même chose.

"I'll back English women against the world, Harry," said Lord Fermor, striking the table with his fist.

- Je soutiendrai les Anglaises contre le monde entier ! Harry, fit lord Fermor en frap-pant du point sur la table.

"I hate offices, and I hate clerks," he replied. "But you are quite right. I have chosen my own life. All I say is, watch over Sibyl. Don't let her come to any harm. Mother, you must watch over her."

- Je hais les bureaux et je hais les employés, répliqua-t-il. Mais vous avez tout à fait raison. J'ai choisi moi-même mon genre de vie. Tout ce que je puis vous dire, c'est de veiller sur Sibyl. Ne permettez pas qu'il lui arrive malheur. Mère, il faut que vous veilliez sur elle.

"Acting! I leave that to you. You do it so well," he answered bitterly.

- Je joue !... C'est bon pour vous, cela ; vous y réussissez si bien, répondit-il amère-ment.

"I have forgotten it."

- Je l'ai oublié...

"I shall love him for ever!" she cried.

- Je l'aimerai toujours, s'écria-t-elle.

"I wish I had, for as sure as there is a God in heaven, if he ever does you any wrong, I shall kill him."

- Je l'aurais voulu également, car, aussi vrai qu'il y a un Dieu au ciel, s'il vous fait quelque tort, je le tuerai !...

"I hope so, Uncle George, for Dartmoor's sake. I am told that pork-packing is the most lucrative profession in America, after politics."

- Je l'espère, oncle Georges, pour le bonheur de Dartmoor. J'ai entendu dire que vendre des cochons était en Amérique, la profession la plus lucrative, après la politique.

"I dare say, my dear," said Lord Henry, shutting the door behind her as, looking like a bird of paradise that had been out all night in the rain, she flitted out of the room, leaving a faint odour of frangipanni. Then he lit a cigarette and flung himself down on the sofa.

- Je le crois, ma chère amie, dit lord Henry en fermant la porte derrière elle. Semblable à un oiseau de paradis qui aurait passé la nuit dehors sous la pluie, elle s'envola, laissant une subtile odeur de frangipane. Alors, il alluma une cigarette et se jeta sur le canapé.

"I should like that awfully."

- Je le désire beaucoup...

"I am going to see the play through," answered the lad, in a hard bitter voice. "I am awfully sorry that I have made you waste an evening, Harry. I apologize to you both."

- Je veux voir entièrement la pièce, répondit le jeune homme d'une voix rauque et amère. Je suis désespéré de vous avoir fait perdre votre soirée, Harry. Je vous fais mes excuses à tous deux.

"I wish I could trust myself," said Lord Henry, laughing. "Come, Mr. Gray, my hansom is outside, and I can drop you at your own place. Good-bye, Basil. It has been a most interesting afternoon."

- Je voudrais bien pouvoir compter sur moi-même, dit en riant lord Henry... Venez, Mr Gray, mon cabriolet est en bas et je vous déposerai chez vous. Adieu, Basil ! Merci pour votre charmante après-midi.

"I would sooner come with you; yes, I feel I must come with you. Do let me. And you will promise to talk to me all the time? No one talks so wonderfully as you do."

- Je voudrais d'abord aller avec vous ; oui, je sens qu'il faut que j'aille avec vous. Voulez-vous ?... Et promettez-moi de me parler tout le temps. Personne ne parle aussi mer-veilleusement que vous.

"I wish now I had not told you about Sibyl Vane."

- Je voudrais maintenant ne vous avoir point parlé de Sibyl Vane.

"Well, I can't help going to see Sibyl play," he cried, "even if it is only for a single act. I get hungry for her presence; and when I think of the wonderful soul that is hidden away in that little ivory body, I am filled with awe."

- Mais je ne puis m'empêcher d'aller voir jouer Sibyl, s'écria-t-il, même pour un seul acte. J'ai faim de sa présence ; et quand je songe à l'âme merveilleuse qui se cache dans ce petit corps d'ivoire, je suis rempli d'angoisse !

"But I thought you had promised Basil Hallward to go and see him," answered Lord Henry.

- Mais je pensais que vous aviez promis à Basil Hallward d'aller le voir.

"You have not spoiled my pleasure in meeting you, Mr. Gray," said Lord Henry, stepping forward and extending his hand. "My aunt has often spoken to me about you. You are one of her favourites, and, I am afraid, one of her victims also."

- Mais mon plaisir n'est pas gâté de vous rencontrer, Mr Gray, dit lord Henry en s'avançant et lui tendant la main. Ma tante m'a parlé souvent de vous. Vous êtes un de ses favoris, et, je le crains, peut-être aussi... une de ses victimes...

"I do not, Harry."

- Mais non, Harry.

"But what about my man at the Orleans?"

- Mais que va penser la personne qui m'attend à l'« Orléans » ?

"But suppose, Harry, I became haggard, and old, and wrinkled? What then?"

- Mais songez, Harry, que je deviendrai grotesque, vieux, ridé !... Alors ?...

"But think of Dorian's birth, and position, and wealth. It would be absurd for him to marry so much beneath him."

- Mais, je vous en prie, pensez à la naissance de Dorian, à sa position, à sa fortune... Ce serait absurde de sa part d'épouser une personne pareillement au-dessous de lui.

"By marrying Sibyl Vane."

- Mais, par épouser Sibyl Vane...

"But, surely, if one lives merely for one's self, Harry, one pays a terrible price for doing so?" suggested the painter.

- Mais, parfois, Harry, on paie très cher le fait de vivre uniquement pour soi, fit remar-quer le peintre.

"Margaret Devereux was one of the loveliest creatures I ever saw, Harry. What on earth induced her to behave as she did, I never could understand. She could have married anybody she chose. Carlington was mad after her. She was romantic, though. All the women of that family were. The men were a poor lot, but, egad! the women were wonderful. Carlington went on his knees to her. Told me so himself. She laughed at him, and there wasn't a girl in London at the time who wasn't after him. And by the way, Harry, talking about silly marriages, what is this humbug your father tells me about Dartmoor wanting to marry an American? Ain't English girls good enough for him?"

- Margaret Devereux était une des plus adorables créatures que j'aie vues, Harry. Je n'ai jamais compris comment elle a pu agir comme elle l'a fait. Elle aurait pu épouser n'importe qui, Carlington en était fou : elle était romanesque, sans doute. Toutes les femmes de cette famille le furent. Les hommes étaient bien peu de chose, mais les femmes, merveilleuses ! - Carlington se traînait à ses genoux ; il me l'a dit lui-même. Elle lui rit au nez, et ce-pendant, pas une fille de Londres qui ne courût après lui. Et à propos, Harry, pendant que nous causons de mariages ridicules, quelle est donc cette farce que m'a contée votre père au sujet de Dartmoor qui veut épouser une Américaine. Il n'y a donc plus de jeunes Anglaises assez bonnes pour lui ?

"Do you think my nature so shallow?" cried Dorian Gray angrily.

- Me croyez-vous d'une nature si futile, s'écria Dorian Gray, maussade.

"Thanks, Basil," answered Dorian Gray, pressing his hand. "I knew that you would understand me. Harry is so cynical, he terrifies me. But here is the orchestra. It is quite dreadful, but it only lasts for about five minutes. Then the curtain rises, and you will see the girl to whom I am going to give all my life, to whom I have given everything that is good in me."

- Merci, Basil, répondit Dorian Gray en lui pressant la main. Je savais que vous me comprendriez. Harry est tellement cynique qu'il me terrifie parfois... Ah ! voici l'orchestre ; il est épouvantable, mais ça ne dure que cinq minutes. Alors le rideau se lèvera et vous verrez la jeune fille à laquelle je vais donner ma vie, à laquelle j'ai donné tout ce qu'il y a de bon en moi...

"Yes, Basil?"

- Moi non plus, Basil.

"I do, Lord Henry," murmured Mr. Erskine, with a smile.

- Moi, je comprends, murmura Mr Erskine avec un sourire.

"Dear me!" said Lady Agatha, "how you men argue! I am sure I never can make out what you are talking about. Oh! Harry, I am quite vexed with you. Why do you try to persuade our nice Mr. Dorian Gray to give up the East End? I assure you he would be quite invaluable. They would love his playing."

- Mon Dieu ! dit lady Agathe, comme vous parlez, vous autres hommes !... Je suis sûre que je ne pourrai jamais vous comprendre. Oh ! Harry, je suis tout à fait fâchée contre vous. Pourquoi essayez-vous de persuader à notre charmant Mr Dorian Gray d'abandonner l'East End. Je vous assure qu'il y serait apprécié. On aimerait beaucoup son talent.

"My dear old Basil, you are much more than an acquaintance."

- Mon bon et cher Basil, vous m'êtes mieux qu'un camarade...

"Mr. Isaacs has advanced us fifty pounds to pay off our debts and to get a proper outfit for James. You must not forget that, Sibyl. Fifty pounds is a very large sum. Mr. Isaacs has been most considerate."

- Mr Isaacs nous a avancé cinquante livres pour payer nos dettes et pour acheter un costume convenable à James. Vous ne devez pas oublier cela, Sibyl. Cinquante livres font une grosse somme. Mr Isaacs a été très aimable.

"Mother, I have something to ask you," he said. Her eyes wandered vaguely about the room. She made no answer. "Tell me the truth. I have a right to know. Were you married to my father?"

- Mère, j'ai quelque chose à vous demander, dit-il. Elle ne répondit pas et ses yeux vaguèrent par la chambre. - Dites-moi la vérité, j'ai besoin de la connaître. Étiez-vous mariée avec mon père ?

"Mother, Mother, I am so happy!" whispered the girl, burying her face in the lap of the faded, tired-looking woman who, with back turned to the shrill intrusive light, was sitting in the one arm-chair that their dingy sitting-room contained. "I am so happy!" she repeated, "and you must be happy, too!"

- Mère, mère, que je suis contente ! soupirait la jeune fille, ensevelissant sa figure dans le tablier de la vieille femme aux traits fatigués et flétris qui, le dos tourné à la claire lumière des fenêtres, était assise dans l'unique fauteuil du petit salon pauvre. Je suis si contente ! répétait-elle, il faut que vous soyez contente aussi !

"Don't go to the theatre to-night, Dorian," said Hallward. "Stop and dine with me."

- N'allez pas au théâtre ce soir, Dorian, dit Hallward... Restez dîner avec moi.

"Never marry a woman with straw-coloured hair, Dorian," he said after a few puffs.

- N'épousez jamais une femme aux cheveux paille, Dorian, dit-il après quelques bouf-fées.

"Of course he likes it," said Lord Henry. "Who wouldn't like it? It is one of the greatest things in modern art. I will give you anything you like to ask for it. I must have it."

- Naturellement, il l'aime, dit lord Henry. Pourquoi ne l'aimerait-il pas. C'est une des plus nobles choses de l'art contemporain. Je vous donnerai ce que vous voudrez pour cela. Il faut que je l'aie !...

"Yes, of course," answered Lord Henry, sinking into a chair and slowly pulling off his yellow gloves. "It is dreadful, from one point of view, but it was not your fault. Tell me, did you go behind and see her, after the play was over?"

- Naturellement, répondit lord Henry s'asseyant dans un fauteuil, en retirant lentement ses gants jaunes... C'est terrible, à un certain point de vue mais ce n'est pas votre faute. Dites-moi, est-ce que vous êtes allé dans les coulisses après la pièce ?

"No, of course not," cried Dorian.

- Naturellement...

"Yes; it was at dear Lohengrin. I like Wagner's music better than anybody's. It is so loud that one can talk the whole time without other people hearing what one says. That is a great advantage, don't you think so, Mr. Gray?"

- Oui, c'était à ce cher Lohengrin. J'aime Wagner mieux que personne. Cela est si bruyant qu'on peut causer tout le temps sans être entendu. C'est un grand avantage. Ne trou-vez-vous pas, Mr Gray ?...

"What nonsense you talk, Harry!" cried the lad, taking a light from a fire-breathing silver dragon that the waiter had placed on the table. "Let us go down to the theatre. When Sibyl comes on the stage you will have a new ideal of life. She will represent something to you that you have never known."

- Quelle sottise me dites-vous, Harry ? dit le jeune homme en allumant sa cigarette au dragon d'argent vomissant du feu que le domestique avait placé sur la table. Allons au théâtre. Quand Sibyl apparaîtra, vous concevrez un nouvel idéal de vie. Elle vous représentera ce que vous n'avez jamais connu.

"Who?" said Jim Vane.

- Qui ? dit Jim Vane.

"Who is she?"

- Qui est-ce ?

"Stay, Harry, to oblige Dorian, and to oblige me," said Hallward, gazing intently at his picture. "It is quite true, I never talk when I am working, and never listen either, and it must be dreadfully tedious for my unfortunate sitters. I beg you to stay."

- Restez donc, Harry, pour satisfaire Dorian et pour me satisfaire, dit Hallward regar-dant attentivement le tableau. C'est vrai, d'ailleurs, je ne parle jamais quand je travaille, et n'écoute davantage, et je comprends que ce soit agaçant pour mes infortunés modèles. Je vous prie de rester.

"Nothing," he answered. "I suppose one must be serious sometimes. Good-bye, Mother; I will have my dinner at five o'clock. Everything is packed, except my shirts, so you need not trouble."

- Rien, répondit-il, je crois qu'on doit être sérieux quelquefois. Au revoir, mère, je dî-nerai à cinq heures. Tout est emballé excepté mes chemises ; aussi ne vous inquiétez pas.

"A blush is very becoming, Duchess," remarked Lord Henry.

- Rougir est très bien porté, duchesse, remarqua lord Henry.

"Only when one is young," she answered. "When an old woman like myself blushes, it is a very bad sign. Ah! Lord Henry, I wish you would tell me how to become young again."

- Seulement lorsqu'on est jeune, répondit-elle, mais quand une vieille lemme comme moi rougit, c'est bien mauvais signe. Ah ! Lord Henry, je voudrais bien que vous m'appreniez à redevenir jeune !

"If it is not, what have I to do with it?"

- Si ce n'est pas, comment cela me regarde-t-il alors ?...

"If you want to make him marry this girl, tell him that, Basil. He is sure to do it, then. Whenever a man does a thoroughly stupid thing, it is always from the noblest motives."

- Si vous désirez qu'il épouse cette fille, Basil, vous n'avez qu'à lui dire ça. Du coup, il est sûr qu'il le fera. Chaque fois qu'un homme fait une chose manifestement stupide, il est certainement poussé à la faire pour les plus nobles motifs.

"If you let any one have it but me, Basil, I shall never forgive you!" cried Dorian Gray; "and I don't allow people to call me a silly boy."

- Si vous le donniez à un autre qu'à moi, Basil, je ne vous le pardonnerais jamais, s'écria Dorian Gray ; et je ne permets à personne de m'appeler un méchant garçon...

"This is," interrupted Dorian. "You must admit, Harry, that women give to men the very gold of their lives."

- Si, interrompit Dorian ; vous admettez, Harry, que les femmes donnent aux hommes l'or même de leurs vies.

"Sibyl? Oh, she was so shy and so gentle. There is something of a child about her. Her eyes opened wide in exquisite wonder when I told her what I thought of her performance, and she seemed quite unconscious of her power. I think we were both rather nervous. The old Jew stood grinning at the doorway of the dusty greenroom, making elaborate speeches about us both, while we stood looking at each other like children. He would insist on calling me 'My Lord,' so I had to assure Sibyl that I was not anything of the kind. She said quite simply to me, 'You look more like a prince. I must call you Prince Charming.'"

- Sibyl ? Oh ! elle était si timide, si charmante. Elle est comme une enfant ; ses yeux s'ouvraient tout grands d'étonnement lorsque je lui parlais de son talent ; elle semble tout à fait inconsciente de son pouvoir. Je crois que nous étions un peu énervés. Le vieux juif grima-çait dans le couloir du foyer poussiéreux, pérorant sur notre compte, tandis que nous restions à nous regarder comme des enfants. Il s'obstinait à m'appeler « my lord » et je fus obligé d'assurer à Sibyl que je n'étais rien de tel. Elle me dit simplement : « Vous avez bien plutôt l'air d'un prince, je veux vous appeler le prince Charmant. »

"Sibyl is the only thing I care about. What is it to me where she came from? From her little head to her little feet, she is absolutely and entirely divine. Every night of my life I go to see her act, and every night she is more marvellous."

- Sibyl est le seul être qui m'intéresse. Que m'importe d'où elle vient ? De sa petite tête à son pied mignon, elle est divine, absolument. Chaque soir de ma vie, je vais la voir jouer et chaque soir elle est plus merveilleuse.

"Half-past six! What an hour! It will be like having a meat-tea, or reading an English novel. It must be seven. No gentleman dines before seven. Shall you see Basil between this and then? Or shall I write to him?"

- Six heures et demie ! En voilà une heure ! Ce sera comme pour un thé ou une lecture de roman anglais. Mettons sept heures. Aucun gentleman ne dîne avant sept heures. Verrez-vous Basil ou dois-je lui écrire ?

"Remember what I asked you, when we were in the garden this morning."

- Souvenez-vous de ce que je vous ai demandé, quand nous étions dans le jardin ce matin...

"Killed herself! Good heavens! is there no doubt about that?" cried Hallward, looking up at him with an expression of horror.

- Suicidée, mon Dieu ! est-ce bien certain ? s'écria Hallward le regardant avec une ex-pression d'horreur...

"Terribly grave," echoed Lady Agatha.

- Terriblement graves ! répéta lady Agathe.

"Why?"

- Tiens, et pourquoi ?

"You pain me, my son. I trust you will return from Australia in a position of affluence. I believe there is no society of any kind in the Colonies-- nothing that I would call society--so when you have made your fortune, you must come back and assert yourself in London."

- Vous me peinez, mon fils. J'espère que vous reviendrez d'Australie avec une belle position. Je crois qu'il n'y a aucune société dans les colonies ou rien de ce qu'on peut appeler une société, aussi quand vous aurez fait fortune, reviendrez-vous prendre votre place à Londres.

"You could not have helped telling me, Dorian. All through your life you will tell me everything you do."

- Vous n'auriez pu faire autrement, Dorian. Toute votre vie, désormais, vous me direz ce que vous ferez.

"You won't forget?"

- Vous n'oublierez pas...

"You are not listening to a word I am saying, Jim," cried Sibyl, "and I am making the most delightful plans for your future. Do say something."

- Vous n'écoutez pas un mot de ce que je dis, Jim, s'écria Sibyl, et je fais les plans les plus magnifiques sur votre avenir. Dites-donc quelque chose...

"You know nothing then?"

- Vous ne connaissez donc rien ?...

"You really must not say things like that before Dorian, Harry."

- Vous ne devriez pas dire de telles choses devant Dorian, Henry.

"You would not say so if you saw her, Harry."

- Vous ne diriez pas cela si vous l'aviez vue, Harry.

"You don't understand me, Harry," answered the artist. "Of course I am not like him. I know that perfectly well. Indeed, I should be sorry to look like him. You shrug your shoulders? I am telling you the truth. There is a fatality about all physical and intellectual distinction, the sort of fatality that seems to dog through history the faltering steps of kings. It is better not to be different from one's fellows. The ugly and the stupid have the best of it in this world. They can sit at their ease and gape at the play. If they know nothing of victory, they are at least spared the knowledge of defeat. They live as we all should live--undisturbed, indifferent, and without disquiet. They neither bring ruin upon others, nor ever receive it from alien hands. Your rank and wealth, Harry; my brains, such as they are--my art, whatever it may be worth; Dorian Gray's good looks--we shall all suffer for what the gods have given us, suffer terribly."

- Vous ne me comprenez point, Harry, répondit l'artiste. Je sais bien que je ne lui res-semble pas ; je le sais parfaitement bien. Je serais même fâché de lui ressembler. Vous levez les épaules ?... Je vous dis la vérité. Une fatalité pèse sur les distinctions physiques et intellec-tuelles, cette sorte de fatalité qui suit à la piste à travers l'histoire les faux pas des rois. Il vaut mieux ne pas être différent de ses contemporains. Les laids et les sots sont les mieux partagés sous ce rapport dans ce monde. Ils peuvent s'asseoir à leur aise et bâiller au spectacle. S'ils ne savent rien de la victoire, la connaissance de la défaite leur est épargnée. Ils vivent comme nous voudrions vivre, sans être troublés, indifférents et tranquilles. Ils n'importunent personne, ni ne sont importunés. Mais vous, avec votre rang et votre fortune, Harry, moi, avec mon cerveau tel qu'il est, mon art aussi imparfait qu'il puisse être, Dorian Gray avec sa beauté, nous souffrirons tous pour ce que les dieux nous ont donné, nous souffrirons terriblement...

"You don't want me to meet him?"

- Vous ne désirez pas que je le connaisse ?...

"You don't understand her, Harry. She regarded me merely as a person in a play. She knows nothing of life. She lives with her mother, a faded tired woman who played Lady Capulet in a sort of magenta dressing-wrapper on the first night, and looks as if she had seen better days."

- Vous ne la comprenez pas, Harry. Elle me considérait comme un héros de théâtre. Elle ne sait rien de la vie. Elle vit avec sa mère, une vieille femme flétrie qui jouait le premier soir Lady Capulet dans une sorte de peignoir rouge magenta, et semblait avoir connu des jours meilleurs.

"You don't know his name, though," said the lad harshly.

- Vous ne savez pas son nom pourtant ? dit-il âprement.

"Always! That is a dreadful word. It makes me shudder when I hear it. Women are so fond of using it. They spoil every romance by trying to make it last for ever. It is a meaningless word, too. The only difference between a caprice and a lifelong passion is that the caprice lasts a little longer."

- Toujours !... C'est un mot terrible qui me fait frémir quand je l'entends : les femmes l'emploient tellement. Elles abîment tous les romans en essayant de les faire s'éterniser. C'est un mot sans signification, désormais. La seule différence qui existe entre un caprice et une éternelle passion est que le caprice... dure plus longtemps...

"Just turn your head a little more to the right, Dorian, like a good boy," said the painter, deep in his work and conscious only that a look had come into the lad's face that he had never seen there before.

- Tournez votre tête un peu plus à droite, Dorian, comme un bon petit garçon, dit le peintre enfoncé dans son œuvre, venant de surprendre dans la physionomie de l'adolescent un air qu'il ne lui avait jamais vu.

"Every day. I couldn't be happy if I didn't see him every day. He is absolutely necessary to me."

- Tous les jours. Je ne saurais être heureux si je ne le voyais chaque jour. Il m'est ab-solument nécessaire.

"Twenty-seven, I believe. It is on the grand tier. You will see her name on the door. But I am sorry you won't come and dine."

- Vingt-sept, je crois. C'est au premier rang ; vous verrez son nom sur la porte. Je suis désolé que vous ne veniez dîner.

"What a fuss people make about fidelity!" exclaimed Lord Henry. "Why, even in love it is purely a question for physiology. It has nothing to do with our own will. Young men want to be faithful, and are not; old men want to be faithless, and cannot: that is all one can say."

- Voici bien des affaires à propos de fidélité ! s'écria lord Henry. Même en amour, c'est purement une question de tempérament, cela n'a rien à faire avec notre propre volonté. Les jeunes gens veulent être fidèles et ne le sont point ; les vieux veulent être infidèles et ne le peuvent ; voilà tout ce qu'on en sait.

Then wisdom altered its method and spoke of espial and discovery. This young man might be rich. If so, marriage should be thought of. Against the shell of her ear broke the waves of worldly cunning. The arrows of craft shot by her. She saw the thin lips moving, and smiled.

Alors la Sagesse changea de méthode et parla d'enquête et d'espionnage. Le jeune homme pouvait être riche, et dans ce cas on pourrait songer au mariage. Contre la coquille de son oreille se mouraient les vagues de la ruse humaine. Les traits astucieux la criblaient. Elle s'aperçut que les lèvres fines remuaient, et elle sourit...

Hallward turned pale and caught his hand. "Dorian! Dorian!" he cried, "don't talk like that. I have never had such a friend as you, and I shall never have such another. You are not jealous of material things, are you?-- you who are finer than any of them!"

Hallward pâlit et prit sa main. - Dorian ! Dorian, cria-t-il, ne parlez pas ainsi ! Je n'eus jamais un ami tel que vous et jamais je n'en aurai un autre ! Vous ne pouvez être jaloux des choses matérielles, n'est-ce pas ? N'êtes-vous pas plus beau qu'aucune d'elles ?

He shrugged his shoulders. "You are ill, I suppose. When you are ill you shouldn't act. You make yourself ridiculous. My friends were bored. I was bored."

Il leva les épaules. - Vous êtes malade, je crois ; quand vous êtes malade, vous ne pouvez jouer : vous pa-raissez absolument ridicule. Vous nous avez navrés, mes amis et moi.

He glanced quickly round and rose to his feet. "I beg your pardon. I thought--"

Il leva vivement les yeux et se dressa... - Je vous demande pardon. Je croyais...

He made no answer at first, but remained quite still. The knocking still continued and grew louder. Yes, it was better to let Lord Henry in, and to explain to him the new life he was going to lead, to quarrel with him if it became necessary to quarrel, to part if parting was inevitable. He jumped up, drew the screen hastily across the picture, and unlocked the door.

Il ne répondit pas et resta sans faire aucun mouvement. On cogna à nouveau, puis très fort... Ne valait-il pas mieux laisser entrer lord Henry et lui expliquer le nouveau genre de vie qu'il allait mener, se quereller avec lui si cela devenait nécessaire, le quitter, si cet inévitable parti s'imposait. Il se dressa, alla en hâte tirer le paravent sur le portrait, et ôta le verrou de la porte.

He walked up and down the room two or three times. Then he turned to the still figure in the chair. "Mother, are my things ready?" he asked.

Il parcourut la chambre deux ou trois fois. Puis se tournant vers la vieille, immobile dans son fauteuil : - Mère, mes affaires sont-elles préparées ? demanda-t-il.

He jumped up and seized her roughly by the arm. "Show him to me. Which is he? Point him out. I must see him!" he exclaimed; but at that moment the Duke of Berwick's four-in-hand came between, and when it had left the space clear, the carriage had swept out of the park.

Il se leva vivement et la prenant rudement par le bras : - Montrez-le moi avec votre doigt ! Lequel est-ce ? je veux le voir ! s'écria-t-il ; mais au même moment le mail du duc de Berwick passa devant eux, et lorsque la place fut libre de nouveau, la victoria avait disparu du Parc.

He remembered something like it in history. Was it not Plato, that artist in thought, who had first analyzed it? Was it not Buonarotti who had carved it in the coloured marbles of a sonnet-sequence? But in our own century it was strange. . . . Yes; he would try to be to Dorian Gray what, without knowing it, the lad was to the painter who had fashioned the wonderful portrait. He would seek to dominate him--had already, indeed, half done so. He would make that wonderful spirit his own. There was something fascinating in this son of love and death.

Il se rappelait quelque chose d'analogue dans l'histoire. N'était-ce pas Platon, cet artiste en pensées, qui l'avait le premier analysé ? N'était-ce pas Buonarotti qui l'avait ciselé dans le marbre polychrome d'une série de sonnets ? Mais dans notre siècle, cela était extraordinaire... Oui, il essaierait d'être à Dorian Gray, ce que, sans le savoir, l'adolescent était au peintre qui avait tracé son splendide portrait. Il essaierait de le dominer, il l'avait même déjà fait. Il ferait sien cet être merveilleux. Il y avait quelque chose de fascinant dans ce fils de l'Amour et de la Mort.

He turned round and, walking to the window, drew up the blind. The bright dawn flooded the room and swept the fantastic shadows into dusky corners, where they lay shuddering. But the strange expression that he had noticed in the face of the portrait seemed to linger there, to be more intensified even. The quivering ardent sunlight showed him the lines of cruelty round the mouth as clearly as if he had been looking into a mirror after he had done some dreadful thing.

Il se tourna, et, marchant vers la fenêtre, tira les rideaux... Une brillante clarté emplit la chambre et balaya les ombres fantastiques des coins obscurs où elles flottaient. L'étrange expression qu'il avait surprise dans la face y demeurait, plus perceptible encore... La palpitante lumière montrait des lignes de cruauté autour de la bouche comme si lui-même, après avoir fait quelque horrible chose, les surprenait sur sa face dans un miroir.

He shook his head. "To-night she is Imogen," he answered, "and to-morrow night she will be Juliet."

Il secoua la tête. - Ce soir elle est Imogène, répondit-il, et demain elle sera Juliette.

The elder man buried his face in his hands. "How fearful," he muttered, and a shudder ran through him.

L'autre enfonça sa tête dans ses mains. - C'est effrayant, murmura-t-il, tandis qu'un frisson le parcourait.

The girl laughed again. The joy of a caged bird was in her voice. Her eyes caught the melody and echoed it in radiance, then closed for a moment, as though to hide their secret. When they opened, the mist of a dream had passed across them.

L'enfant rit encore. La joie d'un oiseau en cage était dans sa voix. Ses yeux saisissaient la mélodie et la répercutaient par leur éclat ; puis ils se fermaient un instant comme pour garder leur secret. Quand ils s'ouvrirent de nouveau, la brume d'un rêve avait passé sur eux.

Thou knowest the mask of night is on my face, Else would a maiden blush bepaint my cheek For that which thou hast heard me speak to-night--

Thou knowest tho mask of night is on my face, Else would a maiden blush bepaint my cheek For' that which thou hast heard me speak to-night...

with the brief dialogue that follows, were spoken in a thoroughly artificial manner. The voice was exquisite, but from the point of view of tone it was absolutely false. It was wrong in colour. It took away all the life from the verse. It made the passion unreal.

et le bref dialogue qui suit, furent dits d'une manière plutôt artificielle... Sa voix était exquise, mais au point de vue de l'intonation, c'était absolument faux. La couleur n'y était pas. Toute la vie du vers était enlevée ; on n'y sentait pas la réalité de la passion.

Then he rose from the table, lit a cigarette, and flung himself down on a luxuriously cushioned couch that stood facing the screen. The screen was an old one, of gilt Spanish leather, stamped and wrought with a rather florid Louis-Quatorze pattern. He scanned it curiously, wondering if ever before it had concealed the secret of a man's life.

L'homme s'inclina et disparut... Alors, il se leva de table, alluma une cigarette, et s'étendit sur un divan aux luxueux coussins placé en face du paravent ; il observait curieuse-ment cet objet, ce paravent vétuste, fait de cuir de Cordoue doré, frappé et ouvré sur un mo-dèle fleuri, datant de Louis XIV, se demandant s'il lui était jamais arrivé encore de cacher le secret de la vie d'un homme.

Lord Henry smiled and looked at Dorian Gray. "Am I to go, Mr. Gray?" he asked.

Lord Henry sourit et regarda Dorian Gray. - Dois-je m'en aller, Mr Gray ? interrogea-t-il.

Lord Henry laughed and rose. "I am going to the park," he cried.

Lord Henry sourit et se leva. - Je vais au Parc, dit-il.

Lord Henry walked across the room, and sitting down by Dorian Gray, took both his hands in his own and held them tightly. "Dorian," he said, "my letter--don't be frightened--was to tell you that Sibyl Vane is dead."

Lord Henry traversa la chambre, et s'asseyant à côté de Dorian Gray, lui prit les deux mains dans les siennes, et les lui serrant étroitement : - Dorian, lui dit-il, ma lettre - ne vous effrayez pas ! - vous informait de la mort de Sibyl Vane !...

Lord Henry went out to the garden and found Dorian Gray burying his face in the great cool lilac-blossoms, feverishly drinking in their perfume as if it had been wine. He came close to him and put his hand upon his shoulder. "You are quite right to do that," he murmured. "Nothing can cure the soul but the senses, just as nothing can cure the senses but the soul."

Lord Henry, en pénétrant dans le jardin, trouva Dorian Gray la face ensevelie dans un frais bouquet de lilas en aspirant ardemment le parfum comme un vin précieux... Il s'approcha de lui et mit la main sur son épaule... - Très bien, lui dit-il ; rien ne peut mieux guérir l'âme que les sens, comme rien ne saurait mieux que l'âme guérir les sens.

When he arrived home, about half-past twelve o'clock, he saw a telegram lying on the hall table. He opened it and found it was from Dorian Gray. It was to tell him that he was engaged to be married to Sibyl Vane.

Lorsqu'il rentra chez lui, vers minuit et demie, il trouva un télé-gramme sur sa table. Il l'ouvrit et s'aperçut qu'il était de Dorian Gray. Il lui faisait savoir qu'il avait promis le mariage à Sibyl Vane.

They said Kelso got some rascally adventurer, some Belgian brute, to insult his son- in-law in public--paid him, sir, to do it, paid him-- and that the fellow spitted his man as if he had been a pigeon. The thing was hushed up, but, egad, Kelso ate his chop alone at the club for some time afterwards. He brought his daughter back with him, I was told, and she never spoke to him again. Oh, yes; it was a bad business. The girl died, too, died within a year. So she left a son, did she? I had forgotten that. What sort of boy is he? If he is like his mother, he must be a good-looking chap."

On dit que Kelso soudoya un bas aventurier, quelque brute belge, pour insulter son beau-fils en public, il le paya, monsieur, oui il le paya pour faire cela et le misérable embrocha son homme comme un simple pigeon. L'affaire fut étouffée, mais, ma foi, Kelso mangeait sa côtelette tout seul au club quelque temps après. Il reprit sa fille avec lui, m'a-t-on dit, elle ne lui adressa jamais la parole. Oh oui ! ce fut une vilaine affaire. La fille mourut dans l'espace d'une année. Ainsi donc, elle a laissé un fils ? J'avais oublié cela. Quelle espèce de garçon est-ce ? S'il ressemble à sa mère ce doit être un bien beau gars.

Suddenly there came a knock to the door, and he heard Lord Henry's voice outside. "My dear boy, I must see you. Let me in at once. I can't bear your shutting yourself up like this."

On frappa tout à coup à la porte et il entendit en dehors la voix de lord Henry : - Mon cher ami, il faut que je vous parle. Laissez-moi entrer. Je ne puis supporter de vous voir ainsi barricadé...

There came a knock at the door, and the butler entered with a laden tea-tray and set it down upon a small Japanese table. There was a rattle of cups and saucers and the hissing of a fluted Georgian urn. Two globe-shaped china dishes were brought in by a page. Dorian Gray went over and poured out the tea. The two men sauntered languidly to the table and examined what was under the covers.

On frappa à la porte, et le majordome entra portant un service à thé qu'il disposa sur une petite table japonaise. Il y eut un bruit de tasses et de soucoupes et la chanson d'une bouillotte cannelée de Géorgie... Deux plats chinois en forme de globe furent apportés par un valet. Dorian Gray se leva et servit le thé. Les deux hommes s'acheminèrent paresseusement vers la table, et examinèrent ce qui était sous les couvercles des plats.

Yes; it was an interesting background. It posed the lad, made him more perfect, as it were. Behind every exquisite thing that existed, there was something tragic. Worlds had to be in travail, that the meanest flower might blow. . . . And how charming he had been at dinner the night before, as with startled eyes and lips parted in frightened pleasure he had sat opposite to him at the club, the red candleshades staining to a richer rose the wakening wonder of his face. Talking to him was like playing upon an exquisite violin. He answered to every touch and thrill of the bow. . . .

Oui, c'était un bien curieux fond de tableau. Il encadrait le jeune homme, le faisant plus intéressant, meilleur qu'il n'était réellement. Derrière tout ce qui est exquis, on trouve ainsi quelque chose de tragique. La terre est en travail pour donner naissance à la plus humble fleur... Comme il avait été charmant au dîner de la veille, lorsqu'avec ses beaux yeux et ses lèvres frémissantes de plaisir et de crainte, il s'était assis en face de lui au club, les bougies pourprées mettant une roseur sur son beau visage ravi. Lui parler était comme si l'on eût joué sur un violon exquis. Il répondait à tout, vibrait à chaque trait...

Yes; there had been things in his boyhood that he had not understood. He understood them now. Life suddenly became fiery-coloured to him. It seemed to him that he had been walking in fire. Why had he not known it?

Oui, il y avait eu des choses dans son enfance qu'il n'avait point comprises ; il les comprenait maintenant. La vie lui apparut soudain ardemment colorée. Il pensa qu'il avait jusqu'alors marché à travers les flammes ! Pourquoi ne s'était-il jamais douté de cela ?

Suddenly he stopped and glanced up at the houses. He found that he had passed his aunt's some distance, and, smiling to himself, turned back. When he entered the somewhat sombre hall, the butler told him that they had gone in to lunch. He gave one of the footmen his hat and stick and passed into the dining-room.

Soudain il s'arrêta, et regarda les façades. Il s'aperçut qu'il avait dépassé la maison de sa tante, et souriant en lui-même, il revint sur ses pas. En entrant dans le vestibule assombri, le majordome lui dit qu'on était à table. Il donna son chapeau et sa canne au valet de pied et pénétra dans la salle à manger.

James Vane looked into his sister's face with tenderness. "I want you to come out with me for a walk, Sibyl. I don't suppose I shall ever see this horrid London again. I am sure I don't want to."

James Vane regarda sa sœur avec tendresse. - Je voudrais que vous veniez vous promener avec moi, Sibyl. Je crois bien que je ne reverrai plus jamais ce vilain Londres et certes je n'y tiens pas.

James Vane bit his lip. "Watch over Sibyl, Mother," he cried, "watch over her."

James Vane se mordit la lèvre... - Veillez sur Sibyl, mère, s'écria-t-il, veillez sur elle !

I don't know what I expected, but I went out and wandered eastward, soon losing my way in a labyrinth of grimy streets and black grassless squares. About half-past eight I passed by an absurd little theatre, with great flaring gas-jets and gaudy play-bills. A hideous Jew, in the most amazing waistcoat I ever beheld in my life, was standing at the entrance, smoking a vile cigar. He had greasy ringlets, and an enormous diamond blazed in the centre of a soiled shirt.'Have a box, my Lord?' he said, when he saw me, and he took off his hat with an air of gorgeous servility.

Je ne sais trop ce que j'attendais, mais je me dirigeai vers l'Est et me perdis bientôt dans un labyrinthe de ruelles noires et farouches et de squares aux gazons pelés. Vers huit heures et demie, je passai devant un absurde petit théâtre tout flamboyant de ses rampes de gaz et de ses affiches multicolores. Un hideux juif portant le plus étonnant gilet que j'aie vu de ma vie, se tenait à l'entrée, fumant un ignoble cigare. Il avait des boucles graisseuses et un énorme diamant brillait sur le plastron taché de sa chemise. « Voulez-vous une loge, mylord ? me dit-il dès qu'il m'aperçut en ôtant son chapeau avec une servilité importante.

I mean everything that I have said. I have the greatest contempt for optimism. As for a spoiled life, no life is spoiled but one whose growth is arrested. If you want to mar a nature, you have merely to reform it. As for marriage, of course that would be silly, but there are other and more interesting bonds between men and women. I will certainly encourage them. They have the charm of being fashionable. But here is Dorian himself. He will tell you more than I can."

Je pense tout ce que je dis. J'ai le plus grand mépris pour l'optimisme. Aucune vie n'est gâtée, si ce n'est celle dont la croissance est arrêtée. Si vous voulez gâter un caractère, vous n'avez qu'à tenter de le réformer ; quant au mariage, ce serait idiot, car il y a d'autres et de plus intéressantes liaisons entre les hommes et les femmes ; elles ont le charme d'être élégantes... Mais voici Dorian lui-même. Il vous en dira plus que moi.

"Late as usual, Harry," cried his aunt, shaking her head at him.

- En retard, comme d'habitude, Harry ! lui cria sa tante en secouant la tête.

"Is it the real Dorian?" cried the original of the portrait, strolling across to him. "Am I really like that?"

- Est-ce là le réel Dorian Gray, cria l'original du portrait, s'avançant vers lui. Suis-je réellement comme cela ?

"Is it really finished?" he murmured, stepping down from the platform.

- Est-ce réellement fini ? murmura-t-il en descendant de la plate-forme.

"Is she pretty?"

- Est-elle jolie ?

"It is. That is the reason why, like Eve, they are so excessively anxious to get out of it," said Lord Henry. "Good-bye, Uncle George. I shall be late for lunch, if I stop any longer. Thanks for giving me the information I wanted. I always like to know everything about my new friends, and nothing about my old ones."

- Et c'est vrai, mais c'est la raison pour laquelle, comme Ève, elles sont si empressées d'en sortir, dit lord Henry. Au revoir, oncle Georges, je serais en retard pour déjeuner si je tardais plus longtemps ; merci pour vos bons renseignements. J'aime toujours à connaître tout ce qui concerne mes nouveaux amis, mais je ne demande rien sur les anciens.

"And where did you come across her?"

- Et comment l'avez-vous rencontrée ?

"Horribly!" he answered, gazing at her in amazement. "Horribly! It was dreadful. Are you ill? You have no idea what it was. You have no idea what I suffered."

- Horriblement ! répondit-il, la considérant avec stupéfaction... Horriblement ! Ce fut affreux ! Vous étiez malade, n'est-ce pas ? Vous ne vous doutez point de ce que cela fut !... Vous n'avez pas idée de ce que j'ai souffert !

"Dead! Sibyl dead! It is not true! It is a horrible lie! How dare you say it?"

- Morte !... Sibyl morte !... Ce n'est pas vrai !... C'est un horrible mensonge ! Comment osez-vous dire cela ?

"Mr. Dorian Gray is in the studio, sir," said the butler, coming into the garden.

- Mr Dorian Gray est dans l'atelier, monsieur, dit le majordome en entrant dans le jar-din.

"Mr. Dorian Gray does not belong to Blue Books, Uncle George," said Lord Henry languidly.

- Mr Dorian Gray n'appartient pas au Livre-Bleu, oncle Georges, dit lord Henry, lan-guide.

"Come, Sibyl," said her brother impatiently. He hated his mother's affectations.

- Venez, Sibyl, dit le frère impatienté. Il détestait les affectations maternelles.

"Do you mean about Sibyl Vane?" asked the lad.

- À Sibyl Vane, voulez-vous dire, interrogea le jeune homme.

"Whose property is it?"

- À qui est-ce donc alors ?

"It must have been just like the palmy days of the British drama."

- Ça devait être comme aux jours glorieux du drame anglais.

"I don't feel up to it," said Dorian listlessly. "But I am awfully obliged to you for all that you have said to me. You are certainly my best friend. No one has ever understood me as you have."

- Ça ne m'est point possible, dit Dorian nonchalamment... Je vous suis bien obligé pour tout ce que vous m'avez dit ; vous êtes certainement mon meilleur ami ; personne ne m'a compris comme vous.

"Marrying Sibyl Vane!" cried Lord Henry, standing up and looking at him in perplexed amazement. "But, my dear Dorian--"

- Épouser Sibyl Vane ! s'écria lord Henry, sursautant et le regardant avec un étonne-ment perplexe. Mais, mon cher Dorian...

"Was that a paradox?" asked Mr. Erskine. "I did not think so. Perhaps it was. Well, the way of paradoxes is the way of truth. To test reality we must see it on the tight rope. When the verities become acrobats, we can judge them."

- Était-ce un paradoxe, demanda Mr Erskine. Je ne le crois pas. C'est possible, mais le chemin du paradoxe est celui de la vérité. Pour éprouver la réalité il faut la voir sur la corde raide. Quand les vérités deviennent des acrobates nous pouvons les juger.

"To be good is to be in harmony with one's self," he replied, touching the thin stem of his glass with his pale, fine-pointed fingers. "Discord is to be forced to be in harmony with others. One's own life--that is the important thing. As for the lives of one's neighbours, if one wishes to be a prig or a Puritan, one can flaunt one's moral views about them, but they are not one's concern. Besides, individualism has really the higher aim. Modern morality consists in accepting the standard of one's age. I consider that for any man of culture to accept the standard of his age is a form of the grossest immorality."

- Être bon, c'est être en harmonie avec soi-même, répliqua-t-il en caressant de ses fins doigts pâles la tige frêle de son verre, comme être mauvais c'est être en harmonie avec les autres. Sa propre vie, voilà la seule chose importante. Pour les vies de nos semblables, si on désire être un faquin ou un puritain, on peut étendre ses vues morales sur elles, mais elles ne nous concernent pas. En vérité, l'Individualisme est réellement le plus haut but. La moralité moderne consiste à se ranger sous le drapeau de son temps. Je considère que le fait par un homme cultivé, de se ranger sous le drapeau de son temps, est une action de la plus scanda-leuse immoralité.

"Then commit them over again," he said gravely. "To get back one's youth, one has merely to repeat one's follies."

-Eh bien ! commettez-les encore, dit-il gravement. Pour redevenir jeune on n'a guère qu'à recommencer ses folies. - C'est une délicieuse théorie. Il faudra que je la mette en pratique.

"But we have such grave responsibilities," ventured Mrs. Vandeleur timidly.

-Mais nous avons de telles responsabilités, hasarda timidement Mme Vandeleur.

The moment I met you I saw that you were quite unconscious of what you really are, of what you really might be. There was so much in you that charmed me that I felt I must tell you something about yourself. I thought how tragic it would be if you were wasted. For there is such a little time that your youth will last--such a little time. The common hill-flowers wither, but they blossom again. The laburnum will be as yellow next June as it is now. In a month there will be purple stars on the clematis, and year after year the green night of its leaves will hold its purple stars. But we never get back our youth. The pulse of joy that beats in us at twenty becomes sluggish. Our limbs fail, our senses rot. We degenerate into hideous puppets, haunted by the memory of the passions of which we were too much afraid, and the exquisite temptations that we had not the courage to yield to. Youth! Youth! There is absolutely nothing in the world but youth!"

« Alors que je vous rencontrai, je vis que vous n'aviez point conscience de ce que vous étiez, de ce que vous pouviez être... Il y avait en vous quelque chose de si particulièrement attirant que je sentis qu'il me fallait vous révéler à vous-même, dans la crainte tragique de vous voir vous gâcher... car votre jeunesse a si peu de temps à vivre... si peu !... Les fleurs se dessèchent, mais elles refleurissent... Cet aubour sera aussi florissant au mois de juin de l'année prochaine qu'il l'est à présent. Dans un mois, cette clématite portera des fleurs pour-prées, et d'année en année, ses fleurs de pourpre illumineront le vert de ses feuilles... Mais nous, nous ne revivrons jamais notre jeunesse. Le pouls de la joie qui bat en nous à vingt ans, va s'affaiblissant, nos membres se fatiguent et s'alourdissent nos sens !... Tous, nous devien-drons d'odieux polichinelles, hantés par la mémoire de ce dont nous fûmes effrayés, par les exquises tentations que nous n'avons pas eu le courage de satisfaire... Jeunesse ! Jeunesse ! Rien n'est au monde que la jeunesse !...

"That is very horrid to her, and not very nice to me," answered Dorian, laughing.

- C'est méchant pour elle... et pas très gentil pour moi, dit Dorian en éclatant de rire...

"Mr. Dorian Gray? Who is he?" asked Lord Fermor, knitting his bushy white eyebrows.

- Mr Dorian Gray ? Qui est-ce ? demanda lord Fermor en fronçant ses sourcils blancs et broussailleux.

"Ah! that is one of Harry's views, isn't it, Mr. Gray? I always hear Harry's views from his friends. It is the only way I get to know of them. But you must not think I don't like good music. I adore it, but I am afraid of it. It makes me too romantic. I have simply worshipped pianists-- two at a time, sometimes, Harry tells me. I don't know what it is about them. Perhaps it is that they are foreigners. They all are, ain't they? Even those that are born in England become foreigners after a time, don't they? It is so clever of them, and such a compliment to art. Makes it quite cosmopolitan, doesn't it?

- Ah ! voilà une idée d'Harry, n'est-ce pas, Mr Gray. J'apprends toujours ses opinions par ses amis, c'est même le seul moyen que j'aie de les connaître. Mais ne croyez pas que je n'aime pas la bonne musique. Je l'adore ; mais elle me fait peur. Elle me rend par trop roma-nesque. J'ai un culte pour les pianistes simplement. J'en adorais deux à la fois, ainsi que me le disait Harry. Je ne sais ce qu'ils étaient. Peut-être des étrangers. Ils le sont tous, et même ceux qui sont nés en Angleterre le deviennent bientôt, n'est-il pas vrai ? C'est très habile de leur part et c'est un hommage rendu à l'art de le rendre cosmopolite.

"I have got through all that," said Dorian, shaking his head and smiling. "I am perfectly happy now. I know what conscience is, to begin with. It is not what you told me it was. It is the divinest thing in us. Don't sneer at it, Harry, any more--at least not before me. I want to be good. I can't bear the idea of my soul being hideous."

- Ah, non, j'en ai fini !... dit Dorian, secouant la tête en souriant... Je suis à présent parfaitement heureux... Je sais ce qu'est la conscience, pour commencer ; ce n'est pas ce que vous m'aviez dit ; c'est la plus divine chose qui soit en nous... Ne vous en moquez plus, Harry, au moins devant moi. J'ai besoin d'être bon... Je ne puis me faire à l'idée d'avoir une vilaine âme...

"Don't you like it?" cried Hallward at last, stung a little by the lad's silence, not understanding what it meant.

- Aimez-vous cela, cria enfin Hallward, quelque peu étonné du silence de l'adolescent, qu'il ne comprenait pas...

"So I have murdered Sibyl Vane," said Dorian Gray, half to himself, "murdered her as surely as if I had cut her little throat with a knife. Yet the roses are not less lovely for all that. The birds sing just as happily in my garden. And to-night I am to dine with you, and then go on to the opera, and sup somewhere, I suppose, afterwards. How extraordinarily dramatic life is! If I had read all this in a book, Harry, I think I would have wept over it. Somehow, now that it has happened actually, and to me, it seems far too wonderful for tears. Here is the first passionate love-letter I have ever written in my life. Strange, that my first passionate love-letter should have been addressed to a dead girl. Can they feel, I wonder, those white silent people we call the dead? Sibyl! Can she feel, or know, or listen? Oh, Harry, how I loved her once! It seems years ago to me now. She was everything to me.

- Ainsi, j'ai tué Sibyl Vane, murmurait Dorian, je l'ai tuée aussi sûrement que si j'avais coupé sa petite gorge avec un couteau... et cependant les roses pour cela n'en sont pas moins belles... les oiseaux n'en chanteront pas moins dans mon jardin... Et ce soir, je vais aller dîner avec vous : j'irai de là à l'Opéra, et, sans doute, j'irai souper quelque part ensuite... Combien la vie est puissamment dramatique !... Si j'avais lu cela dans un livre, Harry, je pense que j'en aurais pleuré... Maintenant que cela arrive, et à moi, cela me semble beaucoup trop stupéfiant pour en pleurer !... Tenez, voici la première lettre d'amour passionnée que j'ai jamais écrite de ma vie ; ne trouvez-vous pas étrange que cette première lettre d'amour soit adressée à une fille morte !... Peuvent-elles sentir, ces choses blanches et silencieuses que nous appelons les morts ? Sibyl ! Peut-elle sentir, savoir, écouter ? Oh ! Harry, comme je l'aimais ! Il me semble qu'il y a des années !... « Elle m'était tout...

"Go away, Harry," cried the lad. "I want to be alone. Basil, you must go. Ah! can't you see that my heart is breaking?" The hot tears came to his eyes. His lips trembled, and rushing to the back of the box, he leaned up against the wall, hiding his face in his hands.

- Allez-vous-en, Harry ! cria l'enfant. J'ai besoin d'être seul. Basil, vous aussi, allez-vous-en ! Ah ! ne voyez-vous que mon cœur éclate ! Des larmes brûlantes lui emplirent les yeux ; ses lèvres tremblèrent et se précipitant au fond de la loge, il s'appuya contre la cloison et cacha sa face dans ses mains...

"Let us go to the theatre to-night," said Lord Henry. "There is sure to be something on, somewhere. I have promised to dine at White's, but it is only with an old friend, so I can send him a wire to say that I am ill, or that I am prevented from coming in consequence of a subsequent engagement. I think that would be a rather nice excuse: it would have all the surprise of candour."

- Allons au théâtre ce soir, dit lord Henry. Il doit y avoir du nouveau quelque part. - J'ai promis de dîner chez White, mais comme c'est un vieil ami, je puis lui envoyer un télégramme pour lui dire que je suis indisposé, ou que je suis empêché de venir par suite d'un engagement postérieur. Je pense que cela serait plutôt une jolie excuse ; elle aurait tout le charme de la candeur.

"Let us go and sit in the shade," said Lord Henry. "Parker has brought out the drinks, and if you stay any longer in this glare, you will be quite spoiled, and Basil will never paint you again. You really must not allow yourself to become sunburnt. It would be unbecoming."

- Allons nous asseoir à l'ombre, dit lord Henry. Parker nous a servi à boire, et si vous restez plus longtemps au soleil vous pourriez vous abîmer le teint et Basil ne voudrait plus vous peindre. Ne risquez pas d'attraper un coup de soleil, ce ne serait pas le moment.

"Let us go, Basil," said Lord Henry with a strange tenderness in his voice, and the two young men passed out together.

- Allons-nous-en, Basil, dit lord Henry d'une voix étrangement tendre. Et les deux jeunes gens sortirent ensemble.

"Well, as soon as you are dry, you shall be varnished, and framed, and sent home. Then you can do what you like with yourself." And he walked across the room and rang the bell for tea. "You will have tea, of course, Dorian? And so will you, Harry? Or do you object to such simple pleasures?"

- Alors bien ! Aussitôt que « vous » serez sec, « vous » serez verni, encadré, et expédié chez « vous ». Alors, vous ferez ce que vous jugerez bon de « vous-même ». Il traversa la chambre et sonna pour le thé. - Vous voulez du thé, Dorian ? Et vous aussi, Harry ? ou bien présentez-vous quelque objection à ces plaisirs simples.

"I don't know," answered Lord Henry. "I fancy that the boy will be well off. He is not of age yet. He has Selby, I know. He told me so. And . . . his mother was very beautiful?"

- Je ne sais, répondit lord Henry. Je suppose que le jeune homme sera très bien. Il n'est pas majeur. Je sais qu'il possède Selby. Il me l'a dit. Et... sa mère était vraiment belle !

"Basil, my dear boy, puts everything that is charming in him into his work. The consequence is that he has nothing left for life but his prejudices, his principles, and his common sense. The only artists I have ever known who are personally delightful are bad artists. Good artists exist simply in what they make, and consequently are perfectly uninteresting in what they are. A great poet, a really great poet, is the most unpoetical of all creatures. But inferior poets are absolutely fascinating. The worse their rhymes are, the more picturesque they look. The mere fact of having published a book of second-rate sonnets makes a man quite irresistible. He lives the poetry that he cannot write. The others write the poetry that they dare not realize."

- Basil, mon cher enfant, met tout ce qu'il y a de charmant en lui, dans ses œuvres. La conséquence en est qu'il ne garde pour sa vie que ses préjugés, ses principes et son sens commun. Les seuls artistes que j'aie connus et qui étaient personnellement délicieux étaient de mauvais artistes. Les vrais artistes n'existent que dans ce qu'ils font et ne présentent par suite aucun intérêt en eux-mêmes. Un grand poète, un vrai grand poète, est le plus prosaïque des êtres. Mais les poètes inférieurs sont les plus charmeurs des hommes. Plus ils riment mal, plus ils sont pittoresques. Le simple fait d'avoir publié un livre de sonnets de second ordre, rend un homme parfaitement irrésistible. Il vit le poème qu'il ne peut écrire ; les autres écrivent le poème qu'ils n'osent réaliser.

"Basil," cried Dorian Gray, "if Lord Henry Wotton goes, I shall go, too. You never open your lips while you are painting, and it is horribly dull standing on a platform and trying to look pleasant. Ask him to stay. I insist upon it."

- Basil, s'écria Dorian Gray, si lord Henry Wotton s'en va, je m'en vais aussi. Vous n'ouvrez jamais la bouche quand vous peignez et c'est horriblement ennuyeux de rester planté sur une plate-forme et d'avoir l'air aimable. Demandez-lui de rester. J'insiste pour qu'il reste.

"Well, I can tell you anything that is in an English Blue Book, Harry, although those fellows nowadays write a lot of nonsense. When I was in the Diplomatic, things were much better. But I hear they let them in now by examination. What can you expect? Examinations, sir, are pure humbug from beginning to end. If a man is a gentleman, he knows quite enough, and if he is not a gentleman, whatever he knows is bad for him."

- Bien ! je puis vous dire tout ce que contient un Livre-Bleu anglais, Harry, quoique aujourd'hui tous ces gens-là n'écrivent que des bêtises. Quand j'étais diplomate, les choses allaient bien mieux. Mais j'ai entendu dire qu'on les choisissait aujourd'hui après des examens. Que voulez-vous ? Les examens, monsieur, sont une pure fumisterie d'un bout à l'autre. Si un homme est un gentleman, il en sait bien assez, et s'il n'est pas un gentleman, tout ce qu'il apprendra sera mauvais pour lui !

"Well, then, you and I will go alone, Mr. Gray."

- Bien donc ; vous et moi, Mr Gray, nous sortirons ensemble.

"Well, what night shall we go?"

- Bien, quand irons-nous ?

"Well, I found myself seated in a horrid little private box, with a vulgar drop-scene staring me in the face. I looked out from behind the curtain and surveyed the house. It was a tawdry affair, all Cupids and cornucopias, like a third-rate wedding-cake. The gallery and pit were fairly full, but the two rows of dingy stalls were quite empty, and there was hardly a person in what I suppose they called the dress-circle. Women went about with oranges and ginger-beer, and there was a terrible consumption of nuts going on."

- Bien. Je me trouvais donc assis dans une affreuse petite loge, face à face avec un très vulgaire rideau d'entracte. Je me mis à contempler la salle. C'était une clinquante décoration de cornes d'abondance et d'amours ; on eut dit une pièce montée pour un mariage de troi-sième classe. Les galeries et le parterre étaient tout à fait bondés de spectateurs, mais les deux rangs de fauteuils sales étaient absolument vides et il y avait tout juste une personne dans ce que je supposais qu'ils devaient appeler le balcon. Des femmes circulaient avec des oranges et de la bière au gingembre ; il se faisait une terrible consommation de noix.

"Well, eighteen, then. And I saw you with him the other night at the opera." She laughed nervously as she spoke, and watched him with her vague forget-me-not eyes. She was a curious woman, whose dresses always looked as if they had been designed in a rage and put on in a tempest. She was usually in love with somebody, and, as her passion was never returned, she had kept all her illusions. She tried to look picturesque, but only succeeded in being untidy. Her name was Victoria, and she had a perfect mania for going to church.

- Bon, dix-huit alors. Et je vous ai vu avec lui à l'Opéra la nuit dernière. Elle riait nerveusement en lui parlant et le regardait de ses yeux de myosotis. C'était une curieuse femme dont les toilettes semblaient toujours conçues dans un accès de rage et mises dans une tempête. Elle était toujours en intrigue avec quelqu'un et, comme son amour n'était jamais payé de retour, elle avait gardé toutes ses illusions. Elle essayait d'être pittoresque, mais ne réussis-sait qu'à être désordonnée. Elle s'appelait Victoria et avait la manie invétérée d'aller à l'église.

"It was a distinction, my dear Dorian--a great distinction. Most people become bankrupt through having invested too heavily in the prose of life. To have ruined one's self over poetry is an honour. But when did you first speak to Miss Sibyl Vane?"

- C'en était un, mon cher Dorian, un véritable. Beaucoup de gens font faillite pour avoir trop osé dans cette ère de prose. Se ruiner pour la poésie est un honneur. Mais quand avez-vous parlé pour la première fois à Miss Sibyl Vane ?

"It is rather fashionable to marry Americans just now, Uncle George."

- C'est assez élégant en ce moment d'épouser des Américaines, oncle Georges.

"It is such a bore putting on one's dress-clothes," muttered Hallward. "And, when one has them on, they are so horrid."

- C'est assommant de passer un habit, ajouta Hallward ; et quand on l'a mis, on est parfaitement horrible.

"This is Lord Henry Wotton, Dorian, an old Oxford friend of mine. I have just been telling him what a capital sitter you were, and now you have spoiled everything."

- C'est lord Henry Wotton, Dorian, un de mes vieux amis d'Oxford. Je lui disais jus-tement quel admirable modèle vous étiez, et vous venez de tout gâter...

"It is quite true, Dorian," said Lord Henry, gravely. "It is in all the morning papers. I wrote down to you to ask you not to see any one till I came. There will have to be an inquest, of course, and you must not be mixed up in it. Things like that make a man fashionable in Paris. But in London people are so prejudiced. Here, one should never make one's début with a scandal. One should reserve that to give an interest to one's old age. I suppose they don't know your name at the theatre? If they don't, it is all right. Did any one see you going round to her room? That is an important point."

- C'est parfaitement vrai, Dorian, dit gravement lord Henry. C'est dans les journaux de ce matin. Je vous écrivais pour vous dire de ne recevoir personne jusqu'à mon arrivée. Il y aura une enquête dans laquelle il ne faut pas que vous soyez mêlé. Des choses comme celles-là, mettent un homme à la mode à Paris, mais à Londres on a tant de préjugés... Ici, on ne débute jamais avec un scandale ; on réserve cela pour donner un intérêt à ses vieux jours. J'aime à croire qu'on ne connaît pas votre nom au théâtre ; s'il en est ainsi, tout va bien. Personne ne vous vit aux alentours de sa loge ? Ceci est de toute importance ?

"I suppose it would," muttered the lad, walking up and down the room and looking horribly pale. "But I thought it was my duty. It is not my fault that this terrible tragedy has prevented my doing what was right. I remember your saying once that there is a fatality about good resolutions--that they are always made too late. Mine certainly were."

- C'est possible, murmura le jeune homme horriblement pâle, en marchant de long en large dans la chambre ; mais je pensais que cela était de mon devoir ; ce n'est point ma faute si ce drame terrible m'a empêché de faire ce que je croyais juste. Je me souviens que vous m'avez dit une fois, qu'il pesait une fatalité sur les bonnes résolutions, qu'on les prenait toujours trop tard. La mienne en est un exemple...

"It should matter everything to you, Mr. Gray."

- C'est pour vous de toute importance, Mr Gray.

"That is a rather commonplace début."

- C'est un début plutôt commun.

"He is a gentleman," said the lad sullenly.

- C'est un gentleman, dit le frère revêche.

"How wonderful, Basil!"

- C'est vraiment merveilleux, Basil.

"That was at Lohengrin, Lady Henry, I think?"

- C'était à Lohengrin, lady Henry, je crois ?

"It is not my property, Harry."

- Ce n'est pas ma propriété, Harry.

"He is not a gentleman, Mother, and I hate the way he talks to me," said the girl, rising to her feet and going over to the window.

- Ce n'est pas un gentleman, mère, et je déteste la manière dont il me parle, dit la jeune fille, se levant et se dirigeant vers la fenêtre.

"What has the actual lapse of time got to do with it? It is only shallow people who require years to get rid of an emotion. A man who is master of himself can end a sorrow as easily as he can invent a pleasure. I don't want to be at the mercy of my emotions. I want to use them, to enjoy them, and to dominate them."

- Ce qui se passe dans l'instant actuel va lui appartenir. Il n'y a que les gens superficiels qui veulent des années pour s'affranchir d'une émotion. Un homme maître de lui-même, peut mettre fin à un chagrin aussi facilement qu'il peut inventer un plaisir. Je ne veux pas être à la merci de mes émotions. Je veux en user, les rendre agréable et les dominer.

"They are pork-packers, I suppose?"

- Ce sont des marchands de cochons, je suppose ?

"They are both simply forms of imitation," remarked Lord Henry. "But do let us go. Dorian, you must not stay here any longer. It is not good for one's morals to see bad acting. Besides, I don't suppose you will want your wife to act, so what does it matter if she plays Juliet like a wooden doll? She is very lovely, and if she knows as little about life as she does about acting, she will be a delightful experience. There are only two kinds of people who are really fascinating-- people who know absolutely everything, and people who know absolutely nothing. Good heavens, my dear boy, don't look so tragic! The secret of remaining young is never to have an emotion that is unbecoming. Come to the club with Basil and myself. We will smoke cigarettes and drink to the beauty of Sibyl Vane. She is beautiful. What more can you want?"

- Ce sont tous deux de simples formes d'imitation, remarqua lord Henry... Mais allons-nous-en !... Dorian, vous ne pouvez rester ici davantage. Ce n'est pas bon pour l'esprit de voir jouer mal. D'ailleurs, je suppose que vous ne désirez point que votre femme joue ; par conséquent, qu'est-ce que cela peut vous faire qu'elle joue Juliette comme une poupée de bois... Elle est vraiment adorable, et si elle connaît aussi peu la vie que... l'art, elle fera le sujet d'une expérience délicieuse. Il n'y a que deux sortes de gens vraiment intéressants : ceux qui savent absolument tout et ceux qui ne savent absolument rien... Par le ciel ! mon cher ami, n'ayez pas l'air si tragique ! Le secret de rester jeune est de ne jamais avoir une émotion malséante. Venez au club avec Basil et moi, nous fumerons des cigarettes en buvant à la beauté de Sibyl Vane ; elle est certainement belle : que désirez-vous de plus ?

"This play was good enough for us, Harry. It was Romeo and Juliet. I must admit that I was rather annoyed at the idea of seeing Shakespeare done in such a wretched hole of a place. Still, I felt interested, in a sort of way. At any rate, I determined to wait for the first act. There was a dreadful orchestra, presided over by a young Hebrew who sat at a cracked piano, that nearly drove me away, but at last the drop- scene was drawn up and the play began.

- Ce spectacle était assez bon pour nous, Harry. C'était « Roméo et Juliette » ; Je dois avouer que je fus un peu contrarié à l'idée de voir jouer Shakespeare dans un pareil bouiboui. Cependant, j'étais en quelque sorte intrigué. À tout hasard je me décidai à attendre le premier acte. Il y avait un maudit orchestre, dirigé par un jeune Hébreu assis devant un piano en ruines qui me donnait l'envie de m'en aller, mais le rideau se leva, la pièce commença.

"They don't last, I am told," muttered his uncle. "A long engagement exhausts them, but they are capital at a steeplechase. They take things flying. I don't think Dartmoor has a chance."

- Elles n'ont point de résistance m'a-t-on dit, grommela l'oncle. - Une longue course les épuise, mais elles sont supérieures au steeple-chase. Elles prennent les choses au vol ; je crois que Dartmoor n'a guère de chances.

"Kiss me, Mother," said the girl. Her flowerlike lips touched the withered cheek and warmed its frost.

- Embrassez-moi, mère, dit la jeune fille. Ses lèvres en fleurs se posèrent sur les joues flétries de la vieille et les ranimèrent.

"That entirely depends on how you sit to-day, Dorian."

- Cela dépend comment vous poserez aujourd'hui, Dorian...

"That is entirely due to me," broke in Lord Henry. "Isn't it, Mr. Gray?"

- Cela m'est entièrement dû, reprit lord Henry. N'est-ce pas, Mr Gray ?

"That would be impossible, my dear boy."

- Cela serait impossible, mon cher enfant.

"That is certainly better than being adored," he answered, toying with some fruits. "Being adored is a nuisance. Women treat us just as humanity treats its gods. They worship us, and are always bothering us to do something for them."

- Cela vaut certainement mieux que d'être adoré, répondit-il, jouant avec les fruits. Être adoré est un ennui. Les femmes nous traitent exactement comme l'Humanité traite ses dieux. Elles nous adorent, mais sont toujours à nous demander quelque chose.

"Still, the East End is a very important problem," remarked Sir Thomas with a grave shake of the head.

- Cependant, l'East End soulève un important problème, dit gravement sir Thomas avec un hochement de tête.

"Certainly."

- Certainement...

"Of course I know her. On the first night I was at the theatre, the horrid old Jew came round to the box after the performance was over and offered to take me behind the scenes and introduce me to her. I was furious with him, and told him that Juliet had been dead for hundreds of years and that her body was lying in a marble tomb in Verona. I think, from his blank look of amazement, that he was under the impression that I had taken too much champagne, or something."

- Certes, je la connais. Dès la première soirée que je fus à ce théâtre, le vilain juif vint tourner autour de ma loge à la fin du spectacle et m'offrit de me conduire derrière la toile pour me présenter à elle. Je m'emportai contre lui, et lui dit que Juliette était morte depuis des siècles et que son corps reposait dons un tombeau de marbre à Vérone. Je compris à son regard de morne stupeur qu'il eut l'impression que j'avais bu trop de Champagne ou d'autre chose.

"Dear Basil! I have not laid eyes on him for a week. It is rather horrid of me, as he has sent me my portrait in the most wonderful frame, specially designed by himself, and, though I am a little jealous of the picture for being a whole month younger than I am, I must admit that I delight in it. Perhaps you had better write to him. I don't want to see him alone. He says things that annoy me. He gives me good advice."

- Cher Basil ! je ne l'ai pas vu depuis une semaine. C'est vraiment mal à moi, car il m'a envoyé mon portrait dans un merveilleux cadre, spécialement dessiné par lui, et quoique je sois un peu jaloux de la peinture qui est d'un mois plus jeune que moi, je dois reconnaître que je m'en délecte. Peut-être vaudrait-il mieux que vous lui écriviez, je ne voudrais pas le voir seul. Il me dit des choses qui m'ennuient, il me donne de bons conseils.

"At Aunt Agatha's. I have asked myself and Mr. Gray. He is her latest protégée."

- Chez tante Agathe. Je me suis invité avec Mr Gray, c'est son dernier protégé.

"Certainly, Harry. Just touch the bell, and when Parker comes I will tell him what you want. I have got to work up this background, so I will join you later on. Don't keep Dorian too long. I have never been in better form for painting than I am to-day. This is going to be my masterpiece. It is my masterpiece as it stands."

- Comme il vous conviendra, Harry... Sonnez Parker ; quand il viendra, je lui dirai ce que vous désirez... J'ai encore à travailler le fond du portrait, je vous rejoindrai bientôt. Ne me gardez pas Dorian trop longtemps. Je n'ai jamais été pareillement disposé à peindre. Ce sera sûrement mon chef-d'œuvre... et ce l'est déjà.

"How horrid you are! She is all the great heroines of the world in one. She is more than an individual. You laugh, but I tell you she has genius. I love her, and I must make her love me. You, who know all the secrets of life, tell me how to charm Sibyl Vane to love me! I want to make Romeo jealous. I want the dead lovers of the world to hear our laughter and grow sad. I want a breath of our passion to stir their dust into consciousness, to wake their ashes into pain. My God, Harry, how I worship her!" He was walking up and down the room as he spoke. Hectic spots of red burned on his cheeks. He was terribly excited.

- Comme vous êtes méchant ! Elle est toutes les grandes héroïnes du monde en une seule personne. Elle est plus qu'une individualité. Vous riez, je vous ai dit qu'elle avait du génie. Je l'aime ; il faut que je me fasse aimer d'elle. Vous qui connaissez tous les secrets de la vie, dites-moi comment faire pour que Sibyl Vane m'aime ! Je veux rendre Roméo jaloux ! Je veux que tous les amants de jadis nous entendent rire et en deviennent tristes ! Je veux qu'un souffle de notre passion ranime leurs cendres, le réveille dans leur peine ! Mon Dieu ! Harry, comme je l'adore ! Il allait et venait dans la pièce en marchant ; des taches rouges de fièvre enflammaient ses joues. Il était terriblement surexcité.

"Why, you don't even know his name," answered the lad. "Who is he? I have a right to know."

- Comment, vous ne savez même pas son nom, répondit le jeune homme. Qui est-il ? j'ai le droit de le savoir.

"Understand what?" he asked, angrily.

- Comprendre quoi ? demanda-t-il, rageur...

"A great many, I fear," she cried.

- D'un grand nombre, je le crains, s'écria-t-elle.

"With an actress," said Dorian Gray, blushing. Lord Henry shrugged his shoulders.

- D'une actrice, dit Dorian Gray rougissant. Lord Henry leva les épaules :

The girl looked up and pouted. "Money, Mother?" she cried, "what does money matter? Love is more than money."

- De l'argent ! mère, s'écria-t-elle, qu'est-ce que ça veut dire ? L'amour vaut mieux que l'argent.

"Money, I suppose," said Lord Fermor, making a wry face. "Well, sit down and tell me all about it. Young people, nowadays, imagine that money is everything."

- De l'argent, je suppose, dit lord Fermor en faisant la grimace. Enfin, asseyez-vous et dites-moi de quoi il s'agit. Les jeunes gens, aujourd'hui, s'imaginent que l'argent est tout.

"What sort of ways, Basil?"

- De quelle autre manière, Basil ?

"Who are you in love with?" asked Lord Henry after a pause.

- De qui êtes-vous amoureux ? demanda lord Henry après une pause.

"About three weeks."

- Depuis trois semaines.

"Dry-goods! What are American dry-goods?" asked the duchess, raising her large hands in wonder and accentuating the verb.

- Des nouveautés ! Qu'est-ce que c'est que les nouveautés américaines ? demanda la duchesse, avec un geste d'étonnement de sa grosse main levée.

"American novels," answered Lord Henry, helping himself to some quail.

- Des romans américains ! répondit lord Henry en prenant un peu de caille.

"Before either."

- Devant les deux.

"Before which Dorian? The one who is pouring out tea for us, or the one in the picture?"

- Devant quel Dorian ?... Celui qui nous verse du thé ou celui du portrait ?...

"Dorian Gray is engaged to be married," said Lord Henry, watching him as he spoke.

- Dorian Gray se marie, dit lord Henry, guettant l'effet de sa réponse.

"Dorian, this is horrible! Something has changed you completely. You look exactly the same wonderful boy who, day after day, used to come down to my studio to sit for his picture. But you were simple, natural, and affectionate then. You were the most unspoiled creature in the whole world. Now, I don't know what has come over you. You talk as if you had no heart, no pity in you. It is all Harry's influence. I see that."

- Dorian, ceci est horrible !... Quelque chose vous a changé complètement. Vous avez toujours les apparences de ce merveilleux jeune homme qui venait chaque jour à mon atelier poser pour son portrait. Mais alors vous étiez simple, naturel et tendre. Vous étiez la moins souillée des créatures. Maintenant je ne sais ce qui a passé sur vous. Vous parlez comme si vous n'aviez ni cœur ni pitié. C'est l'influence d'Harry qui a fait cela, je le vois bien...

"I should object very strongly, Harry," said Hallward.

- Eh ! eh ! je m'y opposerais d'ailleurs, dit le peintre.

"Oh, your theories about life, your theories about love, your theories about pleasure. All your theories, in fact, Harry."

- Eh ! vos théories sur la vie, vos théories sur l'amour, celles sur le plaisir. Toutes vos théories, en un mot, Harry...

"Then you shall come; and you will come, too, Basil, won't you?"

- Eh bien, venez, et vous aussi, n'est-ce pas, Basil.

"Ah, my dear Basil, that is exactly why I can feel it. Those who are faithful know only the trivial side of love: it is the faithless who know love's tragedies." And Lord Henry struck a light on a dainty silver case and began to smoke a cigarette with a self-conscious and satisfied air, as if he had summed up the world in a phrase.

- Eh mon cher Basil, c'est justement à cause de cela que je sens. Ceux qui sont fidèles connaissent seulement le côté trivial de l'amour ; c'est la trahison qui en connaît les tragédies. Et lord Henry frottant une allumette sur une jolie boîte d'argent, commença à fumer avec la placidité d'une conscience tranquille et un air satisfait, comme s'il avait défini le monde en une phrase.

"She will never come to life again now," muttered the lad, burying his face in his hands.

- Elle ne ressuscitera plus jamais, maintenant, dit le jeune homme, la face dans ses mains.

"Her name is Sibyl Vane."

- Elle s'appelle Sibyl Vane.

"She behaves as if she was beautiful. Most American women do. It is the secret of their charm."

- Elle se conduit comme si elle l'était. Beaucoup d'Américaines agissent de la sorte. C'est le secret de leurs charmes.

"And yet," continued Lord Henry, in his low, musical voice, and with that graceful wave of the hand that was always so characteristic of him, and that he had even in his Eton days, "I believe that if one man were to live out his life fully and completely, were to give form to every feeling, expression to every thought, reality to every dream--I believe that the world would gain such a fresh impulse of joy that we would forget all the maladies of mediaevalism, and return to the Hellenic ideal-- to something finer, richer than the Hellenic ideal, it may be. But the bravest man amongst us is afraid of himself. The mutilation of the savage has its tragic survival in the self-denial that mars our lives. We are punished for our refusals.

- Et encore, continua la voix musicale de lord Henry sur un mode bas, avec cette gra-cieuse flexion de la main qui lui était particulièrement caractéristique et qu'il avait déjà au collège d'Eton, je crois que si un homme voulait vivre sa vie pleinement et complètement, voulait donner une forme à chaque sentiment, une expression à chaque pensée, une réalité à chaque rêve, je crois que le monde subirait une telle poussée nouvelle de joie que nous en oublierions toutes les maladies médiévales pour nous en retourner vers l'idéal grec, peut-être même à quelque chose de plus beau, de plus riche que cet idéal ! Mais le plus brave d'entre nous est épouvanté de lui-même. Le reniement de nos vies est tragiquement semblable à la mutilation des fanatiques. Nous sommes punis pour nos refus.

"And I don't forgive you for being late for dinner," broke in Lord Henry, putting his hand on the lad's shoulder and smiling as he spoke. "Come, let us sit down and try what the new chef here is like, and then you will tell us how it all came about."

- Et je vous en veux d'arriver en retard, interrompit lord Henry en mettant sa main sur l'épaule du jeune homme et souriant à ce qu'il disait. Allons, asseyons-nous et voyons ce que vaut le nouveau chef ; vous nous raconterez comment cela est arrivé.

"And he?"

- Et lui ?

"But why not?"

- Et pourquoi ?

"Why?"

- Et pourquoi ?

"And what do you propose to do?" said Lord Henry at last.

- Et que vous proposez-vous de faire, dit lord Henry, enfin.

"And those are ... ?" asked Lord Henry, helping himself to some salad.

- Et quelles sont-elles ? demanda lord Henry en se servant de la salade.

"And you know you have been a little silly, Mr. Gray, and that you don't really object to being reminded that you are extremely young."

- Et vous savez aussi que vous avez été un petit peu méchant, Mr Gray, et que vous ne pouvez vous révolter quand on vous fait souvenir que vous êtes extrêmement jeune.

"And ... Harry!"

- Et... Harry ?

"Except in America," rejoined Lord Henry languidly. "But I didn't say he was married. I said he was engaged to be married. There is a great difference. I have a distinct remembrance of being married, but I have no recollection at all of being engaged. I am inclined to think that I never was engaged."

- Excepté en Amérique, riposta lord Henry rêveusement. Mais je n'ai pas dit qu'il était marié. J'ai dit qu'il allait se marier. Il y a là une grande différence. Je me souviens parfaitement d'avoir été marié, mais je ne me rappelle plus d'avoir été fiancé. Je crois plutôt que je n'ai jamais été fiancé.

"Foolish child! foolish child!" was the parrot-phrase flung in answer. The waving of crooked, false-jewelled fingers gave grotesqueness to the words.

- Folle enfant ! folle enfant ! fut la réponse accentuée d'un geste grotesque des doigts recourbés et chargés de faux bijoux de la vieille.

"Harry, Harry, it is terrible!" cried the lad.

- Harry, Harry, c'est terrible ! cria le jeune homme.

"Harry, I can't quarrel with my two best friends at once, but between you both you have made me hate the finest piece of work I have ever done, and I will destroy it. What is it but canvas and colour? I will not let it come across our three lives and mar them."

- Harry, je ne veux pas me quereller maintenant avec mes deux meilleurs amis, mais par votre faute à tous les deux, vous me faites détester ce que j'ai jamais fait de mieux et je vais l'anéantir. Qu'est-ce après tout qu'une toile et des couleurs ? Je ne veux point que ceci puisse abîmer nos trois vies.

"Harry, how can you?"

- Harry, pouvez-vous dire ?

"Harry," cried Dorian Gray, coming over and sitting down beside him, "why is it that I cannot feel this tragedy as much as I want to? I don't think I am heartless. Do you?"

- Harry, s'écria Dorian Gray venant s'asseoir près de lui, pourquoi est-ce que je ne puis sentir cette tragédie comme je voudrais le faire ; je ne suis pas sans cœur, n'est-ce pas ?

"I do not understand you," said Sir Thomas, growing rather red.

- Je ne vous comprends pas, dit sir Thomas, le visage empourpré.

"I want you to beware of him."

- Il faut vous méfier de lui.

"He had better."

- Il fera bien !

"It is only the sacred things that are worth touching, Dorian," said Lord Henry, with a strange touch of pathos in his voice. "But why should you be annoyed? I suppose she will belong to you some day. When one is in love, one always begins by deceiving one's self, and one always ends by deceiving others. That is what the world calls a romance. You know her, at any rate, I suppose?"

- Il n'y a que les choses sacrées qui méritent d'être recherchées, Dorian, dit lord Harry d'une voix étrangement pénétrante. Mais pourquoi vous inquiéter ? Je suppose qu'elle sera à vous quelque jour. Quand on est amoureux, on s'abuse d'abord soi-même et on finit toujours par abuser les autres. C'est ce que le monde appelle un roman. Vous la connaissez, en tout cas, j'imagine ?

"He has certainly not been paying me compliments. Perhaps that is the reason that I don't believe anything he has told me."

- Il ne m'a certainement pas complimenté. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je ne veux rien croire de ce qu'il m'a raconté.

"He won't like you the better for keeping your promises. He always breaks his own. I beg you not to go."

- Il ne vous en voudra pas beaucoup de manquer à votre parole ; il manque assez sou-vent à la sienne. Je vous demande de n'y pas aller.

"He is called Prince Charming. Don't you like the name. Oh! you silly boy! you should never forget it. If you only saw him, you would think him the most wonderful person in the world. Some day you will meet him--when you come back from Australia. You will like him so much. Everybody likes him, and I ... love him. I wish you could come to the theatre to-night. He is going to be there, and I am to play Juliet. Oh! how I shall play it! Fancy, Jim, to be in love and play Juliet! To have him sitting there! To play for his delight! I am afraid I may frighten the company, frighten or enthrall them. To be in love is to surpass one's self. Poor dreadful Mr. Isaacs will be shouting 'genius' to his loafers at the bar. He has preached me as a dogma; to-night he will announce me as a revelation. I feel it. And it is all his, his only, Prince Charming, my wonderful lover, my god of graces. But I am poor beside him. Poor? What does that matter? When poverty creeps in at the door, love flies in through the window. Our proverbs want rewriting. They were made in winter, and it is summer now; spring-time for me, I think, a very dance of blossoms in blue skies."

- Il s'appelle le Prince Charmant. N'aimez-vous pas ce nom. Méchant garçon, ne l'oubliez jamais. Si vous l'aviez seulement vu, vous l'auriez jugé l'être le plus merveilleux du monde. Un jour vous le rencontrerez quand vous reviendrez d'Australie. Vous l'aimerez beaucoup. Tout le monde l'aime, et moi... je l'adore ! Je voudrais que vous puissiez venir au théâtre ce soir. Il y sera et je jouerai Juliette. Oh ! comme je jouerai ! Pensez donc, Jim ! être amoureuse et jouer Juliette ! Et le voir assis en face de moi ! Jouer pour son seul plaisir ! J'ai peur d'effrayer le public, de l'effrayer ou de le subjuguer. Être amoureuse, c'est se surpasser. Ce pauvre Mr Isaacs criera au génie à tous ses fainéants du bar. Il me prêchait comme un dogme ; ce soir, il m'annoncera comme une révélation, je le sens. Et c'est son œuvre à lui seul, au Prince Charmant, mon merveilleux amoureux, mon Dieu de grâces. Mais je suis pauvre auprès de lui. Pauvre ? Qu'est-ce que ça fait ? Quand la pauvreté entre sournoisement par la porte, l'amour s'introduit par la fenêtre. On devrait refaire nos proverbes. Ils ont été inventés en hiver et maintenant voici l'été, c'est le printemps pour moi, je pense, une vraie ronde de fleurs dans le ciel bleu.

"He wants to enslave you."

- Il veut faire de vous une esclave !

"They go to America," murmured Lord Henry.

- Ils vont en Amérique, dit lord Henry.

"I adore simple pleasures," said Lord Henry. "They are the last refuge of the complex. But I don't like scenes, except on the stage. What absurd fellows you are, both of you! I wonder who it was defined man as a rational animal. It was the most premature definition ever given. Man is many things, but he is not rational. I am glad he is not, after all-- though I wish you chaps would not squabble over the picture. You had much better let me have it, Basil. This silly boy doesn't really want it, and I really do."

- J'adore les plaisirs simples, dit lord Henry. Ce sont les derniers refuges des êtres complexes. Mais je n'aime pas les... scènes, excepté sur les planches. Quels drôles de corps vous êtes, tous deux ! Je m'étonne qu'on ait défini l'homme un animal raisonnable ; pour prématurée, cette définition l'est. L'homme est bien des choses, mais il n'est pas raisonnable... Je suis charmé qu'il ne le soit pas après tout... Je désire surtout que vous ne vous querelliez pas à propos de ce portrait ; tenez Basil, vous auriez mieux fait de me l'abandonner. Ce méchant garçon n'en a pas aussi réellement besoin que moi...

"I quite forget what I said," smiled Lord Henry. "Was it all very bad?"

- J'ai complètement oublié ce que j'ai dit, repartit lord Henry en souriant. Était-ce tout à fait mal ?

"I hear a gentleman comes every night to the theatre and goes behind to talk to her. Is that right? What about that?"

- J'ai entendu dire qu'un monsieur venait chaque soir au théâtre et passait dans la cou-lisse pour lui parler. Est-ce bien ? Qu'est-ce que cela veut dire ?

"I am afraid it is not Harry, Mr. Gray," answered a shrill voice.

- J'ai peur que ce ne soit point Harry, Mr Gray, répondit une voix claire.

"I fear you are right," answered Mr. Erskine. "I myself used to have literary ambitions, but I gave them up long ago. And now, my dear young friend, if you will allow me to call you so, may I ask if you really meant all that you said to us at lunch?"

- J'ai peur que vous n'ayez raison, répondit Mr Erskine ; j'ai eu moi-même une ambi-tion littéraire, mais je l'ai abandonnée il y a longtemps. Et maintenant, mon cher et jeune ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi, puis-je vous demander si vous pensiez réellement tout ce que vous nous avez dit en déjeunant.

"I am sixteen," he answered, "and I know what I am about. Mother is no help to you. She doesn't understand how to look after you. I wish now that I was not going to Australia at all. I have a great mind to chuck the whole thing up. I would, if my articles hadn't been signed."

- J'ai seize ans, répondit-il, et je sais ce que je suis. Mère ne vous sert à rien. Elle ne sait pas comment il faut vous surveiller ; je voudrais maintenant ne plus aller en Australie. J'ai une grande envie d'envoyer tout promener. Je le ferais si mon engagement n'était pas signé.

"I have known everything," said Lord Henry, with a tired look in his eyes, "but I am always ready for a new emotion. I am afraid, however, that, for me at any rate, there is no such thing. Still, your wonderful girl may thrill me. I love acting. It is so much more real than life. Let us go. Dorian, you will come with me. I am so sorry, Basil, but there is only room for two in the brougham. You must follow us in a hansom."

- J'ai tout connu, dit lord Henry avec un regard fatigué, mais toute nouvelle émotion me trouve prêt. Hélas ! Je crains qu'il n'y en ait plus pour moi. Cependant, votre merveilleuse jeune fille peut m'émouvoir. J'adore le théâtre. C'est tellement plus réel que la vie. Allons-nous-en... Dorian, vous monterez avec moi... Je suis désolé, Basil, mais il n'y a seulement place que pour deux dans mon brougham. Vous nous suivrez dans un hansom.

"I am too fond of reading books to care to write them, Mr. Erskine. I should like to write a novel certainly, a novel that would be as lovely as a Persian carpet and as unreal. But there is no literary public in England for anything except newspapers, primers, and encyclopaedias. Of all people in the world the English have the least sense of the beauty of literature."

- J'aime trop à lire ceux des autres pour songer à en écrire moi-même, monsieur Ers-kine. J'aimerais à écrire un roman, en effet, mais un roman qui serait aussi adorable qu'un tapis de Perse et aussi irréel. Malheureusement, il n'y a pas en Angleterre de public littéraire excepté pour les journaux, les bibles et les encyclopédies ; moins que tous les peuples du monde, les Anglais ont le sens de la beauté littéraire.

"I should like to come to the theatre with you, Lord Henry," said the lad.

- J'aimerais aller au théâtre avec vous, lord Henry, dit le jeune homme.

"I shall be charmed. A visit to Treadley would be a great privilege. It has a perfect host, and a perfect library."

- J'en serai charmé ; une visite à Treadley est une grande faveur. L'hôte en est parfait et la bibliothèque aussi parfaite.

"I felt sure you had. Did you make a scene with her?"

- J'en étais sûr. Vous lui fîtes une scène ?

"I hope the girl is good, Harry. I don't want to see Dorian tied to some vile creature, who might degrade his nature and ruin his intellect."

- J'espère pour lui, Harry, que c'est une bonne fille. Je n'aimerais pas voir Dorian lié à quelque vile créature, qui dégraderait sa nature et ruinerait son intelligence.

"I hope he will fall into proper hands," continued the old man. "He should have a pot of money waiting for him if Kelso did the right thing by him. His mother had money, too. All the Selby property came to her, through her grandfather. Her grandfather hated Kelso, thought him a mean dog. He was, too. Came to Madrid once when I was there. Egad, I was ashamed of him. The Queen used to ask me about the English noble who was always quarrelling with the cabmen about their fares. They made quite a story of it. I didn't dare show my face at Court for a month. I hope he treated his grandson better than he did the jarvies."

- J'espère qu'il tombera dans de bonnes mains, continua le vieux gentleman. Il doit avoir une jolie somme qui l'attend, si Kelso a bien fait les choses à son égard. Sa mère avait aussi de la fortune. Toutes les propriétés de Selby lui sont revenues, par son grand-père. Celui-ci haïssait Kelso, le jugeant un horrible Harpagon. Et il l'était bien ! Il vint une fois à Madrid lorsque j'y étais... Ma foi ! j'en fus honteux. La reine me demandait quel était ce gentilhomme Anglais qui se querellait sans cesse avec les cochers pour les payer. Ce fut toute une histoire. Un mois durant je n'osais me montrer à la Cour. J'espère qu'il a mieux traité son petit-fils que ces drôles.

"I hope you will always be very happy, Dorian," said Hallward, "but I don't quite forgive you for not having let me know of your engagement. You let Harry know."

- J'espère que vous serez toujours très heureux, Dorian, dit Hallward, mais je vous en veux de m'avoir laissé ignorer vos fiançailles. Harry les connaissait.

"There is no such thing as a good influence, Mr. Gray. All influence is immoral--immoral from the scientific point of view."

- J'ignore ce que les gens entendent par une bonne influence, Mr Gray. Toute influence est immorale... immorale, au point de vue scientifique...

"Never."

- Jamais.

"James, you really talk very strangely. Of course I watch over Sibyl."

- James, vous parlez étrangement. Sans doute, je veille sur Sibyl.

"I trust you."

- Je compte sur vous.

"I know that look. It depresses me," murmured Lord Henry, examining his rings.

- Je connais cet air-là. Il me décourage, murmura lord Harry, en examinant ses bagues.

"I wonder is that really so, Harry?" said Dorian Gray, putting some perfume on his handkerchief out of a large, gold-topped bottle that stood on the table. "It must be, if you say it. And now I am off. Imogen is waiting for me. Don't forget about to-morrow. Good-bye."

- Je crois que c'est vraiment ainsi, Harry ? dit Dorian Gray parfumant son mouchoir à un gros flacon au bouchon d'or qui se trouvait sur la table. Cela doit être puisque vous le dites. Et maintenant je m'en vais. Imogène m'attend, n'oubliez pas pour demain... Au revoir.

"I wish she were ill," he rejoined. "But she seems to me to be simply callous and cold. She has entirely altered. Last night she was a great artist. This evening she is merely a commonplace mediocre actress."

- Je désire qu'elle l'ait été, continua-t-il ; mais elle me semble, à moi, insensible et froide. Elle est entièrement changée. Hier, ce fut une grande artiste ; ce soir, c'est une actrice médiocre et commune.

"I shudder at the thought of being free."

- Je frémis à l'idée d'être libre !

"I was terribly cruel to her. You forget that."

- Je fus bien cruel envers elle, vous l'oubliez...

"I was brutal, Harry--perfectly brutal. But it is all right now. I am not sorry for anything that has happened. It has taught me to know myself better."

- Je fus brutal, Harry, parfaitement brutal. Mais c'est fini maintenant. Je ne suis pas fâché que cela soit arrivé. Cela m'a appris à me mieux connaître.

"I believe she has made up her mind to propose to him, Duchess."

- Je pense qu'elle a bien l'intention de le lui proposer, Duchesse.

"I am going," he said at last in his calm clear voice. "I don't wish to be unkind, but I can't see you again. You have disappointed me."

- Je m'en vais, dit-il, d'une calme voix claire. Je ne veux pas être cruel davantage, mais je ne puis vous revoir. Vous m'avez dépouillé de toutes mes illusions...

"I should have objected very strongly this morning, Lord Henry."

- Je me serais carrément révolté ce matin, lord Henry.

"I have no doubt it was not an accident, Dorian, though it must be put in that way to the public. It seems that as she was leaving the theatre with her mother, about half-past twelve or so, she said she had forgotten something upstairs. They waited some time for her, but she did not come down again. They ultimately found her lying dead on the floor of her dressing-room. She had swallowed something by mistake, some dreadful thing they use at theatres. I don't know what it was, but it had either prussic acid or white lead in it. I should fancy it was prussic acid, as she seems to have died instantaneously."

- Je n'ai aucun doute ; ce n'est pas un accident, Dorian, quoique le public puisse le croire. Il paraîtrait que lorsqu'elle allait quitter le théâtre avec sa mère, vers minuit et demie environ, elle dit qu'elle avait oublié quelque chose chez elle... On l'attendit quelque temps, mais elle ne redescendait point. On monta et on la trouva morte sur le plancher de sa loge. Elle avait avalé quelque chose par erreur, quelque chose de terrible dont on fait usage dans les théâtres. Je ne sais ce que c'était, mais il devait y avoir de l'acide prussique ou du blanc de céruse là-dedans. Je croirais volontiers à de l'acide prussique, car elle semble être morte instan-tanément...

"There is really not much to tell," cried Dorian as they took their seats at the small round table. "What happened was simply this. After I left you yesterday evening, Harry, I dressed, had some dinner at that little Italian restaurant in Rupert Street you introduced me to, and went down at eight o'clock to the theatre. Sibyl was playing Rosalind. Of course, the scenery was dreadful and the Orlando absurd. But Sibyl! You should have seen her! When she came on in her boy's clothes, she was perfectly wonderful. She wore a moss-coloured velvet jerkin with cinnamon sleeves, slim, brown, cross-gartered hose, a dainty little green cap with a hawk's feather caught in a jewel, and a hooded cloak lined with dull red. She had never seemed to me more exquisite. She had all the delicate grace of that Tanagra figurine that you have in your studio, Basil. Her hair clustered round her face like dark leaves round a pale rose. As for her acting--well, you shall see her to-night. She is simply a born artist.

- Je n'ai vraiment rien à vous raconter, s'écria Dorian, comme ils prenaient place autour de la table. Voici simplement ce qui arrive. En vous quittant hier soir, Harry, je m'habillai et j'allai dîner à ce petit restaurant italien de Rupert Street où vous m'avez conduit, puis me dirigeai vers les huit heures au théâtre. Sibyl jouait Rosalinde. Naturellement les décors étaient ignobles et Orlando absurde. Mais Sibyl !... Ah ! si vous l'aviez vue ! Quand elle vint habillée dans ses habits de garçon, elle était parfaitement adorable. Elle portait un pourpoint de velours mousse avec des manches de nuance cannelle, des hauts-de-chausses marron clair aux lacets croisés, un joli petit chapeau vert surmonté d'une plume de faucon tenue par un diamant et un capuchon doublé de rouge foncé. Elle ne me sembla jamais plus exquise. Elle avait toute la grâce de cette figurine de Tanagra que vous avez dans votre atelier, Basil. Ses cheveux autour de sa face lui donnaient l'air d'une pâle rose entourée de feuilles sombres. Quant à son jeu !... vous la verrez ce soir !... Elle est née artiste.

"I never approve, or disapprove, of anything now. It is an absurd attitude to take towards life. We are not sent into the world to air our moral prejudices. I never take any notice of what common people say, and I never interfere with what charming people do. If a personality fascinates me, whatever mode of expression that personality selects is absolutely delightful to me. Dorian Gray falls in love with a beautiful girl who acts Juliet, and proposes to marry her. Why not? If he wedded Messalina, he would be none the less interesting. You know I am not a champion of marriage. The real drawback to marriage is that it makes one unselfish. And unselfish people are colourless. They lack individuality.

- Je n'approuve jamais quoi que ce soit, et ne désapprouve davantage. C'est prendre dans la vie une attitude absurde. Nous ne sommes pas mis au monde pour combattre nos préjugés moraux. Je ne fais pas attention à ce que disent les gens vulgaires, et je n'interviens jamais dans ce que peuvent faire les gens charmants. Si une personnalité m'attire, quel que soit le mode d'expression que cette personnalité puisse choisir, je le trouve tout à fait charmant. Dorian Gray tombe amoureux d'une belle fille qui joue Juliette et se propose de l'épouser. Pourquoi pas ?... Croyez-vous que s'il épousait Messaline, il en serait moins intéressant ? Vous savez que je ne suis pas un champion du mariage. Le seul mécompte du mariage est qu'il fait celui qui le consomme un altruiste ; et les altruistes sont sans couleur ; ils manquent d'individualité.

"Never heard of her."

- Je n'en ai jamais entendu parler.

"I am not surprised."

- Je n'en suis pas surpris.

"I think I shall join you at the opera, Harry. I feel too tired to eat anything. What is the number of your sister's box?"

- Je pense que je vous rejoindrai à l'Opéra, Harry. Je suis trop fatigué pour manger quoi que ce soit. Quel est le numéro de la loge de votre sœur ?

"There is no necessity," rejoined his companion. "Life has always poppies in her hands. Of course, now and then things linger. I once wore nothing but violets all through one season, as a form of artistic mourning for a romance that would not die. Ultimately, however, it did die. I forget what killed it. I think it was her proposing to sacrifice the whole world for me. That is always a dreadful moment. It fills one with the terror of eternity. Well--would you believe it?--a week ago, at Lady Hampshire's, I found myself seated at dinner next the lady in question, and she insisted on going over the whole thing again, and digging up the past, and raking up the future. I had buried my romance in a bed of asphodel. She dragged it out again and assured me that I had spoiled her life.

- Je n'en vois pas la nécessité, répliqua son compagnon. La vie a toujours des pavots dans les mains. Certes, de temps à autre, les choses durent. Une fois, je ne portais que des violettes toute une saison, comme manière artistique de porter le deuil d'une passion qui ne voulait mourir. Enfin, elle mourut, je ne sais ce qui la tua. Je pense que ce fut la proposition de sacrifier le monde entier pour moi ; c'est toujours un moment ennuyeux : cela vous remplit de la terreur de l'éternité. Eh bien ! le croyez-vous, il y a une semaine, je me trouvai chez lady Hampshire, assis au dîner près de la dame en question et elle insista pour recommencer de nouveau, en déblayant le passé et ratissant le futur. J'avais enterré mon roman dans un lit d'asphodèles ; elle prétendait l'exhumer et m'assurait que je n'avais pas gâté sa vie.

"I don't think I am likely to marry, Harry. I am too much in love. That is one of your aphorisms. I am putting it into practice, as I do everything that you say."

- Je ne crois pas que je sois en train de me marier, Harry. Je suis trop amoureux. Voilà un de vos aphorismes, je le mets en pratique, comme tout ce que vous dites.

"I can't, Basil."

- Je ne le puis, Basil.

"I don't feel that, Lord Henry."

- Je ne m'en soucie pas.

"I can't believe it. Dorian is far too sensible." "Dorian is far too wise not to do foolish things now and then, my dear Basil."

- Je ne puis le croire... Lui, si raisonnable !... - Dorian est trop sage, effectivement, pour ne pas faire de sottes choses de temps à autre, mon cher Basil.

"I can't, really. I would sooner not. I have a lot of work to do."

- Je ne puis pas, vraiment... Je préfère rester, j'ai un tas de choses à faire.

"I should not wonder if he was quite right there. But, on the other hand, judging from their appearance, most of them cannot be at all expensive."

- Je ne puis rien dire du premier point, mais pour le second, à en juger par les appa-rences, ils ne doivent pas coûter bien cher.

"I am not laughing, Dorian; at least I am not laughing at you. But you should not say the greatest romance of your life. You should say the first romance of your life. You will always be loved, and you will always be in love with love. A grande passion is the privilege of people who have nothing to do. That is the one use of the idle classes of a country. Don't be afraid. There are exquisite things in store for you. This is merely the beginning."

- Je ne ris pas, Dorian ; tout au moins je ne ris pas de vous, mais il ne faut pas dire : le plus magnifique roman de toute votre vie. Il faut dire le premier roman de votre vie. Vous serez toujours aimé, et vous serez toujours amoureux. Une grande passion est le lot de ceux qui n'ont rien à faire. C'est la seule utilité des classes désœuvrées dans un pays. N'ayez crainte. Des joies exquises vous attendent. Ceci n'en est que le commencement.

"I don't know that I shall tell you that, Mr. Gray. It is so tedious a subject that one would have to talk seriously about it. But I certainly shall not run away, now that you have asked me to stop. You don't really mind, Basil, do you? You have often told me that you liked your sitters to have some one to chat to."

- Je ne sais ce que je dois vous répondre, Mr Gray. C'est un sujet si assommant qu'on ne peut en parler que sérieusement... Mais je ne m'en irai certainement pas, puisque vous me demandez de rester. Vous ne tenez pas absolument à ce que je m'en aille, Basil, n'est-ce pas ? Ne m'avez-vous dit souvent que vous aimiez avoir quelqu'un pour bavarder avec vos mo-dèles ?

"I don't know what you mean, Basil," he exclaimed, turning round. "I don't know what you want. What do you want?"

- Je ne sais ce que vous voulez dire, Basil, s'écria-t-il en se retournant. Je ne sais ce que vous voulez ! Que voulez-vous ?

"I don't know how we could manage without him," answered the elder woman querulously.

- Je ne sais pas comment nous nous en serions tirés sans lui, répliqua la vieille femme en gémissant.

"I am so glad I have found you, Dorian," he said gravely. "I called last night, and they told me you were at the opera. Of course, I knew that was impossible. But I wish you had left word where you had really gone to. I passed a dreadful evening, half afraid that one tragedy might be followed by another. I think you might have telegraphed for me when you heard of it first. I read of it quite by chance in a late edition of The Globe that I picked up at the club. I came here at once and was miserable at not finding you. I can't tell you how heart-broken I am about the whole thing. I know what you must suffer. But where were you? Did you go down and see the girl's mother? For a moment I thought of following you there. They gave the address in the paper. Somewhere in the Euston Road, isn't it? But I was afraid of intruding upon a sorrow that I could not lighten. Poor woman! What a state she must be in! And her only child, too! What did she say about it all?"

- Je suis bien heureux de vous trouver, Dorian, dit-il gravement. Je suis venu hier soir et on m'a dit que vous étiez à l'Opéra. Je savais que c'était impossible. Mais j'aurais voulu que vous m'eussiez laissé un mot, me disant où vous étiez allé. J'ai passé une bien triste soirée, craignant qu'une première tragédie soit suivie d'une autre. Vous auriez dû me télégraphier dès que vous en avez entendu parler. Je l'ai lu par hasard dans la dernière édition du Globe au club. Je vins aussitôt ici et je fus vraiment désolé de ne pas vous trouver. Je ne saurais vous dire combien j'ai eu le cœur brisé par tout cela. Je sais ce que vous devez souffrir. Mais où étiez-vous ? Êtes-vous allé voir la mère de la pauvre fille ? Un instant, J'avais songé à vous y chercher. On avait mis l'adresse dans le journal. Quelque part dans Euston Road, n'est-ce pas ? Mais j'eus peur d'importuner une douleur que je ne pouvais consoler. Pauvre femme ! Dans quel état elle devait être ! Son unique enfant !... Que disait-elle ?

"I am afraid that women appreciate cruelty, downright cruelty, more than anything else. They have wonderfully primitive instincts. We have emancipated them, but they remain slaves looking for their masters, all the same. They love being dominated. I am sure you were splendid. I have never seen you really and absolutely angry, but I can fancy how delightful you looked. And, after all, you said something to me the day before yesterday that seemed to me at the time to be merely fanciful, but that I see now was absolutely true, and it holds the key to everything."

- Je suis certain que les femmes apprécient la cruauté, la vraie cruauté, plus que n'importe quoi. Elles ont d'admirables instincts primitifs. Nous les avons émancipées, mais elles n'en sont pas moins restées des esclaves cherchant leurs maîtres ; elles aiment être do-minées. Je suis sûr que vous fûtes splendide !... Je ne vous ai jamais vu dans une véritable colère, mais je m'imagine combien vous devez être charmant. Et d'ailleurs, vous m'avez dit quelque chose avant-hier, qui me parut alors quelque peu fantaisiste, mais que je sens mainte-nant parfaitement vrai, et qui me donne la clef de tout...

"I am glad you appreciate my work at last, Dorian," said the painter coldly when he had recovered from his surprise. "I never thought you would."

- Je suis charmé de vous voir apprécier enfin mon œuvre, dit le peintre froidement, en reprenant son calme. Je n'aurais jamais attendu cela de vous...

"I am very glad you didn't, Harry."

- Je suis heureux que vous ne l'ayez point su.

"I am jealous of everything whose beauty does not die. I am jealous of the portrait you have painted of me. Why should it keep what I must lose? Every moment that passes takes something from me and gives something to it. Oh, if it were only the other way! If the picture could change, and I could be always what I am now! Why did you paint it? It will mock me some day--mock me horribly!" The hot tears welled into his eyes; he tore his hand away and, flinging himself on the divan, he buried his face in the cushions, as though he was praying.

- Je suis jaloux de toute chose dont la beauté ne meurt pas. Je suis jaloux de mon por-trait !... Pourquoi gardera-t-il ce que moi je perdrai. Chaque moment qui passe me prend quelque chose, et embellit ceci. Oh ! si cela pouvait changer ! Si ce portrait pouvait vieillir ! Si je pouvais rester tel que je suis !... Pourquoi avez-vous peint cela ? Quelle ironie, un jour ! Quelle terrible ironie ! Des larmes brûlantes emplissaient ses yeux... Il se tordait les mains. Soudain il se pré-cipita sur le divan et ensevelit sa face dans les coussins, à genoux comme s'il priait...

"I am charmed, my love, quite charmed," said Lord Henry, elevating his dark, crescent-shaped eyebrows and looking at them both with an amused smile. "So sorry I am late, Dorian. I went to look after a piece of old brocade in Wardour Street and had to bargain for hours for it. Nowadays people know the price of everything and the value of nothing."

- Je suis ravi, ma chérie, tout à fait ravi, dit lord Henry élevant ses sourcils noirs et ar-qués et les regardant tous deux avec un sourire amusé. Je suis vraiment fâché d'être si en retard, Dorian ; j'ai été à Wardour Street chercher un morceau de vieux brocard et j'ai dû marchander des heures ; aujourd'hui, chacun sait le prix de toutes choses, et nul ne connaît la valeur de quoi que ce soit.

"I stayed when you asked me," was Lord Henry's answer.

- Je suis resté parce que vous me l'avez demandé, riposta lord Henry.

"I am all expectation, Basil," continued his companion, glancing at him.

- Je suis tout oreilles, Basil, continua son compagnon.

"I am too shabby," he answered, frowning. "Only swell people go to the park."

- Je suis trop râpé, répliqua-t-il en se renfrognant. Il n'y a que les gens chics qui vont au Parc.

"I am so sorry for it all, Dorian," said Lord Henry as he entered. "But you must not think too much about it."

- Je suis vraiment fâché de mon insistance, Dorian, dit lord Henry en entrant. Mais vous ne devez pas trop songer à cela.

"I should think The Idiot Boy, or Dumb but Innocent. Our fathers used to like that sort of piece, I believe. The longer I live, Dorian, the more keenly I feel that whatever was good enough for our fathers is not good enough for us. In art, as in politics, les grandpères ont toujours tort."

- Je suppose « L'idiot, ou le muet innocent ». Nos pères aimaient assez ces sortes de pièces. Plus je vis, Dorian, plus je sens vivement que ce qui était bon pour nos pères, n'est pas bon pour nous. En art, comme en politique, les grands-pères ont toujours tort.

"I must sow poppies in my garden," sighed Dorian.

- Je sèmerai des pavots dans mon jardin, soupira Dorian.

"I am afraid I must be going," exclaimed Lady Henry, breaking an awkward silence with her silly sudden laugh. "I have promised to drive with the duchess. Good-bye, Mr. Gray. Good-bye, Harry. You are dining out, I suppose? So am I. Perhaps I shall see you at Lady Thornbury's."

- Je vais être obligé de partir, s'exclama lady Henry, rompant le silence d'un intempes-tif éclat de rire. J'ai promis à la Duchesse de l'accompagner en voiture. Au revoir, Mr Gray, au revoir Harry. Vous dînez dehors, je suppose ? Moi aussi. Peut-être vous retrouverai-je chez Lady Thornbury.

"I want him to play to me," cried Lord Henry, smiling, and he looked down the table and caught a bright answering glance.

- Je veux qu'il joue pour moi seul, s'écria lord Henry souriant, et regardant vers le bas de la table il saisit un coup d'œil brillant qui lui répondait.

"I must go, Basil," he answered.

- Je veux sortir, Basil, décida-t-il.

"I want you and Basil to come with me some night and see her act. I have not the slightest fear of the result. You are certain to acknowledge her genius. Then we must get her out of the Jew's hands. She is bound to him for three years--at least for two years and eight months-- from the present time. I shall have to pay him something, of course. When all that is settled, I shall take a West End theatre and bring her out properly. She will make the world as mad as she has made me."

- Je voudrais que vous et Basil veniez avec moi la voir jouer un de ces soirs. Je n'ai pas le plus léger doute du résultat. Vous reconnaîtrez certainement son talent. Alors nous la retire-rons des mains du juif. Elle est engagée avec lui pour trois ans, au moins pour deux ans et huit mois à présent. J'aurai quelque chose a payer, sans doute. Quand cela sera fait, je prendrai un théâtre du West-End et je la produirai convenablement. Elle rendra le monde aussi fou que moi.

"I want the Dorian Gray I used to paint," said the artist sadly.

- Je voudrais retrouver le Dorian Gray que j'ai peint, dit l'artiste, tristement.

"I am waiting," he cried. "Do come in. The light is quite perfect, and you can bring your drinks."

- Je vous attends. Rentrez donc. La lumière est très bonne en ce moment et vous pou-vez apporter vos boissons.

"I entreat you."

- Je vous en conjure...

"I congratulate you."

- Je vous en félicite.

"I will tell you some other time. Now I want to know about the girl."

- Je vous le dirai une autre fois. Pour le moment je voudrais savoir ce qu'il advint de la petite ?

"I will tell you, Harry, but you mustn't be unsympathetic about it. After all, it never would have happened if I had not met you. You filled me with a wild desire to know everything about life. For days after I met you, something seemed to throb in my veins. As I lounged in the park, or strolled down Piccadilly, I used to look at every one who passed me and wonder, with a mad curiosity, what sort of lives they led. Some of them fascinated me. Others filled me with terror. There was an exquisite poison in the air. I had a passion for sensations. . . .

- Je vous le dirai, Harry ; mais il ne faut pas vous moquer de moi... Après tout, cela ne serait jamais arrivé, si je ne vous avais rencontré. Vous m'aviez rempli d'un ardent désir de tout savoir de la vie. Pendant des jours après notre rencontre quelque chose de nouveau sem-blait battre dans mes veines. Lorsque je flânais dans Hyde Park ou que je descendais Piccadil-ly, je regardais tous les passants, imaginant avec une curiosité folle quelle sorte d'existence ils pouvaient mener. Quelques-uns me fascinaient. D'autres me remplissaient de terreur. Il y avait comme un exquis poison dans l'air. J'avais la passion de ces sensations...

"Appreciate it? I am in love with it, Basil. It is part of myself. I feel that."

- L'apprécier ?... Je l'adore, Basil. Je sens que c'est un peu de moi-même.

"Have you seen her to-day?" asked Lord Henry.

- L'avez-vous vue aujourd'hui ? demanda lord Henry.

"Oh, the obvious consolation. Taking some one else's admirer when one loses one's own. In good society that always whitewashes a woman. But really, Dorian, how different Sibyl Vane must have been from all the women one meets! There is something to me quite beautiful about her death. I am glad I am living in a century when such wonders happen. They make one believe in the reality of the things we all play with, such as romance, passion, and love."

- La consolation évidente : prendre un nouvel adorateur quand on en perd un. Dans la bonne société, cela vous rajeunit toujours une femme... Mais réellement, Dorian, combien Sibyl Vane devait être dissemblable des femmes que nous rencontrons. Il y a quelque chose d'absolument beau dans sa mort. - Je suis heureux de vivre dans un siècle où de pareils miracles se produisent. Ils nous font croire à la réalité des choses avec lesquelles nous jouons, comme le roman, la passion, l'amour...

"The same flesh and blood as one's self! Oh, I hope not!" exclaimed Lord Henry, who was scanning the occupants of the gallery through his opera-glass.

- La même chair et le même sang que soi-même ! Oh ! je ne crois pas, s'exclama lord Henry qui passait en revue les spectateurs de la galerie avec sa lorgnette.

"Society!" muttered the lad. "I don't want to know anything about that. I should like to make some money to take you and Sibyl off the stage. I hate it."

- La société, murmura le jeune homme... Je ne veux rien en connaître. Je voudrais ga-gner assez d'argent pour vous faire quitter le théâtre, vous et Sibyl. Je le hais.

"Life has everything in store for you, Dorian. There is nothing that you, with your extraordinary good looks, will not be able to do."

- La vie a tout en réserve pour vous, Dorian. Il n'est rien, avec votre extraordinaire beauté, que vous ne soyez capable de faire.

"Prince Charming," she answered, looking after the victoria.

- Le Prince Charmant ! répondit-elle regardant la victoria.

"The Jew wanted to tell me her history, but I said it did not interest me."

- Le juif voulait me raconter son histoire, mais je lui dis qu'elle ne m'intéressait pas.

"Marriage is hardly a thing that one can do now and then, Harry."

- Le mariage est une chose qu'on ne peut faire de temps à autre, Harry.

"But must we really see Chicago in order to be educated?" asked Mr. Erskine plaintively. "I don't feel up to the journey."

- Mais faut-il donc que nous visitions Chicago pour notre éducation, demanda plainti-vement Mr Erskine... J'augure peu du voyage.

"Kelso's grandson!" echoed the old gentleman. "Kelso's grandson! ... Of course.... I knew his mother intimately. I believe I was at her christening. She was an extraordinarily beautiful girl, Margaret Devereux, and made all the men frantic by running away with a penniless young fellow-- a mere nobody, sir, a subaltern in a foot regiment, or something of that kind. Certainly. I remember the whole thing as if it happened yesterday. The poor chap was killed in a duel at Spa a few months after the marriage. There was an ugly story about it.

- Le petit-fils de Kelso ! répéta le vieux gentleman. Le petit-fils de Kelso... bien sûr... j'ai connu intimement sa mère. Je crois bien que j'étais à son baptême. C'était une extraordi-nairement belle fille, cette Margaret Devereux. Elle affola tous les hommes en se sauvant avec un jeune garçon sans le sou, un rien du tout, monsieur, subalterne dans un régiment d'infanterie ou quelque chose de semblable. Certainement, je me rappelle la chose comme si elle était arrivée hier. Le pauvre diable fut tué en duel à Spa quelques mois après leur mariage. Il y eut une vilaine histoire là-dessus.

"Pleasure is the only thing worth having a theory about," he answered in his slow melodious voice. "But I am afraid I cannot claim my theory as my own. It belongs to Nature, not to me. Pleasure is Nature's test, her sign of approval. When we are happy, we are always good, but when we are good, we are not always happy."

- Le plaisir est la seule chose digne d'avoir une théorie, répondit-il de sa lente voix mélodieuse. Je crois que je ne puis la revendiquer comme mienne. Elle appartient à la Nature, et non pas à moi. Le plaisir est le caractère distinctif de la Nature, son signe d'approbation... Quand nous sommes heureux, nous sommes toujours bons, mais quand nous sommes bons, nous ne sommes pas toujours heureux.

"The third night. She had been playing Rosalind. I could not help going round. I had thrown her some flowers, and she had looked at me--at least I fancied that she had. The old Jew was persistent. He seemed determined to take me behind, so I consented. It was curious my not wanting to know her, wasn't it?"

- Le troisième soir. Elle avait joué Rosalinde. Je ne pouvais m'y décider. Je lui avais jeté des fleurs et elle m'avait regardé, du moins je me le figurais. Le vieux juif insistait. Il se montra résolu à me conduire sur le théâtre, si bien que je consentis. C'est curieux, n'est-ce pas, ce désir de ne pas faire sa connaissance ?

"Good resolutions are useless attempts to interfere with scientific laws. Their origin is pure vanity. Their result is absolutely nil. They give us, now and then, some of those luxurious sterile emotions that have a certain charm for the weak. That is all that can be said for them. They are simply cheques that men draw on a bank where they have no account."

- Les bonnes résolutions ne peuvent qu'inutilement intervenir contre les lois scienti-fiques. Leur origine est de pure vanité et leur résultat est nul. De temps à autre, elles nous donnent quelques luxueuses émotions stériles qui possèdent, pour les faibles, un certain charme. Voilà ce que l'on peut en déduire. On peut les comparer à des chèques qu'un homme tirerait sur une banque où il n'aurait point de compte ouvert.

"Women are wonderfully practical," murmured Lord Henry, "much more practical than we are. In situations of that kind we often forget to say anything about marriage, and they always remind us."

- Les femmes sont merveilleusement pratiques, murmura lord Henry, beaucoup plus pratiques que nous. Nous oublions souvent de parler mariage dans de semblables situations et elles nous en font toujours souvenir.

"People like you--the wilful sunbeams of life--don't commit crimes, Dorian. But I am much obliged for the compliment, all the same. And now tell me-- reach me the matches, like a good boy--thanks--what are your actual relations with Sibyl Vane?"

- Les gens comme vous, fatidiques rayons de soleil de l'existence, ne commettent point de crimes, Dorian. Mais je vous suis tout de même très obligé du compliment. Et maintenant, dites-moi - passez-moi les allumettes comme un gentil garçon... merci - où en sont vos relations avec Sibyl Vane.

"Paradoxes are all very well in their way... ." rejoined the baronet.

- Les paradoxes vont bien... remarqua le baronet.

"For ever, too!"

- Lui aussi, toujours !

"Upon my word, Dorian, Miss Sibyl knows how to pay compliments."

- Ma parole, Dorian, miss Sibyl sait tourner un compliment !

"But do you approve of it, Harry?" asked the painter, walking up and down the room and biting his lip. "You can't approve of it, possibly. It is some silly infatuation."

- Mais approuvez-vous cela, Harry ? demanda le peintre, marchant de long en large dans la chambre, et mordant ses lèvres. Vous ne pouvez l'approuver ! Il y a là un paradoxe de votre part.

"Oh! I should fancy in remorse, in suffering, in . . . well, in the consciousness of degradation."

- Mais en remords, je crois, en souffrances, en... ayant la conscience de sa propre in-famie...

"My dear Basil, how do I know?" murmured Dorian Gray, sipping some pale-yellow wine from a delicate, gold-beaded bubble of Venetian glass and looking dreadfully bored. "I was at the opera. You should have come on there. I met Lady Gwendolen, Harry's sister, for the first time. We were in her box. She is perfectly charming; and Patti sang divinely. Don't talk about horrid subjects. If one doesn't talk about a thing, it has never happened. It is simply expression, as Harry says, that gives reality to things. I may mention that she was not the woman's only child. There is a son, a charming fellow, I believe. But he is not on the stage. He is a sailor, or something. And now, tell me about yourself and what you are painting."

- Mon cher Basil, que sais-je ? murmura Dorian Gray en buvant à petits coups d'un vin jaune pâle dans un verre de Venise, délicatement contourné et doré, en paraissant profon-dément ennuyé. J'étais à l'Opéra, vous auriez dû y venir. J'ai rencontré pour la première lois lady Gwendoline, la sœur d'Harry. Nous étions dans sa loge. Elle est tout à fait charmante et la Patti a chanté divinement. Ne parlez pas de choses horribles. Si l'on ne parlait jamais d'une chose, ce serait comme si elle n'était jamais arrivée. C'est seulement l'expression, comme dit Harry, qui donne une réalité aux choses. Je dois dire que ce n'était pas l'unique enfant de la pauvre femme. Il y a un fils, un charmant garçon je crois. Mais il n'est pas au théâtre. C'est un marin, ou quelque chose comme cela. Et maintenant parlez-moi de vous et de ce que vous êtes en train de peindre ?

"My dear Dorian, it is quite true. I am analysing women at present, so I ought to know. The subject is not so abstruse as I thought it was. I find that, ultimately, there are only two kinds of women, the plain and the coloured. The plain women are very useful. If you want to gain a reputation for respectability, you have merely to take them down to supper. The other women are very charming. They commit one mistake, however. They paint in order to try and look young. Our grandmothers painted in order to try and talk brilliantly. Rouge and esprit used to go together. That is all over now. As long as a woman can look ten years younger than her own daughter, she is perfectly satisfied.

- Mon cher Dorian, cela est absolument vrai. J'analyse la femme en ce moment, aussi dois-je la connaître. Le sujet est moins abstrait que je ne croyais. Je trouve en somme qu'il n'y a que deux sortes de femmes, les naturelles, et les fardées. Les femmes naturelles sont très utiles ; si vous voulez acquérir une réputation de respectabilité, vous n'avez guère qu'à les conduire souper. Les autres femmes sont tout à fait agréables. Elles commettent une faute, toutefois. Elles se fardent pour essayer de se rajeunir. Nos grand-mères se fardaient pour paraître plus brillantes. Le « Rouge » et l'Esprit allaient ensemble. Tout cela est fini. Tant qu'une femme peut paraître dix ans plus jeune que sa propre fille, elle est parfaitement satis-faite.

"My dear Dorian, I should think Miss Vane was ill," interrupted Hallward. "We will come some other night."

- Mon cher Dorian, miss Vane devait être indisposée. Nous viendrons la voir quelque autre soir.

"My dear Dorian," answered Lord Henry, taking a cigarette from his case and producing a gold-latten matchbox, "the only way a woman can ever reform a man is by boring him so completely that he loses all possible interest in life. If you had married this girl, you would have been wretched. Of course, you would have treated her kindly. One can always be kind to people about whom one cares nothing. But she would have soon found out that you were absolutely indifferent to her. And when a woman finds that out about her husband, she either becomes dreadfully dowdy, or wears very smart bonnets that some other woman's husband has to pay for. I say nothing about the social mistake, which would have been abject--which, of course, I would not have allowed-- but I assure you that in any case the whole thing would have been an absolute failure."

- Mon cher Dorian, répondit lord Henry, prenant une cigarette et tirant de sa poche une boîte d'allumettes dorée, la seule manière dont une femme puisse réformer un homme est de l'importuner de telle sorte qu'il perd tout intérêt possible à l'existence. Si vous aviez épousé cette jeune fille, vous auriez été malheureux ; vous l'auriez traitée gentiment ; on peut toujours être bon envers les personnes desquelles on attend rien. Mais elle aurait bientôt découvert que vous lui étiez absolument indifférent, et quand une femme a découvert cela de son mari, ou elle se fagote terriblement, ou bien elle porte de pimpants chapeaux que paie le mari... d'une autre femme. Je ne dis rien de l'adultère, qui aurait pu être abject, qu'en somme je n'aurais pas permis, mais je vous assure en tous les cas, que tout cela eut été un parfait malentendu.

"My dear Harry, I did not treat it as a business transaction, and I did not make any formal proposal. I told her that I loved her, and she said she was not worthy to be my wife. Not worthy! Why, the whole world is nothing to me compared with her."

- Mon cher Harry, je n'ai pas traité cela comme une affaire, et je ne lui ai fait aucune proposition formelle. Je lui dis que je l'aimais, et elle me répondit qu'elle était indigne d'être ma femme. Indigne !... Le monde entier n'est rien, comparé à elle.

"My father was a scoundrel then!" cried the lad, clenching his fists.

- Mon père était un gredin, alors ! cria le jeune homme en serrant les poings.

"Monsieur has well slept this morning," he said, smiling.

- Monsieur a bien dormi ce matin, remarqua-t-il souriant.

"Too cold for Monsieur?" asked his valet, putting an omelette on the table. "I shut the window?"

- Monsieur a froid, demanda le valet en servant une omelette. Je vais fermer la fe-nêtre...

"My dear Harry, my dear Basil, you must both congratulate me!" said the lad, throwing off his evening cape with its satin-lined wings and shaking each of his friends by the hand in turn. "I have never been so happy. Of course, it is sudden-- all really delightful things are. And yet it seems to me to be the one thing I have been looking for all my life." He was flushed with excitement and pleasure, and looked extraordinarily handsome.

- Mon cher Harry, mon cher Basil, j'attends vos félicitations, dit l'adolescent en se dé-barrassant de son mac-farlane doublé de soie, et serrant les mains de ses amis. Je n'ai jamais été si heureux ! Comme tout ce qui est réellement délicieux, mon bonheur est soudain, et cependant il m'apparaît comme la seule chose que j'aie cherchée dans ma vie. Il était tout rose d'excitation et de plaisir et paraissait extraordinairement beau.

"My dear Harry, we either lunch or sup together every day, and I have been to the opera with you several times," said Dorian, opening his blue eyes in wonder.

- Mon cher Harry, nous déjeunons ou nous soupons tous les jours ensemble, et j'ai été à l'Opéra avec vous plusieurs fois, dit Dorian ouvrant ses yeux bleus étonnés.

"My dear fellow, I am so sorry. When I am painting, I can't think of anything else. But you never sat better. You were perfectly still. And I have caught the effect I wanted-- the half-parted lips and the bright look in the eyes. I don't know what Harry has been saying to you, but he has certainly made you have the most wonderful expression. I suppose he has been paying you compliments. You mustn't believe a word that he says."

- Mon cher ami, j'en suis désolé. Mais quand je peins, je ne pense à rien autre chose. Vous n'avez jamais mieux posé. Vous étiez parfaitement immobile, et j'ai saisi l'effet que je cherchais : les lèvres demi-ouvertes et l'éclair des yeux... Je ne sais pas ce que Harry a pu vous dire, mais c'est à lui certainement que vous devez cette merveilleuse expression. Je suppose qu'il vous a complimenté. Il ne faut pas croire un mot de ce qu'il dit.

"My dear fellow, I congratulate you most warmly," he said. "It is the finest portrait of modern times. Mr. Gray, come over and look at yourself."

- Mon cher ami, permettez-moi de vous féliciter chaudement, dit-il. C'est le plus beau portrait des temps modernes. Mr Gray, venez-vous regarder.

"My dear boy, no woman is a genius. Women are a decorative sex. They never have anything to say, but they say it charmingly. Women represent the triumph of matter over mind, just as men represent the triumph of mind over morals."

- Mon cher enfant, aucune femme n'est géniale. Les femmes sont un sexe décoratif. Elles n'ont jamais rien à dire, mais elles le disent d'une façon charmante. Les femmes repré-sentent le triomphe de la matière sur l'intelligence, de même que les hommes représentent le triomphe de l'intelligence sur les mœurs.

"My dear boy, the people who love only once in their lives are really the shallow people. What they call their loyalty, and their fidelity, I call either the lethargy of custom or their lack of imagination. Faithfulness is to the emotional life what consistency is to the life of the intellect--simply a confession of failure. Faithfulness! I must analyse it some day. The passion for property is in it. There are many things that we would throw away if we were not afraid that others might pick them up. But I don't want to interrupt you. Go on with your story."

- Mon cher enfant, ceux qui n'aiment qu'une fois dans leur vie sont les véritables fu-tiles. Ce qu'ils appellent leur loyauté et leur fidélité, je l'appelle ou le sommeil de l'habitude ou leur défaut d'imagination. La fidélité est à la vie sentimentale ce que la stabilité est à la vie intellectuelle, simplement un aveu d'impuissance. La fidélité ! je l'analyserai un jour. La passion de la propriété est en elle. Il y a bien des choses que nous abandonnerions si nous n'avions peur que d'autres puissent les ramasser. Mais je ne veux pas vous interrompre. Con-tinuez votre récit.

"My child! my child!" cried Mrs. Vane, looking up to the ceiling in search of an imaginary gallery.

- Mon enfant ! mon enfant ! s'écria Mme Vane, les yeux au plafond cherchant une ga-lerie imaginaire.

"My child, you are far too young to think of falling in love. Besides, what do you know of this young man? You don't even know his name. The whole thing is most inconvenient, and really, when James is going away to Australia, and I have so much to think of, I must say that you should have shown more consideration. However, as I said before, if he is rich . . ."

- Mon enfant, vous êtes beaucoup trop jeune pour songer à l'amour. Et puis, que savez-vous de ce jeune homme ? Vous ignorez même son nom. Tout cela est bien fâcheux et vraiment, au moment où James va partir en Australie et où j'ai tant de soucis, je trouve que vous devriez vous montrer moins inconsidérée. Cependant, comme je l'ai déjà dit, s'il est riche...

"My son, don't say such dreadful things," murmured Mrs. Vane, taking up a tawdry theatrical dress, with a sigh, and beginning to patch it. She felt a little disappointed that he had not joined the group. It would have increased the theatrical picturesqueness of the situation.

- Mon fils, ne dites pas d'aussi tristes choses, murmura Mme Vane, ramassant en sou-pirant un prétentieux costume de théâtre et en se mettant à le raccommoder. Elle était un peu désappointée de ce qu'il était arrivé trop tard pour se joindre au groupe de tout à l'heure. Il aurait augmenté le pathétique de la situation.

"My son, you distress me very much. Sibyl is always under my special care. Of course, if this gentleman is wealthy, there is no reason why she should not contract an alliance with him. I trust he is one of the aristocracy. He has all the appearance of it, I must say. It might be a most brilliant marriage for Sibyl. They would make a charming couple. His good looks are really quite remarkable; everybody notices them."

- Mon fils, vous me désespérez. Sibyl est toujours sous ma surveillance particulière. Sûrement, si ce gentleman est riche, il n'y a aucune raison pour qu'elle ne contracte pas une alliance avec lui. Je pense que c'est un aristocrate. il en a toutes les apparences, je dois dire. Cela pourrait être un très brillant mariage pour Sibyl. Ils feraient un charmant couple. Ses allures sont tout à fait à son avantage. Tout le monde les a remarquées.

"My uncle has already suggested pork-packing Sir Thomas."

- Mon oncle les croyait marchand de cochons, sir Thomas.

"Don't pay any attention to him, Dorian," said the painter. "I understand what you mean, and I believe in this girl. Any one you love must be marvellous, and any girl who has the effect you describe must be fine and noble. To spiritualize one's age--that is something worth doing. If this girl can give a soul to those who have lived without one, if she can create the sense of beauty in people whose lives have been sordid and ugly, if she can strip them of their selfishness and lend them tears for sorrows that are not their own, she is worthy of all your adoration, worthy of the adoration of the world. This marriage is quite right. I did not think so at first, but I admit it now. The gods made Sibyl Vane for you. Without her you would have been incomplete."

- Ne faites pas attention à lui, Dorian, dit le peintre. Je sais, moi, ce que vous voulez dire et je crois en cette jeune fille. Quiconque vous aimez doit le mériter et la personne qui a produit sur vous l'effet que vous nous avez décrit doit être noble et intelligente. Spiritualiser ses contemporains, c'est quelque chose d'appréciable... Si cette jeune fille peut donner une âme à ceux qui jusqu'alors ont vécu sans en avoir une, si elle peut révéler le sens de la Beauté aux gens dont les vies furent sordides et laides, si elle peut les dépouiller de leur égoïsme, leur prêter des larmes de tristesse qui ne sont pas leurs, elle est digne de toute votre admiration, digne de l'adoration du monde. Ce mariage est normal ; je ne le pensai pas d'abord, mais maintenant je l'admets. Les dieux ont fait Sibyl Vane pour vous ; sans elle vous auriez été incomplet.

"Don't mind him, my dear," whispered Lady Agatha. "He never means anything that he says."

- Ne faites pas attention à lui, ma chère, murmura lady Agathe, il ne sait jamais ce qu'il dit.

"Never mind that. How long have you known her?"

- Ne faites pas attention. Depuis quand la connaissez-vous ?

"Don't look so angry, Basil. It was at my aunt, Lady Agatha's. She told me she had discovered a wonderful young man who was going to help her in the East End, and that his name was Dorian Gray. I am bound to state that she never told me he was good-looking. Women have no appreciation of good looks; at least, good women have not. She said that he was very earnest and had a beautiful nature. I at once pictured to myself a creature with spectacles and lank hair, horribly freckled, and tramping about on huge feet. I wish I had known it was your friend."

- Ne me regardez pas d'un air si furieux, Basil... C'était chez ma tante, Lady Agathe. Elle me dit qu'elle avait fait la connaissance d'un « merveilleux jeune homme qui voulait bien l'accompagner dans le East End et qu'il s'appelait Dorian Gray ». Je puis assurer qu'elle ne me parla jamais de lui comme d'un beau jeune homme. Les femmes ne se rendent pas un compte exact de ce que peut être un beau jeune homme ; les braves femmes tout au moins... Elle me dit qu'il était très sérieux et qu'il avait un bon caractère. Je m'étais du coup représenté un individu avec des lunettes et des cheveux plats, des taches de rousseur, se dandinant sur d'énormes pieds... J'aurais aimé savoir que c'était votre ami.

"Don't touch me!" he cried.

- Ne me touchez pas, cria-t-il.

"Don't run down dyed hair and painted faces. There is an extraordinary charm in them, sometimes," said Lord Henry.

- Ne méprisez pas les cheveux teints et les figures peintes ; cela à quelquefois un charme extraordinaire, dit lord Henry.

"Don't talk like that about any one you love, Dorian. Love is a more wonderful thing than art."

- Ne parlez pas ainsi de ce que vous aimez, Dorian. L'amour est une plus merveilleuse chose que l'art.

"Never marry at all, Dorian. Men marry because they are tired; women, because they are curious: both are disappointed."

- Ne vous mariez jamais, Dorian. Les hommes se marient par fatigue, les femmes par curiosité : tous sont désappointés.

"No," said Dorian Gray, "there is nothing fearful about it. It is one of the great romantic tragedies of the age. As a rule, people who act lead the most commonplace lives. They are good husbands, or faithful wives, or something tedious. You know what I mean--middle-class virtue and all that kind of thing. How different Sibyl was! She lived her finest tragedy. She was always a heroine. The last night she played-- the night you saw her--she acted badly because she had known the reality of love. When she knew its unreality, she died, as Juliet might have died. She passed again into the sphere of art. There is something of the martyr about her. Her death has all the pathetic uselessness of martyrdom, all its wasted beauty.

- Non, dit Dorian Gray, cela n'a rien d'effrayant. C'est une des plus grandes tragédies romantiques de notre temps. À l'ordinaire, les acteurs ont l'existence la plus banale. Ils sont bons maris, femmes fidèles, quelque chose d'ennuyeux ; vous comprenez, une vertu moyenne et tout ce qui s'en suit. Comme Sibyl était différente ! Elle a vécu sa plus belle tragédie. Elle fut constamment une héroïne. La dernière nuit qu'elle joua, la nuit où vous la vîtes, elle joua mal parce qu'elle avait compris la réalité de l'amour. Quand elle connut ses déceptions, elle mourut comme Juliette eût pu mourir. Elle appartint encore en cela au domaine d'art. Elle a quelque chose d'une martyre. Sa mort a toute l'inutilité pathétique du martyre, toute une beauté de désolation.

"Oh, she is better than good--she is beautiful," murmured Lord Henry, sipping a glass of vermouth and orange-bitters. "Dorian says she is beautiful, and he is not often wrong about things of that kind. Your portrait of him has quickened his appreciation of the personal appearance of other people. It has had that excellent effect, amongst others. We are to see her to-night, if that boy doesn't forget his appointment."

- Oh ! elle est mieux que bonne, elle est belle, murmura lord Henry, sirotant un verre de vermouth aux oranges amères. Dorian dit qu'elle est belle, et il ne se trompe pas sur ces choses. Son portrait par vous a singulièrement hâté son appréciation sur l'apparence physique des gens ; oui, il a eu, entre autres, cet excellent effet. Nous devons la voir ce soir, si notre ami ne manque pas au rendez-vous.

"No, she will never come to life. She has played her last part. But you must think of that lonely death in the tawdry dressing-room simply as a strange lurid fragment from some Jacobean tragedy, as a wonderful scene from Webster, or Ford, or Cyril Tourneur. The girl never really lived, and so she has never really died. To you at least she was always a dream, a phantom that flitted through Shakespeare's plays and left them lovelier for its presence, a reed through which Shakespeare's music sounded richer and more full of joy. The moment she touched actual life, she marred it, and it marred her, and so she passed away. Mourn for Ophelia, if you like. Put ashes on your head because Cordelia was strangled. Cry out against Heaven because the daughter of Brabantio died. But don't waste your tears over Sibyl Vane. She was less real than they are."

- Non, elle ne ressuscitera plus ; elle a joué son dernier rôle... Mais il vous faut penser à cette mort solitaire dans cette loge clinquante comme si c'était un étrange fragment lugubre de quelque tragédie jacobine, comme à une scène surprenante de Webster, de Ford ou de Cyril Tourneur. Cette jeune fille n'a jamais vécu, à la réalité, et elle n'est jamais morte... Elle vous fut toujours comme un songe..., comme ce fantôme qui apparaît dans les drames de Shakes-peare, les rendant plus adorables par sa présence, comme un roseau à travers lequel passe la musique de Shakespeare, enrichie de joie et de sonorité. « Elle gâta sa vie au moment où elle y entra, et la vie la gâta ; elle en mourut... Pleurez pour Ophélie, si vous voulez ; couvrez-vous le front de cendres parce que Cordélie a été étranglée ; invectivez le ciel parce que la fille de Brabantio est trépassée, mais ne gaspillez pas vos larmes sur le cadavre de Sibyl Vane ; celle-ci était moins réelle que celles-là...

"No; I think your nature so deep."

- Non, je la crois profonde.

"No; I don't think so."

- Non, je ne trouve pas.

"Not seventeen, Lady Henry?"

- Non, pas dix-sept, lady Henry ?

"Not eight, Harry, please. Half-past six. We must be there before the curtain rises. You must see her in the first act, where she meets Romeo."

- Non, pas huit heures, Harry, s'il vous plaît. Six heures et demie. Il faut que nous soyons là avant le lever du rideau. Nous devons la voir dans le premier acte, quand elle ren-contre Roméo.

"No, Harry," answered the artist, giving his hat and coat to the bowing waiter. "What is it? Nothing about politics, I hope! They don't interest me. There is hardly a single person in the House of Commons worth painting, though many of them would be the better for a little whitewashing."

- Non, répondit l'artiste en remettant son chapeau et son pardessus au domestique in-cliné. Quoi de nouveau ? Ce n'est pas sur la politique, j'espère ; elle ne m'intéresse d'ailleurs pas. Il n'y a sûrement point une seule personne à la Chambre des Communes digne d'être peinte, bien que beaucoup de nos honorables aient grand besoin d'être reblanchis.

"No," answered his mother with a placid expression in her face. "He has not yet revealed his real name. I think it is quite romantic of him. He is probably a member of the aristocracy."

- Non, répondit placidement sa mère. Il n'a pas encore révélé son nom. Je crois que c'est très romanesque de sa part. C'est probablement un membre de l'aristocratie.

"No," she answered, wondering at the harsh simplicity of life.

- Non, répondit-elle, étonnée de la brutale simplicité de la vie.

"Not as long as you love him, I suppose," was the sullen answer.

- Non, tant que vous l'aimerez, fut sa menaçante réponse.

"No."

- Non...

"We are talking about poor Dartmoor, Lord Henry," cried the duchess, nodding pleasantly to him across the table. "Do you think he will really marry this fascinating young person?"

- Nous parlions de ce jeune Dartmoor, lord Henry, s'écria la duchesse, lui faisant gaiement des signes par-dessus la table. Pensez-vous qu'il épousera réellement cette séduisante jeune personne ?

"We are only at the beginning of our friendship, Dorian," answered Lord Henry, shaking him by the hand. "Good-bye. I shall see you before nine-thirty, I hope. Remember, Patti is singing."

- Nous sommes seulement au commencement de notre amitié, Dorian, répondit lord Henry, en lui serrant la main. Adieu. Je vous verrai avant neuf heures et demie, j'espère. Sou-venez-vous que la Patti chante...

"Oh, Basil is the best of fellows, but he seems to me to be just a bit of a Philistine. Since I have known you, Harry, I have discovered that."

- Oh ! Basil est le meilleur de mes camarades, mais il me semble un peu philistin. De-puis que je vous connais, Harry, j'ai découvert cela.

"Oh, I am tired of sitting, and I don't want a life-sized portrait of myself," answered the lad, swinging round on the music-stool in a wilful, petulant manner. When he caught sight of Lord Henry, a faint blush coloured his cheeks for a moment, and he started up. "I beg your pardon, Basil, but I didn't know you had any one with you."

- Oh ! Je suis fatigué de poser, et je n'ai pas besoin d'un portrait grandeur naturelle, riposta l'adolescent en évoluant sur le tabouret du piano d'une manière pétulante et volon-taire... Une légère rougeur colora ses joues quand il aperçut lord Henry, et il s'arrêta court... - Je vous demande pardon, Basil, mais je ne savais pas que vous étiez avec quelqu'un...

"Oh, I will make your peace with my aunt. She is quite devoted to you. And I don't think it really matters about your not being there. The audience probably thought it was a duet. When Aunt Agatha sits down to the piano, she makes quite enough noise for two people."

- Oh ! Je vous raccommoderai avec ma tante. Elle vous est toute dévouée, et je ne crois pas qu'il y ait réellement matière à fâcherie. L'auditoire comptait sur un duo ; quant ma tante Agathe se met au piano, elle fait du bruit pour deux...

"Oh, Jim!" said Sibyl, laughing, "how unkind of you! But are you really going for a walk with me? That will be nice! I was afraid you were going to say good-bye to some of your friends-- to Tom Hardy, who gave you that hideous pipe, or Ned Langton, who makes fun of you for smoking it. It is very sweet of you to let me have your last afternoon. Where shall we go? Let us go to the park."

- Oh ! Jim ! dit Sibyl en riant, que vous êtes peu aimable ! Mais venez-vous réellement promener avec moi. Ce serait gentil ! Je craignais que vous n'alliez dire au revoir à quelques-uns de vos amis, à Tom Hard, qui vous a donné cette horrible pipe, ou à Ned Langton qui se moque de vous quand vous la fumez. C'est très aimable de votre part de m'avoir conservé votre dernière après-midi. Où irons-nous ? Si nous allions au Parc !

"Oh, don't be so serious, Jim. You are like one of the heroes of those silly melodramas Mother used to be so fond of acting in. I am not going to quarrel with you. I have seen him, and oh! to see him is perfect happiness. We won't quarrel. I know you would never harm any one I love, would you?"

- Oh ! ne soyez pas aussi sérieux, Jim ! Vous ressemblez à un des héros de ces absurdes mélodrames dans lesquelles mère aime tant à jouer. Je ne veux pas me quereller avec vous. Je l'ai vu, et le voir est le parfait bonheur. Ne nous querellons pas ; je sais bien que vous ne ferez jamais de mal à ceux que j'aime, n'est-ce pas ?

"Oh, please don't, Lord Henry. I see that Basil is in one of his sulky moods, and I can't bear him when he sulks. Besides, I want you to tell me why I should not go in for philanthropy."

- Oh ! non, je vous en prie, lord Henry. Je vois que Basil est dans de mauvaises dispo-sitions et je ne puis le supporter quand il fait la tête... D'abord, j'ai besoin de vous demander pourquoi je ne devrais pas m'occuper de philanthropie.

"Oh! but I have seen specimens of the inhabitants," answered the duchess vaguely. "I must confess that most of them are extremely pretty. And they dress well, too. They get all their dresses in Paris. I wish I could afford to do the same."

- Oh ! nous avons cependant, vu des spécimens de ses habitantes, répondit la duchesse d'un ton vague. Je dois confesser que la plupart sont très jolies. Et leurs toilettes aussi. Elles s'habillent toutes à Paris. Je voudrais pouvoir en faire autant.

"Oh! that you will be a good boy and not forget us," she answered, smiling at him.

- Oh ! que vous serez un bon garçon et que vous ne nous oublierez pas, répondit-elle en lui souriant.

"Oh, yes, horrid people with dyed hair and painted faces."

- Oh oui. d'affreuses créatures avec des cheveux teints et des figures peintes.

"They say that when good Americans die they go to Paris," chuckled Sir Thomas, who had a large wardrobe of Humour's cast-off clothes.

- On dit que lorsque les bons Américains meurent, ils vont à Paris, chuchota sir Tho-mas, qui avait une ample réserve de mots hors d'usage.

"One has to pay in other ways but money."

- On paie souvent d'autre manière qu'en argent...

"Yes," he continued, "that is one of the great secrets of life. Nowadays most people die of a sort of creeping common sense, and discover when it is too late that the only things one never regrets are one's mistakes."

- Oui ! continua lord Henry, c'est un des grands secrets de la vie. Aujourd'hui beau-coup de gens meurent d'un bon sens terre à terre et s'aperçoivent trop tard que les seules choses qu'ils regrettent sont leurs propres erreurs.

"Yes, Dorian, I suppose you were right," said Hallward slowly.

- Oui, Dorian, je crois que vous avez eu raison, dit Hallward lentement.

"Yes, Harry, I believe that is true. I cannot help telling you things. You have a curious influence over me. If I ever did a crime, I would come and confess it to you. You would understand me."

- Oui, Harry, je crois que cela est vrai. Je ne puis m'empêcher de tout vous dire. Vous avez sur moi une singulière influence. Si jamais je commettais un crime j'accourrais vous le confesser. Vous me comprendriez.

"Yes, Harry, I know what you are going to say. Something dreadful about marriage. Don't say it. Don't ever say things of that kind to me again. Two days ago I asked Sibyl to marry me. I am not going to break my word to her. She is to be my wife."

- Oui, Harry. Je sais ce que vous m'allez dire : un éreintement du mariage ; ne le déve-loppez pas. Ne me dites plus rien de nouveau là-dessus. J'ai offert, il y a deux jours, à Sibyl Vane de l'épouser ; je ne veux point lui manquer de parole : elle sera ma femme...

"Yes; it is very tragic, of course, but you must not get yourself mixed up in it. I see by The Standard that she was seventeen. I should have thought she was almost younger than that. She looked such a child, and seemed to know so little about acting. Dorian, you mustn't let this thing get on your nerves. You must come and dine with me, and afterwards we will look in at the opera. It is a Patti night, and everybody will be there. You can come to my sister's box. She has got some smart women with her."

- Oui, c'est vraiment tragique, c'est sûr, mais il ne faut pas que vous y soyez mêlé. J'ai vu dans le Standard qu'elle avait dix-sept ans ; j'aurais cru qu'elle était plus jeune, elle avait l'air d'une enfant et savait si peu jouer... Dorian, ne vous frappez pas !... Venez dîner avec moi, et après nous irons à l'Opéra. La Patti joue ce soir, et tout le monde sera là. Vous vien-drez dans la loge de ma sœur ; il s'y trouvera quelques jolies femmes...

Then he leaped up and went to the door. "Yes," he cried, "you have killed my love. You used to stir my imagination. Now you don't even stir my curiosity. You simply produce no effect. I loved you because you were marvellous, because you had genius and intellect, because you realized the dreams of great poets and gave shape and substance to the shadows of art. You have thrown it all away. You are shallow and stupid. My God! how mad I was to love you! What a fool I have been! You are nothing to me now. I will never see you again. I will never think of you. I will never mention your name. You don't know what you were to me, once. Why, once . . . Oh, I can't bear to think of it! I wish I had never laid eyes upon you! You have spoiled the romance of my life. How little you can know of love, if you say it mars your art! Without your art, you are nothing. I would have made you famous, splendid, magnificent. The world would have worshipped you, and you would have borne my name. What are you now? A third- rate actress with a pretty face."

- Oui, clama-t-il, vous avez tué mon amour ! Vous avez dérouté mon esprit ! Mainte-nant vous ne pouvez même exciter ma curiosité ! Vous n'avez plus aucun effet sur moi ! Je vous aimais parce que vous étiez admirable, parce que vous étiez intelligente et géniale, parce que vous réalisiez les rêves des grands poètes et que vous donniez une forme, un corps, aux ombres de l'Art ! Vous avez jeté tout cela ! vous êtes stupide et bornée !... Mon Dieu ! Com-bien je fus fou de vous aimer ! Quel insensé je fus !... Vous ne m'êtes plus rien ! Je ne veux plus vous voir ! Je ne veux plus penser à vous ! Je ne veux plus me rappeler votre nom ! Vous ne pouvez vous douter ce que vous étiez pour moi, autrefois... Autrefois !... Ah ! je ne veux plus penser à cela ! Je désirerais ne vous avoir jamais vue... Vous avez brisé le roman de ma vie ! Comme vous connaissez peu l'amour, pour penser qu'il eût pu gâter votre art !... Vous n'êtes rien sans votre art... Je vous aurais faite splendide, fameuse, magnifique ! le monde vous aurait admirée et vous eussiez porté mon nom !... Qu'êtes-vous maintenant ?... Une jolie actrice de troisième ordre !

"Yes," continued Lord Henry, "that is one of the great secrets of life-- to cure the soul by means of the senses, and the senses by means of the soul. You are a wonderful creation. You know more than you think you know, just as you know less than you want to know."

- Oui, continua lord Henry, c'est un des grands secrets de la vie, guérir l'âme au moyen des sens, et les sens au moyen de l'âme. Vous êtes une admirable créature. Vous savez plus que vous ne pensez savoir, tout ainsi que vous pensez connaître moins que vous ne connaissez.

"Yes," he continued, "I am less to you than your ivory Hermes or your silver Faun. You will like them always. How long will you like me? Till I have my first wrinkle, I suppose. I know, now, that when one loses one's good looks, whatever they may be, one loses everything. Your picture has taught me that. Lord Henry Wotton is perfectly right. Youth is the only thing worth having. When I find that I am growing old, I shall kill myself."

- Oui, continua-t-il. Je vous suis moins que votre Hermès d'ivoire ou que votre Faune d'argent. Vous les aimerez toujours, eux. Combien de temps m'aimerez-vous ? Jusqu'à ma première ride, sans doute... Je sais maintenant que quand on perd ses charmes, quels qu'ils puissent être, on perd tout. Votre œuvre m'a appris cela ! Oui, lord Henry Wotton a raison tout à fait. La jeunesse est la seule chose qui vaille. Quand je m'apercevrai que je vieillis, je me tuerai !

"Yes, she will. She has not merely art, consummate art-instinct, in her, but she has personality also; and you have often told me that it is personalities, not principles, that move the age."

- Oui, elle le fera. Elle n'a pas que du talent, que l'instinct consommé de l'art, elle a aussi une vraie personnalité et vous m'avez dit souvent que c'étaient les personnalités et non les talents qui remuaient leur époque.

"It is an interesting question," said Lord Henry, who found an exquisite pleasure in playing on the lad's unconscious egotism, "an extremely interesting question. I fancy that the true explanation is this: It often happens that the real tragedies of life occur in such an inartistic manner that they hurt us by their crude violence, their absolute incoherence, their absurd want of meaning, their entire lack of style. They affect us just as vulgarity affects us. They give us an impression of sheer brute force, and we revolt against that. Sometimes, however, a tragedy that possesses artistic elements of beauty crosses our lives. If these elements of beauty are real, the whole thing simply appeals to our sense of dramatic effect. Suddenly we find that we are no longer the actors, but the spectators of the play. Or rather we are both. We watch ourselves, and the mere wonder of the spectacle enthralls us.

- Oui, en vérité, c'est une question intéressante, dit lord Henry qui trouvait un plaisir exquis à jouer sur l'égoïsme inconscient de l'adolescent, une question extrêmement intéres-sante... Je m'imagine que la seule explication en est celle-ci. Il arrive souvent que les véritables tragédies de la vie se passent d'une manière si peu artistique qu'elles nous blessent par leur violence crue, leur incohérence absolue, leur absurde besoin de signifier quelque chose, leur entier manque de style. Elles nous affectent tout ainsi que la vulgarité ; elles nous donnent une impression de la pure force brutale et nous nous révoltons contre cela. Parfois, cependant, une tragédie possédant des éléments artistiques de beauté, traverse notre vie ; si ces éléments de beauté sont réels, elle en appelle à nos sens de l'effet dramatique. Nous nous trouvons tout à coup, non plus les acteurs, mais les spectateurs de la pièce, ou plutôt nous sommes les deux. Nous nous surveillons nous mêmes et le simple intérêt du spectacle nous séduit.

"Yes, I am glad now. I wonder shall I always be glad?"

- Oui, j'en suis content, maintenant ; j'imagine que je le serai toujours !...

"Well, he seemed to think they were beyond his means," laughed Dorian. "By this time, however, the lights were being put out in the theatre, and I had to go. He wanted me to try some cigars that he strongly recommended. I declined. The next night, of course, I arrived at the place again. When he saw me, he made me a low bow and assured me that I was a munificent patron of art. He was a most offensive brute, though he had an extraordinary passion for Shakespeare. He told me once, with an air of pride, that his five bankruptcies were entirely due to 'The Bard,' as he insisted on calling him. He seemed to think it a distinction."

- Oui, mais il paraissait croire qu'ils étaient au-dessus de ses moyens, dit Dorian en riant. À ce moment, on éteignit les lumières du théâtre et je dus me retirer. Il voulut me faire goûter des cigares qu'il recommandait fortement ; je déclinais l'offre. Le lendemain soir, naturellement, je revins. Dès qu'il me vit, il me fit une profonde révérence et m'assura que j'étais un magnifique protecteur des arts. C'était une redoutable brute, bien qu'il eût une passion extraordinaire pour Shakespeare. Il me dit une fois, avec orgueil, que ses cinq ban-queroutes étaient entièrement dues au « Barde » comme il l'appelait avec insistance. Il sem-blait y voir un titre de gloire.

"How dreadful!" cried Lord Henry. "I can stand brute force, but brute reason is quite unbearable. There is something unfair about its use. It is hitting below the intellect."

- Quelle horreur ! s'écria lord Henry, je peux admettre la force brutale, mais la raison brutale est insupportable. Il y a quelque chose d'injuste dans son empire. Cela confond l'intelligence.

"Come away, Jim; come away," she whispered. He followed her doggedly as she passed through the crowd. He felt glad at what he had said.

- Venez, Jim, venez, souffla-t-elle. Et il la suivit comme un chien à travers la foule. Il semblait satisfait de ce qu'il avait dit.

"Yes," murmured Lord Henry, settling his button-hole in his coat; "and when they grow older they know it. But I don't want money. It is only people who pay their bills who want that, Uncle George, and I never pay mine. Credit is the capital of a younger son, and one lives charmingly upon it. Besides, I always deal with Dartmoor's tradesmen, and consequently they never bother me. What I want is information: not useful information, of course; useless information."

- Oui, murmura lord Henry, en boutonnant son pardessus ; et quand ils deviennent vieux ils le savent, mais je n'ai pas besoin d'argent. Il n'y a que ceux qui paient leurs dettes qui en ont besoin, oncle Georges, et je ne paie jamais les miennes. Le crédit est le capital d'un jeune homme et on en vit d'une façon charmante. De plus, j'ai toujours affaire aux fournis-seurs de Dartmoor et ils ne m'inquiètent jamais. J'ai besoin d'un renseignement, non pas d'un renseignement utile bien sûr, mais d'un renseignement inutile.

"Yes," echoed Dorian, leaning back in his chair and looking at Lord Henry over the heavy clusters of purple-lipped irises that stood in the centre of the table, "what do you mean by good, Harry?"

- Oui, reprit Dorian, s'appuyant au dossier de sa chaise, et regardant lord Henry par dessus l'énorme gerbe d'iris aux pétales pourprés qui reposait au milieu de la table, qu'entendez-vous par être bon, Harry ?

"Yes!" answered Dorian Gray. "It was here I found her, and she is divine beyond all living things. When she acts, you will forget everything. These common rough people, with their coarse faces and brutal gestures, become quite different when she is on the stage. They sit silently and watch her. They weep and laugh as she wills them to do. She makes them as responsive as a violin. She spiritualizes them, and one feels that they are of the same flesh and blood as one's self."

- Oui, répondit Dorian Gray. C'est ici que je la rencontrai, et elle est divine au-delà de tout ce qu'on peut concevoir. Vous oublierez toute chose quand elle jouera. On ne fait plus attention à cette populace rude et commune, aux figures grossières et aux gestes brutaux dès qu'elle entre en scène ; ces gens demeurent silencieux et la regardent ; ils pleurent, et rient comme elle le veut ; elle joue sur eux comme sur un violon ; elle les spiritualise, en quelque sorte, et l'on sent qu'ils ont la même chair et le même sang que soi-même.

"Yes," answered Lord Henry dreamily, "the costume of the nineteenth century is detestable. It is so sombre, so depressing. Sin is the only real colour-element left in modern life."

- Oui, répondit lord Henry, rêveusement, le costume du XIXe siècle est détestable. C'est sombre, déprimant... Le péché est réellement le seul élément de quelque couleur dans la vie moderne.

"Yes; you are just like that."

- Oui, vous êtes comme cela.

"Yes."

- Oui...

"Where are you lunching, Harry?"

- Où déjeunez-vous Harry ?

"Where I heard the name of Dorian Gray."

- Où j'entendis le nom de Dorian Gray.

"Where was it?" asked Hallward, with a slight frown.

- Où était-ce ? demanda Hallward, avec un léger froncement de sourcils...

"Because they are so sentimental."

- Parce qu'elles sont trop sentimentales.

"Because I have promised Lord Henry Wotton to go with him."

- Parce que j'ai promis à lord Henry Wotton d'aller avec lui.

"Because I have loved so many of them, Dorian."

- Parce que j'en ai tant aimé, Dorian.

"Because to influence a person is to give him one's own soul. He does not think his natural thoughts, or burn with his natural passions. His virtues are not real to him. His sins, if there are such things as sins, are borrowed. He becomes an echo of some one else's music, an actor of a part that has not been written for him. The aim of life is self-development. To realize one's nature perfectly--that is what each of us is here for.

- Parce que je considère qu'influencer une personne, c'est lui donner un peu de sa propre âme. Elle ne pense plus avec ses pensées naturelles, elle ne brûle plus avec ses passions naturelles. Ses vertus ne sont plus siennes. Ses péchés, s'il y a quelque chose de semblable à des péchés, sont empruntés. Elle devient l'écho d'une musique étrangère, l'acteur d'une pièce qui ne fut point écrite pour elle. Le but de la vie est le développement de la personnalité. Réaliser sa propre nature : c'est ce que nous tâchons tous de faire.

"Because you have the most marvellous youth, and youth is the one thing worth having."

- Parce que vous possédez une admirable jeunesse et que la jeunesse est la seule chose désirable.

"Well, I am punished for that, Dorian--or shall be some day."

- Parfait ?... aussi en suis-je puni, Dorian, ou le serai-je quelque jour.

"How sad it is!" murmured Dorian Gray with his eyes still fixed upon his own portrait. "How sad it is! I shall grow old, and horrible, and dreadful. But this picture will remain always young. It will never be older than this particular day of June. . . . If it were only the other way! If it were I who was to be always young, and the picture that was to grow old! For that--for that--I would give everything! Yes, there is nothing in the whole world I would not give! I would give my soul for that!"

- Quelle chose profondément triste, murmurait Dorian, les yeux encore fixés sur son portrait. Oh ! oui, profondément triste !... Je deviendrai vieux, horrible, affreux !... Mais cette peinture restera toujours jeune. Elle ne sera jamais plus vieille que ce jour même de juin... Ah ! si cela pouvait changer ; si c'était moi qui toujours devais rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir !... Pour cela, pour cela je donnerais tout !... Il n'est rien dans le monde que je ne donnerais... Mon âme, même !...

"Perhaps, after all, America never has been discovered," said Mr. Erskine; "I myself would say that it had merely been detected."

- Peut-être après tout, l'Amérique n'a-t-elle jamais été découverte, dit Mr Erskine. Pour ma part, je dirai volontiers qu'elle est à peine connue.

"I wish to goodness it never had been discovered at all!" she exclaimed. "Really, our girls have no chance nowadays. It is most unfair."

- Plût à Dieu qu'on ne l'eut jamais découverte ! s'exclama-t-elle ; vraiment nos filles n'ont pas de chances aujourd'hui, c'est tout à fait injuste !

"Possibly," he sighed, "but they invariably want it back in such very small change. That is the worry. Women, as some witty Frenchman once put it, inspire us with the desire to do masterpieces and always prevent us from carrying them out."

- Possible, ajouta-t-il, mais elles exigent invariablement en retour un petit change. Là est l'ennui. Les femmes comme quelque spirituel Français l'a dit, nous inspirent le désir de faire des chefs-d'œuvre, mais nous empêchent toujours d'en venir à bout.

"For you I would throw over anybody, Duchess," said Lord Henry with a bow.

- Pour vous j'abandonnerais tout le monde, duchesse, dit lord Henry avec une révé-rence.

"Why can't these American women stay in their own country? They are always telling us that it is the paradise for women."

- Pourquoi ces Américaines ne restent-elles pas dans leurs pays. Elles nous chantent sans cesse que c'est un paradis pour les femmes.

"Why I was so bad to-night. Why I shall always be bad. Why I shall never act well again."

- Pourquoi je fus si mauvaise ce soir ! Pourquoi je serai toujours mauvaise !... Pourquoi je ne jouerai plus jamais bien !...

"Why not, Mother? I mean it."

- Pourquoi pas, mère, je le pense.

"Why, Harry?"

- Pourquoi, Harry ?

"Pure family affection, I assure you, Uncle George. I want to get something out of you."

- Pure affection familiale, je vous assure, oncle Georges, j'ai besoin de vous demander quelque chose.

"What can it matter?" cried Dorian Gray, laughing, as he sat down on the seat at the end of the garden.

- Qu'est-ce que cela peut faire, s'écria Dorian Gray en riant comme il s'asseyait au fond du jardin.

"What was that, Harry?"

- Qu'était-ce, Harry ?

"When is she Sibyl Vane?"

- Quand est-elle Sibyl Vane ?

"When America was discovered," said the Radical member-- and he began to give some wearisome facts. Like all people who try to exhaust a subject, he exhausted his listeners. The duchess sighed and exercised her privilege of interruption.

- Quand l'Amérique fût découverte..., dit le radical, et il commença une fastidieuse dissertation. Comme tous ceux qui essayent d'épuiser un sujet, il épuisait ses auditeurs. La duchesse soupira et profita de son droit d'interrompre.

"To see him is to worship him; to know him is to trust him."

- Quand on le voit, on l'estime ; quand on le connaît, on le croit.

"Forty of us, in forty arm-chairs. We are practising for an English Academy of Letters."

- Quarante d'entre nous dans quarante fauteuils. Nous travaillons à une académie litté-raire anglaise.

"How do you mean?"

- Que voulez-vous dire ?

"What do you mean?"

- Que voulez-vous dire ?...

"What do you want me to say?"

- Que voulez-vous que je vous dise ?

"What a place to find one's divinity in!" said Lord Henry.

- Quel endroit pour y rencontrer sa divinité, dit lord Henry.

"Who are her people?" grumbled the old gentleman. "Has she got any?"

- Quel est son monde ? répartit le vieux gentleman, a-t-elle beaucoup d'argent !

"What nonsense you talk!" said Lord Henry, smiling, and taking Hallward by the arm, he almost led him into the house.

- Quelle bêtise me dites-vous, dit lord Henry souriant, et prenant Hallward par le bras, il le conduisit presque malgré lui dans la maison.

"Nonsense, Jim," she whispered, stroking the sleeve of his coat.

- Quelle bêtise, Jim, soupira-t-elle en passant la main sur la manche de son veston.

"What is that, Harry?" said the lad listlessly.

- Quelle est-elle, Harry ? demanda indifféremment le jeune homme.

"What o'clock is it, Victor?" asked Dorian Gray drowsily.

- Quelle heure est-il, Victor, demanda Dorian Gray, paresseusement.

"How dreadful!" exclaimed Lady Agatha. "Really, some one should interfere."

- Quelle horreur ! s'exclama lady Agathe, mais quelqu'un interviendra.

"Quite ready, James," she answered, keeping her eyes on her work. For some months past she had felt ill at ease when she was alone with this rough stern son of hers. Her shallow secret nature was troubled when their eyes met. She used to wonder if he suspected anything. The silence, for he made no other observation, became intolerable to her. She began to complain. Women defend themselves by attacking, just as they attack by sudden and strange surrenders. "I hope you will be contented, James, with your sea-faring life," she said. "You must remember that it is your own choice. You might have entered a solicitor's office. Solicitors are a very respectable class, and in the country often dine with the best families."

- Tout est prêt, James, répondit-elle, les yeux sur son ouvrage. Pendant des mois elle s'était sentie mal à l'aise lorsqu'elle se trouvait seule avec ce fils, dur et sévère. Sa légèreté naturelle se troublait lorsque leurs yeux se rencontraient. Elle se demandait toujours s'il ne soupçonnait rien. Comme il ne faisait aucune observation, le silence lui devint intolérable. Elle commença à geindre. Les femmes se défendent en attaquant, de même qu'elles attaquent par d'étranges et soudaines défaites. - J'espère que vous serez satisfait de votre existence d'outre-mer, James, dit-elle. Il faut vous souvenir que vous l'avez choisie vous-même. Vous auriez pu entrer dans l'étude d'un avoué. Les avoués sont une classe très respectable et souvent, à la campagne, ils dî-nent dans les meilleures familles.

"Quite finished," said the painter. "And you have sat splendidly to-day. I am awfully obliged to you."

- Tout à fait fini, dit le peintre. Et vous avez aujourd'hui posé comme un ange. Je vous suis on ne peut plus obligé.

"That is quite true, Dorian," cried Hallward.

- Tout à fait vrai, Dorian, s'écria Hallward.

"Quite serious, Basil. I should be miserable if I thought I should ever be more serious than I am at the present moment."

- Tout à fait, Basil. Je ne l'ai jamais été plus qu'en ce moment.

"Just like, I should fancy, and very depressing. I began to wonder what on earth I should do when I caught sight of the play-bill. What do you think the play was, Harry?"

- Tout à fait, j'imagine, et fort décourageant. Je commençais à me demander ce que je pourrais bien faire, lorsque je jetai les yeux sur le programme. Que pensez-vous qu'on jouât, Harry ?

"Quite so," answered the young lord. "It is the problem of slavery, and we try to solve it by amusing the slaves."

- Tout à fait, répondit le jeune lord. C'est le problème de l'esclavage et nous essayons de le résoudre en amusant les esclaves.

"All right. The Bristol at eight o'clock; and I will get Basil."

- Très bien, au Bristol à huit heures. J'amènerai Basil.

"All right, Uncle George, I'll tell her, but it won't have any effect. Philanthropic people lose all sense of humanity. It is their distinguishing characteristic."

- Très bien, oncle Georges, je le lui dirai, mais cela n'aura aucun effet. Les philan-thropes ont perdu toute notion d'humanité. C'est leur caractère distinctif.

"Very well," said Hallward, and he went over and laid down his cup on the tray. "It is rather late, and, as you have to dress, you had better lose no time. Good-bye, Harry. Good-bye, Dorian. Come and see me soon. Come to-morrow."

- Très bien, répartit Hallward, et il alla remettre sa tasse sur le plateau. Il est tard, et comme vous devez vous habiller, vous feriez bien de ne pas perdre de temps. Au revoir, Harry. Au revoir, Dorian. Venez me voir bientôt, demain si possible.

"Very bad indeed. In fact I consider you extremely dangerous, and if anything happens to our good duchess, we shall all look on you as being primarily responsible. But I should like to talk to you about life. The generation into which I was born was tedious. Some day, when you are tired of London, come down to Treadley and expound to me your philosophy of pleasure over some admirable Burgundy I am fortunate enough to possess."

- Très mal, certainement ; je vous considère comme extrêmement dangereux, et si quelque chose arrivait à notre bonne duchesse, nous vous regarderions tous comme primor-dialement responsable. Oui, j'aimerais à causer de la vie avec vous. La génération à laquelle j'appartiens est ennuyeuse. Quelque jour que vous serez fatigué de la vie de Londres, venez donc à Treadley, vous m'exposerez votre philosophie du plaisir en buvant d'un admirable Bourgogne que j'ai le bonheur de posséder.

"A very charming artistic basis for ethics, Dorian! I congratulate you on it. But how are you going to begin?"

- Une charmante base artistique pour la morale, Dorian. Je vous en félicite, mais par quoi allez-vous commencer.

"A delightful theory!" she exclaimed. "I must put it into practice."

- Une dangereuse théorie prononça sir Thomas, les lèvres pincées.

"One hour and a quarter, Monsieur."

- Une heure un quart, Monsieur.

"That is what I have come to learn, Uncle George. Or rather, I know who he is. He is the last Lord Kelso's grandson. His mother was a Devereux, Lady Margaret Devereaux. I want you to tell me about his mother. What was she like? Whom did she marry? You have known nearly everybody in your time, so you might have known her. I am very much interested in Mr. Gray at present. I have only just met him."

- Voilà ce que je viens apprendre, oncle Georges. Ou plutôt, je sais qui il est. C'est le dernier petit-fils de lord Kelso. Sa mère était une Devereux, Lady Margaret Devereux ; je voudrais que vous me parliez de sa mère. Comment était elle ? à qui fut-elle mariée ? Vous avez connu presque tout le monde dans votre temps, aussi pourriez-vous l'avoir connue. Je m'intéresse beaucoup à Mr Gray en ce moment. Je viens seulement de faire sa connaissance.

"That is the reason, I suppose, that you never dine with me now. I thought you must have some curious romance on hand. You have; but it is not quite what I expected."

- Voilà pourquoi, sans doute, vous ne dînez plus jamais avec moi. Je pensais bien que vous aviez quelque roman en train ; je ne me trompais pas, mais ça n'est pas tout à fait ce que j'attendais.

"This is your doing, Harry," said the painter bitterly.

- Voilà votre œuvre, Harry, dit le peintre amèrement.

"Your wife! Dorian! . . . Didn't you get my letter? I wrote to you this morning, and sent the note down by my own man."

- Votre femme, Dorian !... N'avez-vous donc pas reçu ma lettre ?... Je vous ai écrit ce matin et vous ai fait tenir la lettre par mon domestique.

"Your letter? Oh, yes, I remember. I have not read it yet, Harry. I was afraid there might be something in it that I wouldn't like. You cut life to pieces with your epigrams."

- Votre lettre ?... Ah ! oui, je me souviens ! Je ne l'ai pas encore lue, Harry. Je craignais d'y trouver quelque chose qui me ferait de la peine. Vous m'empoisonnez la vie avec vos épigrammes.

"You must introduce me now," cried Lord Henry, laughing.

- Vous allez bien être forcé de me le présenter, maintenant, s'écria en riant lord Henry.

"You call yesterday the past?"

- Vous appelez hier le passé ?

"You should have gone away when I asked you," he muttered.

- Vous auriez dû vous en aller quand je vous le demandais, souffla-t-il.

"You were quite right. There is always something infinitely mean about other people's tragedies."

- Vous avez eu raison. Il y a quelque chose d'infiniment mesquin dans les tragédies des autres.

"You have done too many foolish things during the last fortnight to be entitled to give yourself that name, Dorian," answered Lord Henry with his sweet melancholy smile.

- Vous avez fait trop de folies durant la dernière quinzaine pour qu'il vous soit permis de vous croire ainsi, Dorian, répondit lord Henry avec son doux et mélancolique sourire.

"You have a new friend, I hear. Who is he? Why have you not told me about him? He means you no good."

- Vous avez un nouvel ami, m'a-t-on dit. Qui est-il ? Pourquoi ne m'en avez-vous pas encore parlé ? Il ne vous veut pas de bien.

"You went to the opera?" said Hallward, speaking very slowly and with a strained touch of pain in his voice. "You went to the opera while Sibyl Vane was lying dead in some sordid lodging? You can talk to me of other women being charming, and of Patti singing divinely, before the girl you loved has even the quiet of a grave to sleep in? Why, man, there are horrors in store for that little white body of hers!"

- Vous avez été à l'Opéra ? dit lentement Hallward avec une vibration de tristesse dans la voix. Vous avez été à l'Opéra pendant que Sibyl Vane reposait dans la mort en un sordide logis ? Vous pouvez me parler d'autres femmes charmantes et de la Patti qui chantait divine-ment, avant que la jeune fille que vous aimiez ait même la quiétude d'un tombeau pour y dormir ?... Vous ne songez donc pas aux horreurs réservées à ce petit corps lilial !

"You will complete it," answered the old gentleman with a courteous bow. "And now I must bid good-bye to your excellent aunt. I am due at the Athenaeum. It is the hour when we sleep there."

- Vous compléterez l'ensemble, répondit le vieux gentleman avec un salut courtois. Et maintenant il faut que je prenne congé de votre excellente tante. Je suis attendu à l'Athenæum. C'est l'heure où nous y dormons.

I suppose you have heard the news, Basil?" said Lord Henry that evening as Hallward was shown into a little private room at the Bristol where dinner had been laid for three.

- Vous connaissez la nouvelle, Basil, dit lord Henry, un soir que Hallward venait d'arriver dans un petit salon particulier de l'hôtel Bristol, où un dîner pour trois personnes avait été commandé.

"You might keep some of your kisses for me, Sibyl, I think," said the lad with a good-natured grumble.

- Vous devriez garder un peu de vos baisers pour moi, Sibyl, dit le jeune homme avec un grognement amical.

"You will always like me, Dorian," he replied. "Will you have some coffee, you fellows? Waiter, bring coffee, and fine-champagne, and some cigarettes. No, don't mind the cigarettes--I have some. Basil, I can't allow you to smoke cigars. You must have a cigarette. A cigarette is the perfect type of a perfect pleasure. It is exquisite, and it leaves one unsatisfied. What more can one want? Yes, Dorian, you will always be fond of me. I represent to you all the sins you have never had the courage to commit."

- Vous m'aimerez toujours, Dorian, répliqua-t-il... Un peu de café, hein, amis !... Gar-çon, apportez du café, de la fine-champagne, et des cigarettes... Non, pas de cigarettes, j'en ai... Basil, je ne vous permets pas de fumer des cigares... Vous vous contenterez de cigarettes. La cigarette est le type parfait du parfait plaisir. C'est exquis, et ça vous laisse insatisfait. Que désirez-vous de plus ? Oui, Dorian, vous m'aimerez toujours. Je vous représente tous les péchés que vous n'avez eu le courage de commettre.

"You said to me that Sibyl Vane represented to you all the heroines of romance--that she was Desdemona one night, and Ophelia the other; that if she died as Juliet, she came to life as Imogen."

- Vous m'avez dit que Sibyl Vane vous représentait toutes les héroïnes de roman, qu'elle était un soir Desdémone, et un autre, Ophélie, qu'elle mourait comme Juliette, et ressuscitait comme Imogène !

"No, you don't feel it now. Some day, when you are old and wrinkled and ugly, when thought has seared your forehead with its lines, and passion branded your lips with its hideous fires, you will feel it, you will feel it terribly. Now, wherever you go, you charm the world. Will it always be so? . . . You have a wonderfully beautiful face, Mr. Gray. Don't frown. You have. And beauty is a form of genius-- is higher, indeed, than genius, as it needs no explanation. It is of the great facts of the world, like sunlight, or spring-time, or the reflection in dark waters of that silver shell we call the moon. It cannot be questioned. It has its divine right of sovereignty. It makes princes of those who have it.

- Vous ne vous en souciez pas... maintenant. Un jour viendra, quand vous serez vieux, ridé, laid, quand la pensée aura marqué votre front de sa griffe, et la passion flétri vos lèvres de stigmates hideux, un jour viendra, dis-je, où vous vous en soucierez amèrement. Où que vous alliez actuellement, vous charmez. En sera-t-il toujours ainsi ? Vous avez une figure adorablement belle, Mr Gray... Ne vous fâchez point, vous l'avez... Et la Beauté est une des formes du Génie, la plus haute même, car elle n'a pas besoin d'être expliquée ; c'est un des faits absolus du monde, comme le soleil, le printemps, ou le reflet dans les eaux sombres de cette coquille d'argent que nous appelons la lune ; cela ne peut être discuté ; c'est une souve-raineté de droit divin, elle fait des princes de ceux qui la possèdent...

"You talk books away," he said; "why don't you write one?"

- Vous parlez comme un livre, dit-il, pourquoi n'en écrivez-vous pas ?

"You are speaking about things you don't understand, James. In the profession we are accustomed to receive a great deal of most gratifying attention. I myself used to receive many bouquets at one time. That was when acting was really understood. As for Sibyl, I do not know at present whether her attachment is serious or not. But there is no doubt that the young man in question is a perfect gentleman. He is always most polite to me. Besides, he has the appearance of being rich, and the flowers he sends are lovely."

- Vous parlez de choses que vous ne comprenez pas, James. Dans notre profession, nous sommes habituées à recevoir beaucoup d'hommages. Moi-même, dans le temps, j'ai reçu bien des fleurs. C'était lorsque notre art était vraiment compris. Quant à Sibyl, je ne puis encore savoir si son attachement est sérieux ou non. Mais il n'est pas douteux que le jeune homme en question ne soit un parfait gentleman. Il est toujours extrêmement poli avec moi. De plus, il a l'air d'être riche et les fleurs qu'il envoie sont délicieuses.

"You thought it was my husband. It is only his wife. You must let me introduce myself. I know you quite well by your photographs. I think my husband has got seventeen of them."

- Vous pensiez que c'était mon mari. Ce n'est que sa femme. Il faut que je me présente moi-même. Je vous connais fort bien par vos photographies. Je pense que mon mari en a au moins dix-sept.

"You can dine with me to-night, Dorian, can't you?"

- Vous pouvez dîner avec moi ce soir, Dorian, n'est-ce pas ?

"You don't mean a single word of all that, Harry; you know you don't. If Dorian Gray's life were spoiled, no one would be sorrier than yourself. You are much better than you pretend to be."

- Vous savez bien que vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites, Harry ; vous le savez mieux que moi. Si la vie de Dorian Gray était gâtée, personne n'en serait plus désolé que vous. Vous êtes meilleur que vous ne prétendez l'être.

"You know the picture is yours, Dorian. I gave it to you before it existed."

- Vous savez que ce tableau vous appartient, Dorian. Je vous le donnai avant qu'il ne fût fait.

"All of you, Mr. Erskine?"

- Vous tous, Mr Erskine ?

"You would hardly care for such an arrangement, Basil," cried Lord Henry, laughing. "It would be rather hard lines on your work."

- Vous trouveriez difficilement un pareil arrangement, cria lord Henry, en éclatant de rire...

"You always come dreadfully late."

- Vous venez toujours si horriblement tard.

"Remembered what, Harry?"

- Vous vous souvenez de quoi, Harry ?

"You are glad you have met me, Mr. Gray," said Lord Henry, looking at him.

- Vous êtes content, Mr Gray, de m'avoir rencontré ?... demanda lord Henry le regar-dant.

"Are you serious?"

- Vous êtes sérieux ?

"You are really very comforting," warbled the duchess. "I have always felt rather guilty when I came to see your dear aunt, for I take no interest at all in the East End. For the future I shall be able to look her in the face without a blush."

- Vous êtes vraiment consolant, murmura la duchesse, je me sentais toujours un peu coupable lorsque je venais voir votre chère tante, car je ne trouve aucun intérêt dans l'East End. Désormais je serai capable de la regarder en face sans rougir.

"You are too charming to go in for philanthropy, Mr. Gray--far too charming." And Lord Henry flung himself down on the divan and opened his cigarette-case.

- Vous êtes vraiment trop charmant pour vous occuper de philanthropie, Mr Gray, trop charmant... Et lord Henry, s'étendant sur le divan, ouvrit son étui à cigarettes.

"Let me see. To-day is Tuesday. Let us fix to-morrow. She plays Juliet to-morrow."

- Voyons, nous sommes mardi aujourd'hui. Demain ! Elle joue Juliette demain.

"Really! And where do bad Americans go to when they die?" inquired the duchess.

- Vraiment ! et où vont les mauvais Américains qui meurent ? demanda la duchesse.

"Dorian's, of course," answered the painter.

- À Dorian, pardieu ! répondit le peintre.

But he felt afraid of him, and ashamed of being afraid. Why had it been left for a stranger to reveal him to himself? He had known Basil Hallward for months, but the friendship between them had never altered him. Suddenly there had come some one across his life who seemed to have disclosed to him life's mystery. And, yet, what was there to be afraid of? He was not a schoolboy or a girl. It was absurd to be frightened.

Ainsi que sa voix elles semblaient musicales, elles semblaient avoir un langage à elles. Il lui faisait peur, et il était honteux d'avoir peur... Il avait fallu que cet étranger vint pour le révéler à lui-même. Depuis des mois, il connaissait Basil Hallward et son amitié ne l'avait pas changé ; quelqu'un avait passé dans son existence qui lui avait découvert le mystère de la vie. Qu'y avait-il donc qui l'effrayait ainsi. Il n'était ni une petite fille, ni un collégien ; c'était ridicule, vraiment...

Although I joy in thee, I have no joy of this contract to-night: It is too rash, too unadvised, too sudden; Too like the lightning, which doth cease to be Ere one can say, "It lightens." Sweet, good-night! This bud of love by summer's ripening breath May prove a beauteous flower when next we meet--

Although I joy in thee, I have no joy of this contract to-night: It is too rash, too unadvised, too sudden; Too like the lightning, which doth cease to be Eve one can say: « It lightens! Sweet, good-night! This bud of love by summer's ripening breath May prove a beauteous flower when nest we meet...

After some time Dorian Gray looked up. "You have explained me to myself, Harry," he murmured with something of a sigh of relief. "I felt all that you have said, but somehow I was afraid of it, and I could not express it to myself. How well you know me! But we will not talk again of what has happened. It has been a marvellous experience. That is all. I wonder if life has still in store for me anything as marvellous."

Après quelques minutes, Dorian Gray releva la tête... - Vous m'avez expliqué à moi-même, Harry, murmura-t-il avec un soupir de soulage-ment. Je sentais tout ce que vous m'avez dit, mais en quelque sorte, j'en étais effrayé et je n'osais me l'exprimer à moi-même. Comme vous me connaissez bien !... Mais nous ne parle-rons plus de ce qui est arrivé ; ce fut une merveilleuse expérience, c'est tout. Je ne crois pas que la vie me réserve encore quelque chose d'aussi merveilleux.

After some time, he thrust away his plate and put his head in his hands. He felt that he had a right to know. It should have been told to him before, if it was as he suspected. Leaden with fear, his mother watched him. Words dropped mechanically from her lips. A tattered lace handkerchief twitched in her fingers. When the clock struck six, he got up and went to the door. Then he turned back and looked at her. Their eyes met. In hers he saw a wild appeal for mercy. It enraged him.

Après un moment, il écarta son assiette et cacha sa tête dans ses mains. Il lui semblait qu'il avait le droit de savoir. On le lui aurait déjà dit si c'était ce qu'il pensait. Sa mère le regardait, pénétrée de crainte. Les mots tombaient de ses lèvres, machinalement. Un mouchoir de dentelle déchiré s'enroulait à ses doigts. Lorsque six heures sonnèrent, il se leva et alla vers la porte. Il se retourna et la regarda. Leurs yeux se rencontrèrent. Elle semblait demander pardon. Cela l'enragea...

When they reached the Achilles Statue, she turned round. There was pity in her eyes that became laughter on her lips. She shook her head at him. "You are foolish, Jim, utterly foolish; a bad-tempered boy, that is all. How can you say such horrible things? You don't know what you are talking about. You are simply jealous and unkind. Ah! I wish you would fall in love. Love makes people good, and what you said was wicked."

Arrivés à la statue d'Achille, ils tournèrent autour du monument. La tristesse qui em-plissait ses yeux se changea en un sourire. Elle secoua la tête. - Vous êtes fou, Jim, tout à fait fou !... Vous avez un mauvais caractère, voilà tout. Comment pouvez-vous dire d'aussi vilaines choses ? Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Vous êtes simplement jaloux ou malveillant. Ah ! je voudrais que vous fussiez amoureux. L'amour rend meilleur et tout ce que vous dites est très mal.

Hallward painted away with that marvellous bold touch of his, that had the true refinement and perfect delicacy that in art, at any rate comes only from strength. He was unconscious of the silence.

Hallward peignait avec cette remarquable sûreté de main, qui le caractérisait ; il possé-dait cette élégance, cette délicatesse parfaite qui, en art, proviennent toujours de la vraie force. Il ne faisait pas attention au long silence planant dans l'atelier.

After about a quarter of an hour Hallward stopped painting, looked for a long time at Dorian Gray, and then for a long time at the picture, biting the end of one of his huge brushes and frowning. "It is quite finished," he cried at last, and stooping down he wrote his name in long vermilion letters on the left-hand corner of the canvas. Lord Henry came over and examined the picture. It was certainly a wonderful work of art, and a wonderful likeness as well.

Au bout d'un quart d'heure, Hallward s'arrêta de travailler, en regardant alternative-ment longtemps Dorian Gray et le portrait, mordillant le bout de l'un de ses gros pinceaux, les sourcils crispés... - Fini ! cria-t-il, et se baissant, il écrivit son nom en hautes lettres de vermillon sur le coin gauche de la toile. Lord Henry vint regarder le tableau. C'était une admirable œuvre d'art d'une ressem-blance merveilleuse.

After a little while, he hailed a hansom and drove home. For a few moments he loitered upon the doorstep, looking round at the silent square, with its blank, close-shuttered windows and its staring blinds. The sky was pure opal now, and the roofs of the houses glistened like silver against it. From some chimney opposite a thin wreath of smoke was rising. It curled, a violet riband, through the nacre-coloured air.

Au bout de quelques instants, il héla un hansom et se fit conduire chez lui... Un mo-ment, il s'attarda sur le seuil, regardant devant lui le square silencieux, les fenêtres fermées, les persiennes claires... Le ciel s'opalisait maintenant, et les toits des maisons luisaient comme de l'argent... D'une cheminée en face, un fin filet de fumée s'élevait ; il ondula, comme un ruban violet à travers l'atmosphère couleur de nacre...

As soon as he was dressed, he went into the library and sat down to a light French breakfast that had been laid out for him on a small round table close to the open window. It was an exquisite day. The warm air seemed laden with spices. A bee flew in and buzzed round the blue-dragon bowl that, filled with sulphur-yellow roses, stood before him. He felt perfectly happy.

Aussitôt qu'il fut habillé, il entra dans la bibliothèque et s'assit devant un léger déjeu-ner à la française, servi sur une petite table mise près de la fenêtre ouverte. Il faisait un temps délicieux ; l'air chaud paraissait chargé d'épices... Une abeille entra et bourdonna autour du bol bleu-dragon, rempli de roses d'un jaune de soufre qui était posé devant lui. Il se sentit parfaitement heureux.

As soon as he had left, he rushed to the screen and drew it back. No; there was no further change in the picture. It had received the news of Sibyl Vane's death before he had known of it himself. It was conscious of the events of life as they occurred. The vicious cruelty that marred the fine lines of the mouth had, no doubt, appeared at the very moment that the girl had drunk the poison, whatever it was. Or was it indifferent to results? Did it merely take cognizance of what passed within the soul? He wondered, and hoped that some day he would see the change taking place before his very eyes, shuddering as he hoped it.

Aussitôt qu'il fut sorti, il se précipita vers le paravent et découvrit la peinture. Non ! Rien n'était changé de nouveau dans le portrait ; il avait su la mort de Sibyl Vane avant lui ; il savait les événements de la vie alors qu'ils arrivaient. La cruauté méchante qui gâtait les fines lignes de la bouche, avait apparu, sans doute, au moment même où la jeune fille avait bu le poison... Ou bien était-il indifférent aux événements ? Connaissait-il simplement ce qui se passait dans l'âme. Il s'étonnait, espérant que quelque jour, il verrait le changement se produire devant ses yeux et cette pensée le fit frémir.

As soon as it was over, Dorian Gray rushed behind the scenes into the greenroom. The girl was standing there alone, with a look of triumph on her face. Her eyes were lit with an exquisite fire. There was a radiance about her. Her parted lips were smiling over some secret of their own.

Aussitôt que ce fut fini, Dorian Gray se précipita par les coulisses vers le foyer... Il y trouva la jeune fille seule ; un regard de triomphe éclairait sa face. Dans ses yeux brillait une flamme exquise ; une sorte de rayonnement semblait l'entourer. Ses lèvres demi ouvertes souriaient à quelque mystérieux secret connu d'elle seule.

He was a marvellous type, too, this lad, whom by so curious a chance he had met in Basil's studio, or could be fashioned into a marvellous type, at any rate. Grace was his, and the white purity of boyhood, and beauty such as old Greek marbles kept for us. There was nothing that one could not do with him. He could be made a Titan or a toy. What a pity it was that such beauty was destined to fade! . . .

C'est qu'il était un merveilleux échantillon d'humanité, cet adolescent que par un si étrange hasard, il avait rencontré dans l'atelier de Basil ; on en pouvait faire un absolu type de beauté. Il incarnait la grâce, et la blanche pureté de l'adolescence, et toute la splendeur que nous ont conservée les marbres grecs. Il n'est rien qu'on n'en eût pu tirer. Il eût pu être un Titan aussi bien qu'un joujou. Quel malheur qu'une telle beauté fût destinée à se faner !

For there would be a real pleasure in watching it. He would be able to follow his mind into its secret places. This portrait would be to him the most magical of mirrors. As it had revealed to him his own body, so it would reveal to him his own soul. And when winter came upon it, he would still be standing where spring trembles on the verge of summer. When the blood crept from its face, and left behind a pallid mask of chalk with leaden eyes, he would keep the glamour of boyhood. Not one blossom of his loveliness would ever fade. Not one pulse of his life would ever weaken. Like the gods of the Greeks, he would be strong, and fleet, and joyous. What did it matter what happened to the coloured image on the canvas? He would be safe. That was everything.

Car il y aurait un véritable plaisir à guetter ce changement ? Il pourrait suivre son esprit dans ses pensées secrètes ; ce portrait lui serait le plus magique des miroirs. Comme il lui avait révélé son propre corps, il lui révélerait sa propre âme. Et quand l'hiver de la vie viendrait, sur le portrait, lui, resterait sur la lisière frissonnante du printemps et de l'été. Quand le sang lui viendrait à la face, laissant derrière un masque pallide de craie aux yeux plombés, il garderait la splendeur de l'adolescence. Aucune floraison de sa jeunesse ne se flétrirait ; le pouls de sa vie ne s'affaiblirait point. Comme les dieux de la Grèce, il serait fort, et léger et joyeux. Que pouvait lui faire ce qui arriverait à l'image peinte sur la toile ? Il serait sauf : tout était là !...

It was with a renewed feeling of disappointment that she waved the tattered lace handkerchief from the window, as her son drove away. She was conscious that a great opportunity had been wasted. She consoled herself by telling Sibyl how desolate she felt her life would be, now that she had only one child to look after. She remembered the phrase. It had pleased her. Of the threat she said nothing. It was vividly and dramatically expressed. She felt that they would all laugh at it some day.

Ce fut avec un nouveau désappointement qu'elle agita le mouchoir de dentelle par la fenêtre quand son fils partit en voiture. Elle sentait qu'une magnifique occasion était perdue. Elle se consola en disant à Sibyl la désolation qui serait désormais, dans sa vie, maintenant qu'elle n'aurait plus qu'un enfant à surveiller. Elle se rappelait cette phrase qui lui avait plu ; elle ne dit rien de la menace ; elle avait été vivement et dramatiquement exprimée. Elle sentait bien qu'un jour ils en riraient tous ensemble.

Yet she was curiously listless. She showed no sign of joy when her eyes rested on Romeo. The few words she had to speak—

Cependant, elle était curieusement insouciante ; elle ne montrait aucun signe de joie quand ses yeux se posaient sur Roméo. Le peu de mots qu'elle avait à dire :

Still, there are certain temperaments that marriage makes more complex. They retain their egotism, and add to it many other egos. They are forced to have more than one life. They become more highly organized, and to be highly organized is, I should fancy, the object of man's existence. Besides, every experience is of value, and whatever one may say against marriage, it is certainly an experience. I hope that Dorian Gray will make this girl his wife, passionately adore her for six months, and then suddenly become fascinated by some one else. He would be a wonderful study."

Cependant, il est certains tempéraments que le mariage rend plus complexes. Ils gardent leur égoïsme et y ajoutent encore. Ils sont forcés d'avoir plus qu'une seule vie. Ils deviennent plus hautement organisés, et être plus hautement organisé, je m'imagine, est l'objet de l'existence de l'homme. En plus, aucune expérience n'est à mépriser, et quoi que l'on puisse dire contre le mariage, ce n'est point une expérience dédaignable. J'espère que Dorian Gray fera de cette jeune fille sa femme, l'adorera passionnément pendant six mois, et se laissera ensuite séduire par quelque autre. Cela nous va être une merveilleuse étude.

Yet it was watching him, with its beautiful marred face and its cruel smile. Its bright hair gleamed in the early sunlight. Its blue eyes met his own. A sense of infinite pity, not for himself, but for the painted image of himself, came over him. It had altered already, and would alter more. Its gold would wither into grey. Its red and white roses would die. For every sin that he committed, a stain would fleck and wreck its fairness. But he would not sin. The picture, changed or unchanged, would be to him the visible emblem of conscience. He would resist temptation. He would not see Lord Henry any more--would not, at any rate, listen to those subtle poisonous theories that in Basil Hallward's garden had first stirred within him the passion for impossible things. He would go back to Sibyl Vane, make her amends, marry her, try to love her again. Yes, it was his duty to do so. She must have suffered more than he had. Poor child! He had been selfish and cruel to her. The fascination that she had exercised over him would return. They would be happy together. His life with her would be beautiful and pure.

Cependant, il le regardait avec sa belle figure ravagée, son cruel sourire... Sa brillante chevelure rayonnait dans le soleil du matin. Ses yeux d'azur rencontrèrent les siens. Un sen-timent d'infinie pitié, non pour lui-même, mais pour son image peinte, le saisit. Elle était déjà changée, et elle s'altérerait encore. L'or se ternirait... Les rouges et blanches roses de son teint se flétriraient. Pour chaque péché qu'il commettrait, une tache s'ajouterait aux autres taches, recouvrant peu à peu sa beauté... Mais il ne pécherait pas !... Le portrait, changé ou non, lui serait le visible emblème de sa conscience. Il résisterait aux tentations. Il ne verrait jamais plus lord Henry, il n'écouterait plus, de toute façon, les subtiles théories empoisonnées qui avaient, pour la première fois, dans le jardin de Basil, insufflé en lui la passion d'impossibles choses. Il retournerait à Sibyl Vane, lui présenterait ses repentirs, l'épouserait, essaierait de l'aimer encore. Oui, c'était son devoir. Elle avait souffert plus que lui. Pauvre enfant ! Il avait été égoïste et cruel envers elle. Elle reprendrait sur lui la fascination de jadis ; ils seraient heureux ensemble. La vie, à côté d'elle, serait belle et pure.

And, yet, how vivid was his recollection of the whole thing! First in the dim twilight, and then in the bright dawn, he had seen the touch of cruelty round the warped lips. He almost dreaded his valet leaving the room. He knew that when he was alone he would have to examine the portrait. He was afraid of certainty. When the coffee and cigarettes had been brought and the man turned to go, he felt a wild desire to tell him to remain. As the door was closing behind him, he called him back. The man stood waiting for his orders. Dorian looked at him for a moment. "I am not at home to any one, Victor," he said with a sigh. The man bowed and retired.

Cependant, le souvenir lui en était encore présent... D'abord, dans la pénombre, ensuite dans la pleine clarté, il l'avait vue, cette touche de cruauté autour de ses lèvres tourmentées... Il craignit presque que le valet quittât la chambre, car il savait, il savait qu'il courrait encore contempler le portrait, sitôt seul... Il en était sûr. Quand le domestique, après avoir servi le café et les cigarettes, se dirigea vers la porte, il se sentit un violent désir de lui dire de rester. Comme la porte se fermait derrière lui, il le rappela... Le domestique demeurait immobile, attendant les ordres... Dorian le regarda. - Je n'y suis pour personne, Victor, dit-il avec un soupir.

One thing, however, he felt that it had done for him. It had made him conscious how unjust, how cruel, he had been to Sibyl Vane. It was not too late to make reparation for that. She could still be his wife. His unreal and selfish love would yield to some higher influence, would be transformed into some nobler passion, and the portrait that Basil Hallward had painted of him would be a guide to him through life, would be to him what holiness is to some, and conscience to others, and the fear of God to us all. There were opiates for remorse, drugs that could lull the moral sense to sleep. But here was a visible symbol of the degradation of sin. Here was an ever-present sign of the ruin men brought upon their souls.

Cette chose avait eu, toutefois, un effet sur lui... Il devenait conscient de son injustice et de sa cruauté envers Sibyl Vane... Il n'était pas trop tard pour réparer ses torts. Elle pouvait encore devenir sa femme. Son égoïste amour irréel céderait à quelque plus haute influence, se transformerait en une plus noble passion, et son portrait par Basil Hallward lui serait un guide à travers la vie, lui serait ce qu'est la sainteté à certains, la conscience à d'autres et la crainte de Dieu à tous... Il y a des opiums pour les remords, des narcotiques moraux pour l'esprit. Oui, cela était un symbole visible, de la dégradation qu'amenait le péché !... C'était un signe avertisseur des désastres prochains que les hommes préparent à leurs âmes !

Chapter 1

Chapitre I

Chapter 2

Chapitre II

Chapter 3

Chapitre III

Chapter 4

Chapitre IV

Chapter 9

Chapitre IX

Chapter 5

Chapitre V

Chapter 6

Chapitre VI

Chapter 7

Chapitre VII

Chapter 8

Chapitre VIII

Every impulse that we strive to strangle broods in the mind and poisons us. The body sins once, and has done with its sin, for action is a mode of purification. Nothing remains then but the recollection of a pleasure, or the luxury of a regret. The only way to get rid of a temptation is to yield to it. Resist it, and your soul grows sick with longing for the things it has forbidden to itself, with desire for what its monstrous laws have made monstrous and unlawful. It has been said that the great events of the world take place in the brain. It is in the brain, and the brain only, that the great sins of the world take place also.

Chaque impulsion que nous essayons d'anéantir, germe en nous et nous empoisonne. Le corps pèche d'abord, et se satisfait avec son péché, car l'action est un mode de purification. Rien ne nous reste que le souvenir d'un plaisir ou la volupté d'un regret. Le seul moyen de se débarrasser d'une tentation est d'y céder. Essayez de lui résister, et votre âme aspire maladivement aux choses qu'elle s'est défendues ; avec, en plus, le désir pour ce que des lois monstrueuses ont fait illégal et mons-trueux. « Ceci a été dit que les grands événements du monde prennent place dans la cervelle. C'est dans la cervelle, et là, seulement, que prennent aussi place les grands péchés du monde.

As he closed the door behind him, Dorian Gray touched the bell, and in a few minutes Victor appeared with the lamps and drew the blinds down. He waited impatiently for him to go. The man seemed to take an interminable time over everything.

Comme il fermait la porte derrière lui, Dorian Gray sonna, et au bout d'un instant, Vic-tor apparut avec les lampes et tira les jalousies. Dorian s'impatientait, voulant déjà être parti, et il lui semblait que Victor n'en finissait pas...

As he was passing out of the door, Dorian Gray touched him on the arm. "Let me come with you," he murmured.

Comme il sortait, Dorian Gray lui toucha le bras. - Laissez-moi aller avec vous, murmura-t-il.

As they entered the studio, Dorian Gray put his hand upon Lord Henry's arm. "In that case, let our friendship be a caprice," he murmured, flushing at his own boldness, then stepped up on the platform and resumed his pose.

Comme ils entraient dans l'atelier, Dorian Gray mit sa main sur le bras de lord Harry : - Dans ce cas, que notre amitié ne soit qu'un caprice, murmura-t-il, rougissant de sa propre audace... Il monta sur la plate-forme et reprit sa pose...

As the door closed behind them, the painter flung himself down on a sofa, and a look of pain came into his face.

Comme la porte se fermait derrière eux, le peintre s'écroula sur un sofa, et une expres-sion de douleur se peignit sur sa face.

As he often remembered afterwards, and always with no small wonder, he found himself at first gazing at the portrait with a feeling of almost scientific interest. That such a change should have taken place was incredible to him. And yet it was a fact. Was there some subtle affinity between the chemical atoms that shaped themselves into form and colour on the canvas and the soul that was within him? Could it be that what that soul thought, they realized?--that what it dreamed, they made true? Or was there some other, more terrible reason? He shuddered, and felt afraid, and, going back to the couch, lay there, gazing at the picture in sickened horror.

Comme souvent il se le rappela plus tard, et toujours non sans étonnement, il se trouva qu'il examinait le portrait avec un sentiment indéfinissable d'intérêt scientifique. Qu'un pareil changement fut arrivé, cela lui semblait impossible... et cependant cela était !... Y avait-il quelques subtiles affinités entre les atomes chimiques mêlés en formes et en couleurs sur la toile, et l'âme qu'elle renfermait ? Se pouvait-il qu'ils l'eussent réalisé, ce que cette âme avait pensé ; que ce qu'elle rêva, ils l'eussent fait vrai ? N'y avait-il dans cela quelque autre et... terrible raison ? Il frissonna, effrayé... Retournant vers le divan, il s'y laissa tomber, regardant, hagard, le portrait en frémissant d'horreur !...

Cruelty! Had he been cruel? It was the girl's fault, not his. He had dreamed of her as a great artist, had given his love to her because he had thought her great. Then she had disappointed him. She had been shallow and unworthy. And, yet, a feeling of infinite regret came over him, as he thought of her lying at his feet sobbing like a little child. He remembered with what callousness he had watched her. Why had he been made like that? Why had such a soul been given to him? But he had suffered also. During the three terrible hours that the play had lasted, he had lived centuries of pain, aeon upon aeon of torture. His life was well worth hers. She had marred him for a moment, if he had wounded her for an age. Besides, women were better suited to bear sorrow than men. They lived on their emotions. They only thought of their emotions. When they took lovers, it was merely to have some one with whom they could have scenes. Lord Henry had told him that, and Lord Henry knew what women were. Why should he trouble about Sibyl Vane? She was nothing to him now.

Cruauté ! Avait-il été cruel ? C'était la faute de cette enfant, non la sienne... Il l'avait rêvée une grande artiste, lui avait donné son amour parce qu'il l'avait crue géniale... Elle l'avait désappointé. Elle s'était montrée quelconque, indigne... Tout de même, un sentiment de regret infini l'envahit, en la revoyant dans son esprit, prostrée à ses pieds, sanglotant comme un petit enfant !... Il se rappela avec quelle insensibilité il l'avait regardée alors... Pourquoi avait-il été fait ainsi ? Pourquoi une pareille âme lui avait-elle été donnée ? Mais n'avait-il pas souffert aussi ? Pendant les trois heures qu'avait duré la pièce, il avait vécu des siècles de douleur, des éternités sur des éternités de torture !... Sa vie valait bien la sienne... S'il l'avait blessée, n'avait-elle pas, de son côté, enlaidi son existence ?... D'ailleurs, les femmes sont mieux organisées que les hommes pour supporter les chagrins... Elles vivent d'émotions ; elles ne pensent qu'à cela... Quand elles prennent des amants, c'est simplement pour avoir quelqu'un à qui elles puissent faire des scènes. Lord Henry le lui avait dit et lord Henry connaissait les femmes. Pourquoi s'inquiéterait-il de Sibyl Vane ? Elle ne lui était rien.

In the huge gilt Venetian lantern, spoil of some Doge's barge, that hung from the ceiling of the great, oak-panelled hall of entrance, lights were still burning from three flickering jets: thin blue petals of flame they seemed, rimmed with white fire. He turned them out and, having thrown his hat and cape on the table, passed through the library towards the door of his bedroom, a large octagonal chamber on the ground floor that, in his new-born feeling for luxury, he had just had decorated for himself and hung with some curious Renaissance tapestries that had been discovered stored in a disused attic at Selby Royal. As he was turning the handle of the door, his eye fell upon the portrait Basil Hallward had painted of him. He started back as if in surprise. Then he went on into his own room, looking somewhat puzzled. After he had taken the button-hole out of his coat, he seemed to hesitate. Finally, he came back, went over to the picture, and examined it. In the dim arrested light that struggled through the cream-coloured silk blinds, the face appeared to him to be a little changed. The expression looked different. One would have said that there was a touch of cruelty in the mouth. It was certainly strange.

Dans la grosse lanterne dorée vénitienne, dépouille de quelque gondole dogale, qui pendait au plafond du grand hall d'entrée aux panneaux de chêne, trois jets vacillants de lumière brillaient encore ; ils semblaient de minces pétales de flamme, bleus et blancs. Il les éteignit, et après avoir jeté son chapeau et son manteau sur une table, traversant la biblio-thèque, il poussa la porte de sa chambre à coucher, une grande pièce octogone située au rez-de-chaussée que, dans son goût naissant de luxe, il avait fait décorer et garnir de curieuses tapisseries Renaissance qu'il avait découvertes dans une mansarde délabrée de Selby Royal où elles s'étaient conservées. Comme il tournait la poignée de la porte, ses yeux tombèrent sur son portrait peint par Basil Hallward ; il tressaillit d'étonnement !... Il entra dans sa chambre, vaguement surpris... Après avoir défait le premier bouton de sa redingote, il parut hésiter ; finalement il revint sur ses pas, s'arrêta devant le portrait et l'examina... Dans le peu de lumière traversant les rideaux de soie crème, la face lui parut un peu changée... L'expression semblait différente. On eût dit qu'il y avait comme une touche de cruauté dans la bouche... C'était vraiment étrange !...

And so he had begun by vivisecting himself, as he had ended by vivisecting others. Human life--that appeared to him the one thing worth investigating. Compared to it there was nothing else of any value. It was true that as one watched life in its curious crucible of pain and pleasure, one could not wear over one's face a mask of glass, nor keep the sulphurous fumes from troubling the brain and making the imagination turbid with monstrous fancies and misshapen dreams. There were poisons so subtle that to know their properties one had to sicken of them. There were maladies so strange that one had to pass through them if one sought to understand their nature. And, yet, what a great reward one received! How wonderful the whole world became to one! To note the curious hard logic of passion, and the emotional coloured life of the intellect--to observe where they met, and where they separated, at what point they were in unison, and at what point they were at discord--there was a delight in that! What matter what the cost was? One could never pay too high a price for any sensation.

De sorte qu'il avait commencé à s'analyser lui-même et finissait par analyser les autres. La vie humaine, voilà ce qui paraissait la seule chose digne d'investigation. Nulle autre chose par comparaison, n'avait la moindre valeur. C'était vrai que quiconque regardait la vie et son étrange creuset de douleurs et de joies, ne pouvait supporter sur sa face le masque de verre du chimiste, ni empêcher les vapeurs sulfu-reuses de troubler son cerveau et d'embuer son imagination de monstrueuses fantaisies et de rêves difformes. Il y avait des poisons si subtils que pour connaître leurs propriétés, il fallait les éprouver soi-même. Il y avait des maladies si étranges qu'il fallait les avoir supportées pour en arriver à comprendre leur nature. Et alors, quelle récompense ! Combien merveilleux devenait le monde entier ! Noter l'âpre et étrange logique des passions, la vie d'émotions et de couleurs de l'intelligence, observer où elles se rencontrent et où elles se séparent, comment elles vinrent à l'unisson et comment elles discordent, il y avait à cela une véritable jouissance ! Qu'en importait le prix ? On ne pouvait jamais payer trop cher de telles sensations.

After about ten minutes he got up, and throwing on an elaborate dressing-gown of silk-embroidered cashmere wool, passed into the onyx-paved bathroom. The cool water refreshed him after his long sleep. He seemed to have forgotten all that he had gone through. A dim sense of having taken part in some strange tragedy came to him once or twice, but there was the unreality of a dream about it.

Dix minutes après, il se leva, mit une robe de chambre en cachemire brodée de soie et passa dans la salle de bains, pavée en onyx. L'eau froide le ranima après ce long sommeil ; il sembla avoir oublié tout ce par quoi il venait de passer... Une obscure sensation d'avoir pris part à quelque étrange tragédie, lui traversa l'esprit une fois ou deux, mais comme entourée de l'irréalité d'un rêve...

Dorian Gray leaped to his feet, with flushed cheeks and burning eyes. "Harry! Sibyl Vane is sacred!"

Dorian Gray bondit sur ses pieds, les joues empourprées, l'œil en feu : - Harry ! Sibyl Vane est sacrée.

Dorian Gray stepped up on the dais with the air of a young Greek martyr, and made a little moue of discontent to Lord Henry, to whom he had rather taken a fancy. He was so unlike Basil. They made a delightful contrast. And he had such a beautiful voice. After a few moments he said to him, "Have you really a very bad influence, Lord Henry? As bad as Basil says?"

Dorian Gray gravit la plate-forme avec l'air d'un jeune martyr grec, en faisant une pe-tite moue de mécontentement à lord Henry qu'il avait déjà pris en affection ; il était si diffé-rent de Basil, tous deux ils formaient un délicieux contraste... et lord Henry avait une voix si belle... Au bout de quelques instants, il lui dit : - Est-ce vrai que votre influence soit aussi mauvaise que Basil veut bien le dire ?

Dorian Gray lifted his golden head from the pillow, and with pallid face and tear-stained eyes, looked at him as he walked over to the deal painting-table that was set beneath the high curtained window. What was he doing there? His fingers were straying about among the litter of tin tubes and dry brushes, seeking for something. Yes, it was for the long palette-knife, with its thin blade of lithe steel. He had found it at last. He was going to rip up the canvas. With a stifled sob the lad leaped from the couch, and, rushing over to Hallward, tore the knife out of his hand, and flung it to the end of the studio.

Dorian Gray leva sa tête dorée de l'amas des coussins et, sa face pâle baignée de larmes, il regarda le peintre marchant vers une table située sous les grands rideaux de la fe-nêtre. Qu'allait-il faire ? Ses doigts, parmi le fouillis des tubes d'étain et des pinceaux secs, cherchaient quelque chose... Cette lame mince d'acier flexible, le couteau à palette... Il l'avait trouvée ! Il allait anéantir la toile... Suffoquant de sanglots, le jeune homme bondit du divan, et se précipitant vers Hallward, arracha le couteau de sa main, et le lança à l'autre bout de l'atelier.

Dorian Gray frowned and turned his head away. He could not help liking the tall, graceful young man who was standing by him. His romantic, olive-coloured face and worn expression interested him. There was something in his low languid voice that was absolutely fascinating. His cool, white, flowerlike hands, even, had a curious charm. They moved, as he spoke, like music, and seemed to have a language of their own.

Dorian Gray prit un air chagrin et tourna la tête. Certes, il ne pouvait s'empêcher d'aimer le beau et gracieux jeune homme qu'il avait en face de lui. Sa figure olivâtre et roma-nesque, à l'expression fatiguée, l'intéressait. Il y avait quelque chose d'absolument fascinant dans sa voix languide et basse. Ses mains mêmes, ses mains fraîches et blanches, pareilles à des fleurs, possédaient un charme curieux.

Dorian Gray turned and looked at him. "I believe you would, Basil. You like your art better than your friends. I am no more to you than a green bronze figure. Hardly as much, I dare say."

Dorian Gray se tourna vers lui. - Je le crois, Basil... Vous aimez votre art mieux que vos amis. Je ne vous suis ni plus ni moins qu'une de vos figures de bronze vert. À peine autant, plutôt...

Dorian Gray shook his head. "I left her in the forest of Arden; I shall find her in an orchard in Verona."

Dorian Gray secoua la tête. - Je l'ai laissée dans la forêt d'Ardennes, je la retrouverai dans un verger à Vérone.

Dorian Gray laughed, and tossed his head. "You are quite incorrigible, Harry; but I don't mind. It is impossible to be angry with you. When you see Sibyl Vane, you will feel that the man who could wrong her would be a beast, a beast without a heart. I cannot understand how any one can wish to shame the thing he loves. I love Sibyl Vane. I want to place her on a pedestal of gold and to see the world worship the woman who is mine. What is marriage? An irrevocable vow. You mock at it for that. Ah! don't mock. It is an irrevocable vow that I want to take. Her trust makes me faithful, her belief makes me good. When I am with her, I regret all that you have taught me. I become different from what you have known me to be. I am changed, and the mere touch of Sibyl Vane's hand makes me forget you and all your wrong, fascinating, poisonous, delightful theories."

Dorian Gray sourit et remua la tête. - Vous êtes tout à fait incorrigible, Harry, mais je n'y fais pas attention. Il est impos-sible de se fâcher avec vous... Quand vous verrez Sibyl Vane, vous comprendrez que l'homme qui lui ferait de la peine serait une brute, une brute sans cœur. Je ne puis comprendre comment quelqu'un peut humilier l'être qu'il aime. J'aime Sibyl Vane. J'ai besoin de l'élever sur un piédestal d'or, et de voir le monde estimer la femme qui est mienne. Qu'est-ce que c'est que le mariage ? Un vœu irrévocable. Vous vous moquez ?... Ah ! ne vous moquez pas ! C'est un vœu irrévocable que j'ai besoin de faire. Sa confiance me fera fidèle, sa foi me fera bon. Quand je suis avec elle, je regrette tout ce que vous m'avez appris. Je deviens différent de ce que vous m'avez connu. Je suis transformé, et le simple attouchement des mains de Sibyl Vane me fait vous oublier, vous et toutes vos fausses, fascinantes, empoisonnées et cependant délicieuses théories.

Dorian made no answer, but passed listlessly in front of his picture and turned towards it. When he saw it he drew back, and his cheeks flushed for a moment with pleasure. A look of joy came into his eyes, as if he had recognized himself for the first time. He stood there motionless and in wonder, dimly conscious that Hallward was speaking to him, but not catching the meaning of his words. The sense of his own beauty came on him like a revelation. He had never felt it before.

Dorian ne répondit pas ; il arriva nonchalamment vers son portrait et se tourna vers lui... Quand il l'aperçut, il sursauta et ses joues rougirent un moment de plaisir. Un éclair de joie passa dans ses yeux, car il se reconnut pour la première fois. Il demeura quelque temps immobile, admirant, se doutant que Hallward lui parlait, sans comprendre la signification de ses paroles. Le sens de sa propre beauté surgit en lui comme une révélation. Il ne l'avait jus-qu'alors jamais perçu.

Dorian did not answer for a few moments. He was dazed with horror. Finally he stammered, in a stifled voice, "Harry, did you say an inquest? What did you mean by that? Did Sibyl--? Oh, Harry, I can't bear it! But be quick. Tell me everything at once."

Dorian ne répondit point pendant quelques instants. Il était terrassé d'épouvante... Il balbutia enfin d'une voix étouffée : - Harry, vous parlez d'enquête ? Que voulez-vous dire ? Sibyl aurait-elle ?... Oh ! Har-ry, je ne veux pas y penser ! Mais parlez vite ! Dites-moi tout !...

Dorian Gray grew pale as he watched her. He was puzzled and anxious. Neither of his friends dared to say anything to him. She seemed to them to be absolutely incompetent. They were horribly disappointed.

Dorian pâlit en l'observant, étonné, anxieux... Aucun de ses amis n'osait lui parler ; elle leur semblait sans aucun talent ; ils étaient tout à fait désappointés.

Dorian smiled and shook his head: "I am afraid I don't think so, Lady Henry. I never talk during music--at least, during good music. If one hears bad music, it is one's duty to drown it in conversation."

Dorian sourit en secouant la tête. - Je crains de n'être pas de cet avis, lady Henry, je ne parle jamais pendant la musique, du moins pendant la bonne musique. Si l'on en entend de mauvaise, c'est un devoir de la couvrir par le bruit d'une conversation.

As he left the room, Lord Henry's heavy eyelids drooped, and he began to think. Certainly few people had ever interested him so much as Dorian Gray, and yet the lad's mad adoration of some one else caused him not the slightest pang of annoyance or jealousy. He was pleased by it. It made him a more interesting study. He had been always enthralled by the methods of natural science, but the ordinary subject-matter of that science had seemed to him trivial and of no import.

Dès qu'il fut parti, les lourdes paupières de lord Henry se baissèrent et il se mit il à ré-fléchir. Certes, peu d'êtres l'avaient jamais intéressé au même point que Dorian Gray et même la passion de l'adolescent pour quelque autre lui causait une affre légère d'ennui ou de jalou-sie. Il en était content. Il se devenait à lui-même ainsi un plus intéressant sujet d'études. Il avait toujours été dominé par le goût des sciences, mais les sujets ordinaires des sciences naturelles lui avaient paru vulgaires et sans intérêt.

Well, one evening about seven o'clock, I determined to go out in search of some adventure. I felt that this grey monstrous London of ours, with its myriads of people, its sordid sinners, and its splendid sins, as you once phrased it, must have something in store for me. I fancied a thousand things. The mere danger gave me a sense of delight. I remembered what you had said to me on that wonderful evening when we first dined together, about the search for beauty being the real secret of life.

Eh bien, un soir, vers sept heures, je résolus de sortir en quête de quelque aventure. Je sentais que notre gris et monstrueux Londres, avec ses millions d'habitants, ses sordides pécheurs et ses péchés splendides, comme vous disiez, devait avoir pour moi quelque chose en réserve. J'imaginais mille choses. Le simple danger me donnait une sorte de joie. Je me rappelais tout ce que vous m'aviez dit durant cette merveilleuse soirée où nous dînâmes ensemble pour la première fois, à propos de la recherche de la Beauté qui est le vrai secret de l'existence.

She started to her feet. "There he is!" she cried.

Elle bondit sur ses pieds. - Le voici ! cria-t-elle.

Hallward laid his hand upon his arm. "Don't, Harry. You have annoyed Dorian. He is not like other men. He would never bring misery upon any one. His nature is too fine for that."

Hallward lui mit la main sur le bras. - Finissez, Harry... Vous désobligez Dorian. Il n'est pas comme les autres et ne ferait de peine à personne ; sa nature est trop délicate pour cela.

She made her brother talk of himself, his hopes, his prospects. He spoke slowly and with effort. They passed words to each other as players at a game pass counters. Sibyl felt oppressed. She could not communicate her joy. A faint smile curving that sullen mouth was all the echo she could win. After some time she became silent. Suddenly she caught a glimpse of golden hair and laughing lips, and in an open carriage with two ladies Dorian Gray drove past.

Elle fit parler son frère de lui-même, de ses espérances et de ses projets. Il parlait dou-cement avec effort. Ils échangèrent les paroles comme des joueurs se passent les jetons. Sibyl était oppressée, ne pouvant communiquer sa joie. Un faible sourire ébauché sur des lèvres moroses était tout l'écho qu'elle parvenait à éveiller. Après quelque temps, elle devint silen-cieuse. Soudain elle saisit au passage la vision d'une chevelure dorée et d'une bouche riante, et dans une voiture découverte, Dorian Gray passa en compagnie de deux dames.

She looked charming as she came out in the moonlight. That could not be denied. But the staginess of her acting was unbearable, and grew worse as she went on. Her gestures became absurdly artificial. She overemphasized everything that she had to say. The beautiful passage--

Elle fut vraiment charmante quand elle surgit dans le clair de lune ; c'était vrai ; mais l'hésitation de son jeu était insupportable et il devenait de plus en plus mauvais à mesure qu'elle avançait dans son rôle. Ses gestes étaient absurdement artificiels. Elle emphatisait au-delà des limites permises ce qu'elle avait à dire. Le beau passage :

She looked at him in wonder and laughed. He made no answer. She came across to him, and with her little fingers stroked his hair. She knelt down and pressed his hands to her lips. He drew them away, and a shudder ran through him.

Elle le regarda avec admiration et se mit à rire... Il ne dit rien. Elle vint près de lui et de ses petits doigts lui caressa les cheveux. Elle s'agenouilla, lui baisant les mains... Il les retira, pris d'un frémissement. Il se dressa soudain et marcha vers la porte.

She looked at him in horror. He repeated his words. They cut the air like a dagger. The people round began to gape. A lady standing close to her tittered.

Elle le regarda avec horreur ! Il répéta ces paroles qui coupaient l'air comme un poi-gnard... Les passants commençaient à s'amasser. Une dame tout près d'eux ricanait.

she spoke the words as though they conveyed no meaning to her. It was not nervousness. Indeed, so far from being nervous, she was absolutely self-contained. It was simply bad art. She was a complete failure.

Elle les dit comme s'ils ne comportaient pour elle aucune espèce de signification ; ce n'était pas nervosité, bien au contraire ; elle paraissait absolument consciente de ce qu'elle faisait. C'était simplement du mauvais art ; l'échec était parfait.

She seemed not to listen to him. She was transfigured with joy. An ecstasy of happiness dominated her. "Dorian, Dorian," she cried, "before I knew you, acting was the one reality of my life. It was only in the theatre that I lived. I thought that it was all true. I was Rosalind one night and Portia the other. The joy of Beatrice was my joy, and the sorrows of Cordelia were mine also. I believed in everything. The common people who acted with me seemed to me to be godlike. The painted scenes were my world. I knew nothing but shadows, and I thought them real.

Elle ne semblait plus l'écouter ; transfigurée de joie, elle paraissait en proie à une extase de bonheur !... - Dorian ! Dorian, s'écria-t-elle, avant de vous connaître, je croyais que la seule réalité de la vie était le théâtre : c'était seulement pour le théâtre que je vivais ; je pensais que tout cela était vrai ; j'étais une nuit Rosalinde, et l'autre, Portia : la joie de Béatrice était ma joie, et les tristesses de Cordelia furent miennes !... Je croyais en tout !... Les gens grossiers qui jouaient avec moi me semblaient pareils à des dieux ! J'errais parmi les décors comme dans un monde à moi : je ne connaissais que des ombres, et je les croyais réelles !

She wept silently, and made no answer, but crept nearer. Her little hands stretched blindly out, and appeared to be seeking for him. He turned on his heel and left the room. In a few moments he was out of the theatre.

Elle pleurait silencieusement, et ne fit point de réponse ; rampante, elle se rapprocha ; ses petites mains se tendirent comme celles d'un aveugle et semblèrent le chercher... Il tourna sur ses talons et quitta le foyer. Quelques instants après, il était dehors...

A low moan broke from her, and she flung herself at his feet and lay there like a trampled flower. "Dorian, Dorian, don't leave me!" she whispered. "I am so sorry I didn't act well. I was thinking of you all the time. But I will try--indeed, I will try. It came so suddenly across me, my love for you. I think I should never have known it if you had not kissed me-- if we had not kissed each other. Kiss me again, my love. Don't go away from me. I couldn't bear it. Oh! don't go away from me.

Elle poussa un gémissement triste, et s'écroulant à ses pieds, elle resta sans mouvement, comme une fleur piétinée. - Dorian, Dorian, ne m'abandonnez pas, souffla-t-elle. Je suis désolée d'avoir si mal joué ; je pensais à vous tout le temps ; mais j'essaierai... oui, j'essaierai... Cela me vint si vite, cet amour pour vous... Je pense que je l'eusse toujours ignoré si vous ne m'aviez pas embras-sé... Si nous ne nous étions pas embrassés... Embrasse-moi encore, mon amour... Ne t'en va pas ! Je ne pourrais le supporter ! Oh ! ne t'en va pas !...

She heaved a deep sigh. It was a sigh of relief. The terrible moment, the moment that night and day, for weeks and months, she had dreaded, had come at last, and yet she felt no terror. Indeed, in some measure it was a disappointment to her. The vulgar directness of the question called for a direct answer. The situation had not been gradually led up to. It was crude. It reminded her of a bad rehearsal.

Elle poussa un profond soupir. C'était un soupir de soulagement. Le moment terrible, ce moment que jour et nuit, pendant des semaines et des mois, elle attendait craintivement était enfin venu et elle ne se sentait pas effrayée. C'était vraiment pour elle comme un désap-pointement. La question ainsi vulgairement posée demandait une réponse directe. La situation n'avait pas été amenée graduellement. C'était cru. Cela lui semblait comme une mauvaise répétition.

She shrank from him. Then she laughed and put her hand on his arm. He was merely a boy.

Elle recula, puis avec un bon rire, elle lui prit le bras. Ce n'était après tout qu'un en-fant...

She flushed. "What do you mean, Jim?" she asked.

Elle rougit... - Que voulez-vous dire, Jim ?

She laughed and took his arm. "You dear old Jim, you talk as if you were a hundred. Some day you will be in love yourself. Then you will know what it is. Don't look so sulky. Surely you should be glad to think that, though you are going away, you leave me happier than I have ever been before. Life has been hard for us both, terribly hard and difficult. But it will be different now. You are going to a new world, and I have found one. Here are two chairs; let us sit down and see the smart people go by."

Elle se mit à rire et lui prit le bras. - Cher vieux Jim, vous parlez comme si vous étiez centenaire. Un jour, vous serez amoureux vous-même, alors vous saurez ce que c'est. N'ayez pas l'air si maussade. Vous devriez sûrement être content de penser que, bien que vous partiez, vous me laissez plus heureuse que je n'ai jamais été. La vie a été dure pour nous, terriblement dure et difficile. Maintenant ce sera différent. Vous allez vers un nouveau monde, et moi j'en ai découvert un !... Voici deux chaises, asseyons-nous et regardons passer tout ce beau monde.

She rose from her knees and, with a piteous expression of pain in her face, came across the room to him. She put her hand upon his arm and looked into his eyes. He thrust her back.

Elle se releva, et une expression pitoyable de douleur sur la figure, elle traversa le foyer et vint vers lui. Elle mit la main sur son bras et le regarda dans les yeux. Il l'éloigna...

She shook her head. "I knew he was not free. We loved each other very much. If he had lived, he would have made provision for us. Don't speak against him, my son. He was your father, and a gentleman. Indeed, he was highly connected."

Elle secoua la tête : - Je savais qu'il n'était pas libre. Nous nous aimions beaucoup tous deux. S'il avait vécu, il aurait amassé pour nous. Ne parlez pas contre lui, mon fils. C'était votre père, et c'était un gentleman ; il avait de hautes relations.

She was extremely annoyed at the tone he had adopted with her, and there was something in his look that had made her feel afraid.

Elle était très ennuyée du ton qu'il avait pris avec elle et quelque chose dans son regard l'avait effrayée.

As they entered they saw Dorian Gray. He was seated at the piano, with his back to them, turning over the pages of a volume of Schumann's "Forest Scenes." "You must lend me these, Basil," he cried. "I want to learn them. They are perfectly charming."

En entrant, ils aperçurent Dorian Gray. Il était assis au piano, leur tournant le dos, feuilletant les pages d'un volume des « Scènes de la Forêt » de Schumann. - Vous allez me les prêter, Basil, cria-t-il... Il faut que je les apprenne. C'est tout à fait charmant.

In politics he was a Tory, except when the Tories were in office, during which period he roundly abused them for being a pack of Radicals. He was a hero to his valet, who bullied him, and a terror to most of his relations, whom he bullied in turn. Only England could have produced him, and he always said that the country was going to the dogs. His principles were out of date, but there was a good deal to be said for his prejudices.

En politique, il était Tory, excepté lorsque les Tories étaient au pouvoir ; à ces moments-là, il ne manquait jamais de les accuser d'être un « tas de radicaux ». Il était un héros pour son domestique qui le tyrannisait, et la terreur de ses amis qu'il tyrannisait à son tour. L'Angleterre seule avait pu produire un tel homme, et il disait toujours que le pays « allait aux chiens ». Ses principes étaient démodés, mais il y avait beaucoup à dire en faveur de ses préjugés.

Yet it was not this alone that made him gloomy and morose. Inexperienced though he was, he had still a strong sense of the danger of Sibyl's position. This young dandy who was making love to her could mean her no good. He was a gentleman, and he hated him for that, hated him through some curious race-instinct for which he could not account, and which for that reason was all the more dominant within him. He was conscious also of the shallowness and vanity of his mother's nature, and in that saw infinite peril for Sibyl and Sibyl's happiness. Children begin by loving their parents; as they grow older they judge them; sometimes they forgive them.

Encore n'était-ce pas tout cela qui le rendait soucieux et morose. Tout inexpérimenté qu'il fut, il avait un vif sentiment des dangers de la position de Sibyl. Le jeune dandy qui lui fait la cour ne lui disait rien de bon. C'était un gentleman et il le détestait pour cela, par un curieux instinct de race dont il ne pouvant lui-même se rendre compte, et qui pour cette raison le dominait d'autant plus. Il connaissait aussi la futilité et la vanité de sa mère et il y voyait un péril pour Sibyl et pour le bonheur de celle-ci. Les enfants commencent par aimer leurs pa-rents ; en vieillissant ils les jugent ; quelquefois ils les oublient.

At last he heard a step outside, and the door opened. "How late you are, Harry!" he murmured.

Enfin il perçut un bruit de pas dehors et la porte s'ouvrit. - Comme vous êtes en retard, Harry, murmura-t-il.

At last, liveried in the costume of the age, reality entered the room in the shape of a servant to tell the duchess that her carriage was waiting. She wrung her hands in mock despair. "How annoying!" she cried. "I must go. I have to call for my husband at the club, to take him to some absurd meeting at Willis's Rooms, where he is going to be in the chair. If I am late he is sure to be furious, and I couldn't have a scene in this bonnet. It is far too fragile. A harsh word would ruin it. No, I must go, dear Agatha. Good- bye, Lord Henry, you are quite delightful and dreadfully demoralizing. I am sure I don't know what to say about your views. You must come and dine with us some night. Tuesday? Are you disengaged Tuesday?"

Enfin, la réalité en livrée moderne fit son entrée dans la salle à manger, sous la forme d'un domestique qui vint annoncer à la duchesse que sa voiture l'attendait. Elle se tordit les bras dans un désespoir comique. - Que c'est ennuyeux ! s'écria-t-elle. Il faut que je parte ; je dois rejoindre mon mari au club pour aller à un absurde meeting, qu'il doit présider aux Willis's Rooms. Si je suis en retard il sera sûrement furieux, et je ne puis avoir une scène avec ce chapeau. Il est beaucoup trop fragile. Le moindre mot le mettrait en pièces. Non, il faut que je parte, chère Agathe. Au revoir, lord Henry, vous êtes tout à fait délicieux et terriblement démoralisant. Je ne sais que dire de vos idées. Il faut que vous veniez dîner chez nous. Mardi par exemple, êtes-vous libre mardi ?

Should he move it aside, after all? Why not let it stay there? What was the use of knowing.? If the thing was true, it was terrible. If it was not true, why trouble about it? But what if, by some fate or deadlier chance, eyes other than his spied behind and saw the horrible change? What should he do if Basil Hallward came and asked to look at his own picture? Basil would be sure to do that. No; the thing had to be examined, and at once. Anything would be better than this dreadful state of doubt.

Enlèverait-il le portrait après tout ? Pourquoi pas le laisser là ? À quoi bon savoir ? Si c'était vrai, c'était terrible ?... Sinon, cela ne valait la peine que l'on s'en occupât... Mais si, par un hasard malheureux, d'autres yeux que les siens découvraient le portrait et en constataient l'horrible changement ?... Que ferait-il, si Basil Hallward venait et deman-dait à revoir son propre tableau. Basil le ferait sûrement. Il lui fallait examiner à nouveau la toile... Tout, plutôt que cet infernal état de doute !...

And Basil? From a psychological point of view, how interesting he was! The new manner in art, the fresh mode of looking at life, suggested so strangely by the merely visible presence of one who was unconscious of it all; the silent spirit that dwelt in dim woodland, and walked unseen in open field, suddenly showing herself, Dryadlike and not afraid, because in his soul who sought for her there had been wakened that wonderful vision to which alone are wonderful things revealed; the mere shapes and patterns of things becoming, as it were, refined, and gaining a kind of symbolical value, as though they were themselves patterns of some other and more perfect form whose shadow they made real: how strange it all was!

Et Basil, comme il était intéressant, au point de vue du psychologue ! Un art nouveau, une façon inédite de regarder l'existence suggérée par la simple présence d'un être inconscient de tout cela ; c'était l'esprit silencieux qui vit au fond des bois et court dans les plaines, se montrant tout à coup, Dryade non apeurée, parce qu'en l'âme qui le recherchait avait été évoquée la merveilleuse vision par laquelle sont seules révélées les choses merveilleuses ; les simples apparences des choses se magnifiant jusqu'au symbole, comme si elles n'étaient que l'ombre d'autres formes plus parfaites qu'elles rendraient palpables et visibles... Comme tout cela était étrange !

And her voice--I never heard such a voice. It was very low at first, with deep mellow notes that seemed to fall singly upon one's ear. Then it became a little louder, and sounded like a flute or a distant hautboy. In the garden-scene it had all the tremulous ecstasy that one hears just before dawn when nightingales are singing. There were moments, later on, when it had the wild passion of violins. You know how a voice can stir one. Your voice and the voice of Sibyl Vane are two things that I shall never forget. When I close my eyes, I hear them, and each of them says something different. I don't know which to follow.

Et sa voix ! jamais je n'ai entendu une pareille voix. Elle parlait très bas tout d'abord, avec des notes profondes et mélodieuses : comme si sa parole ne devait tomber que dans une oreille, puis ce fut un peu plus haut et le son ressemblait à celui d'une flûte ou d'un hautbois lointain. Dans la scène du jardin, il avait la tremblante extase que l'on perçoit avant l'aube lorsque chantent les rossignols. Il y avait des moments, un peu après, où cette voix empruntait la passion sauvage des violons. Vous savez combien une voix peut émouvoir. Votre voix et celle de Sibyl Vane sont deux musiques que je n'oublierai jamais. Quand je ferme les yeux, je les entends, et chacune d'elle dit une chose différente. Je ne sais laquelle suivre.

Good pilgrim, you do wrong your hand too much, Which mannerly devotion shows in this; For saints have hands that pilgrims' hands do touch, And palm to palm is holy palmers' kiss--

Good pilgrim, you de wrong your hand too much Which mannerly dévotion shows in this; For saints have bands that pilgrims' hands de touch And palm to palm is holy palmers' kiss...

Hallward amused himself with watching the faces in the pit. The heat was terribly oppressive, and the huge sunlight flamed like a monstrous dahlia with petals of yellow fire. The youths in the gallery had taken off their coats and waistcoats and hung them over the side. They talked to each other across the theatre and shared their oranges with the tawdry girls who sat beside them. Some women were laughing in the pit. Their voices were horribly shrill and discordant. The sound of the popping of corks came from the bar.

Hallward s'amusa à observer les personnes du parterre... La chaleur était suffocante et le lustre énorme avait l'air, tout flambant, d'un monstrueux dahlia aux pétales de feu jaune. Les jeunes gens des galeries avaient retiré leurs jaquettes et leurs gilets et se penchaient sur les balustrades. Ils échangeaient des paroles d'un bout à l'autre du théâtre et partageaient des oranges avec des filles habillées de couleurs voyantes, assises à côté d'eux. Quelques femmes riaient au parterre. Leurs voix étaient horriblement perçantes et discordantes. Un bruit de bouchons sautant arrivait du bar.

Hallward bit his lip. "If Dorian wishes it, of course you must stay. Dorian's whims are laws to everybody, except himself."

Hallward se mordit les lèvres... - Puisque Dorian le désire, vous pouvez rester. Ses caprices sont des lois pour chacun, excepté pour lui.

Hallward started and then frowned. "Dorian engaged to be married!" he cried. "Impossible!"

Hallward sursauta en fronçant les sourcils... - Dorian Gray se marie, cria-t-il... Impossible !

He was conscious--and the thought brought a gleam of pleasure into his brown agate eyes--that it was through certain words of his, musical words said with musical utterance, that Dorian Gray's soul had turned to this white girl and bowed in worship before her. To a large extent the lad was his own creation. He had made him premature. That was something. Ordinary people waited till life disclosed to them its secrets, but to the few, to the elect, the mysteries of life were revealed before the veil was drawn away. Sometimes this was the effect of art, and chiefly of the art of literature, which dealt immediately with the passions and the intellect. But now and then a complex personality took the place and assumed the office of art, was indeed, in its way, a real work of art, life having its elaborate masterpieces, just as poetry has, or sculpture, or painting.

Il avait conscience - et cette pensée faisait étinceler de plaisir ses yeux d'agate brune - que c'était à cause de certains mots de lui, des mots musicaux, dits sur un ton musical que l'âme de Dorian Gray s'était tournée vers cette blanche jeune fille et était tombée en adoration devant elle. L'adolescent était en quelque sorte sa propre création. Il l'avait fait s'ouvrir pré-maturément à la vie. Cela était bien quelque chose. Les gens ordinaires attendent que la vie leur découvre elle-même ses secrets, mais au petit nombre, à l'élite, ses mystères étaient révélés avant que le voile en fût arraché. Quelquefois c'était un effet de l'art, et particulièrement de la littérature qui s'adresse directement aux passions et à l'intelligence. Mais de temps en temps, une personnalité complexe prenait la place de l'art, devenait vraiment ainsi en son genre une véritable œuvre d'art, la vie ayant ses chefs-d'œuvre, tout comme la poésie, la sculpture ou la peinture.

It was clear to him that the experimental method was the only method by which one could arrive at any scientific analysis of the passions; and certainly Dorian Gray was a subject made to his hand, and seemed to promise rich and fruitful results. His sudden mad love for Sibyl Vane was a psychological phenomenon of no small interest. There was no doubt that curiosity had much to do with it, curiosity and the desire for new experiences, yet it was not a simple, but rather a very complex passion. What there was in it of the purely sensuous instinct of boyhood had been transformed by the workings of the imagination, changed into something that seemed to the lad himself to be remote from sense, and was for that very reason all the more dangerous. It was the passions about whose origin we deceived ourselves that tyrannized most strongly over us. Our weakest motives were those of whose nature we were conscious. It often happened that when we thought we were experimenting on others we were really experimenting on ourselves.

Il demeurait évident pour lui que la méthode expérimentale était la seule par laquelle on put arriver à quelque analyse scientifique des passions ; et Dorian Gray était certainement un sujet fait pour lui et qui semblait promettre de riches et fructueux résultats. Sa passion soudaine pour Sibyl Vane n'était pas un phénomène psychologique de mince intérêt. Sans doute la curiosité y entrait pour une grande part, la curiosité et le désir d'acquérir une nouvelle expérience ; cependant ce n'était pas une passion simple mais plutôt une complexe. Ce qu'elle contenait de pur instinct sensuel de puberté avait été transformé par le travail de l'imagination, et changé en quelque chose qui semblait à l'adolescent étranger aux sens et n'en était pour cela que plus dangereux. Les passions sur l'origine desquelles nous nous trompons, nous tyrannisent plus fortement que toutes les autres. Nos plus faibles mobiles sont ceux de la nature desquels nous sommes conscients. Il arrive souvent que lorsque nous pensons faire une expérience sur les autres, nous en faisons une sur nous-mêmes.

He rubbed his eyes, and came close to the picture, and examined it again. There were no signs of any change when he looked into the actual painting, and yet there was no doubt that the whole expression had altered. It was not a mere fancy of his own. The thing was horribly apparent.

Il frotta ses yeux, s'approcha plus encore du tableau et l'examina de nouveau... Per-sonne n'y avait touché, certes, et cependant, il était hors de doute que quelque chose y avait été changé... Il ne rêvait pas ! La chose était horriblement apparente...

He shrugged his shoulders. "You are more likely to forget me than I am to forget you, Sibyl."

Il haussa les épaules. - Vous êtes bien plus capable de m'oublier que moi de vous oublier, Sibyl.

He hesitated for a moment. "Very well," he said at last, "but don't be too long dressing." She danced out of the door. One could hear her singing as she ran upstairs. Her little feet pattered overhead.

Il hésita un moment. - Je veux bien, dit-il enfin, mais ne soyez pas trop longtemps à votre toilette. Elle sortit en dansant... On put l'entendre chanter en montant l'escalier et ses petits pieds trottinèrent au-dessus...

He invented a facile excuse, and having taken the vacant seat next to her, looked round to see who was there. Dorian bowed to him shyly from the end of the table, a flush of pleasure stealing into his cheek. Opposite was the Duchess of Harley, a lady of admirable good-nature and good temper, much liked by every one who knew her, and of those ample architectural proportions that in women who are not duchesses are described by contemporary historians as stoutness. Next to her sat, on her right, Sir Thomas Burdon, a Radical member of Parliament, who followed his leader in public life and in private life followed the best cooks, dining with the Tories and thinking with the Liberals, in accordance with a wise and well-known rule.

Il inventa une excuse quelconque, et s'étant assis sur la chaise restée vide auprès d'elle, il regarda les convives. Dorian, au bout de la table, s'inclina vers lui timidement, une roseur de plaisir aux joues. En face était la duchesse de Harley, femme d'un naturel admirable et d'un excellent caractère, aimée de tous ceux qui la connaissaient, ayant ces proportions amples et architecturales que nos historiens contemporains appellent obésité, lorsqu'il ne s'agit pas d'une duchesse. Elle avait à sa droite, sir Thomas Burdon, membre radical du Parlement, qui cherchait sa voie dans la vie publique, et dans la vie privée s'inquiétait des meilleures cuisines, dînant avec les Tories et opinant avec les Libéraux, selon une règle très sage et très connue.

He played with the idea and grew wilful; tossed it into the air and transformed it; let it escape and recaptured it; made it iridescent with fancy and winged it with paradox. The praise of folly, as he went on, soared into a philosophy, and philosophy herself became young, and catching the mad music of pleasure, wearing, one might fancy, her wine-stained robe and wreath of ivy, danced like a Bacchante over the hills of life, and mocked the slow Silenus for being sober. Facts fled before her like frightened forest things. Her white feet trod the huge press at which wise Omar sits, till the seething grape-juice rose round her bare limbs in waves of purple bubbles, or crawled in red foam over the vat's black, dripping, sloping sides. It was an extraordinary improvisation.

Il jouait avec l'idée, la lançait, la transformait, la laissait échapper pour la rattraper au vol ; il l'irisait de son imagination, l'ailant de paradoxes. L'éloge de la folie s'éleva jusqu'à la philosophie, une philosophie rajeunie, empruntant la folle musique du plaisir, vêtue de fantai-sie, la robe tachée de vin et enguirlandée de lierres, dansant comme une bacchante par-dessus les collines de la vie et se moquant du lourd Silène pour sa sobriété. Les faits fuyaient devant elle comme des nymphes effrayées. Ses pieds blancs foulaient l'énorme pressoir où le sage Omar est assis ; un flot pourpre et bouillonnant inondait ses membres nus, se répandant comme une lave écumante sur les flancs noirs de la cuve. Ce fut une improvisation extraordinaire.

The painter bit his lip and walked over, cup in hand, to the picture. "I shall stay with the real Dorian," he said, sadly.

Le peintre se mordit les lèvres et, la tasse à la main, il se dirigea vers le portrait. - Je resterai avec le réel Dorian Gray, dit-il tristement.

He was to leave the vessel at Melbourne, bid a polite good-bye to the captain, and go off at once to the gold-fields. Before a week was over he was to come across a large nugget of pure gold, the largest nugget that had ever been discovered, and bring it down to the coast in a waggon guarded by six mounted policemen. The bushrangers were to attack them three times, and be defeated with immense slaughter. Or, no. He was not to go to the gold-fields at all. They were horrid places, where men got intoxicated, and shot each other in bar-rooms, and used bad language. He was to be a nice sheep-farmer, and one evening, as he was riding home, he was to see the beautiful heiress being carried off by a robber on a black horse, and give chase, and rescue her. Of course, she would fall in love with him, and he with her, and they would get married, and come home, and live in an immense house in London. Yes, there were delightful things in store for him. But he must be very good, and not lose his temper, or spend his money foolishly. She was only a year older than he was, but she knew so much more of life. He must be sure, also, to write to her by every mail, and to say his prayers each night before he went to sleep. God was very good, and would watch over him. She would pray for him, too, and in a few years he would come back quite rich and happy.

Il quitte-rait le navire à Melbourne, saluerait poliment le capitaine et irait d'abord aux placers. Avant une semaine il trouverait une grosse pépite d'or, la plus grosse qu'on ait découverte et l'apporterait à la côte dans une voiture gardée par six policemen à cheval. Les bushrangers les attaqueraient trois fois et seraient battus avec un grand carnage... Ou bien, non, il n'irait pas du tout aux placers. C'étaient de vilains endroits où les hommes s'enivrent et se tuent dans les bars, et parlent si mal ! Il serait un superbe éleveur, et un soir qu'il rentrerait chez lui dans sa voiture, il rencontrerait la belle héritière qu'un voleur serait en train d'enlever sur un cheval noir ; il lui donnerait la chasse et la sauverait. Elle deviendrait sûrement amoureuse de lui ; ils se marieraient et reviendraient à Londres où ils habiteraient une maison magnifique. Oui, il aurait des aventures charmantes. Mais il faudrait qu'il se conduisît bien, n'usât point sa santé et ne dépensât pas follement son argent. Elle n'avait qu'un an de plus que lui, mais elle con-naissait tant la vie ! Il faudrait aussi qu'il lui écrivît à chaque courrier et qu'il dît ses prières tous les soirs avant de se coucher. Dieu était très bon et veillerait sur lui. Elle prierait aussi pour lui, et dans quelques années il reviendrait parfaitement riche et heureux.

He winced and, taking up from the table an oval glass framed in ivory Cupids, one of Lord Henry's many presents to him, glanced hurriedly into its polished depths. No line like that warped his red lips. What did it mean?

Il recula, et prenant sur la table une glace ovale entourée de petits amours d'ivoire, un des nombreux présents de lord Henry, se hâta de se regarder dans ses profondeurs polies... Nulle ligne comme celle-là ne tourmentait l'écarlate de ses lèvres... Qu'est-ce que cela voulait dire ?

He thought for a moment. "Can you remember any great error that you committed in your early days, Duchess?" he asked, looking at her across the table.

Il réfléchit un moment. - Pouvez-vous vous rappeler un gros péché que vous auriez commis dans vos premières années, demanda-t-il, la regardant par-dessus la table.

He began to wonder whether we could ever make psychology so absolute a science that each little spring of life would be revealed to us. As it was, we always misunderstood ourselves and rarely understood others. Experience was of no ethical value. It was merely the name men gave to their mistakes. Moralists had, as a rule, regarded it as a mode of warning, had claimed for it a certain ethical efficacy in the formation of character, had praised it as something that taught us what to follow and showed us what to avoid. But there was no motive power in experience. It was as little of an active cause as conscience itself. All that it really demonstrated was that our future would be the same as our past, and that the sin we had done once, and with loathing, we would do many times, and with joy.

Il se demandait comment nous tentions de faire de la psychologie une science si abso-lue qu'elle pût nous révéler les moindres ressorts de la vie... À la vérité, nous nous trompons constamment nous-mêmes et nous comprenons rarement les autres. L'expérience n'a pas de valeur éthique. C'est seulement le nom que les hommes donnent à leurs erreurs. Les moralistes l'ont regardée d'ordinaire comme une manière d'avertissement, ont réclamé pour elle une efficacité éthique dans la formation des caractères, l'ont vantée comme quelque chose qui nous apprenait ce qu'il fallait suivre, et nous montrait ce que nous devions éviter. Mais il n'y a aucun pouvoir actif dans l'expérience. Elle est aussi peu de chose comme mobile que la conscience elle-même. Tout ce qui est vraiment démontré, c'est que notre avenir pourra être ce que fut notre passé et que le péché où nous sommes tombés une fois avec dégoût, nous le commettrons encore bien des fois, et avec plaisir.

He threw himself into a chair and began to think. Suddenly there flashed across his mind what he had said in Basil Hallward's studio the day the picture had been finished. Yes, he remembered it perfectly. He had uttered a mad wish that he himself might remain young, and the portrait grow old; that his own beauty might be untarnished, and the face on the canvas bear the burden of his passions and his sins; that the painted image might be seared with the lines of suffering and thought, and that he might keep all the delicate bloom and loveliness of his then just conscious boyhood. Surely his wish had not been fulfilled? Such things were impossible. It seemed monstrous even to think of them. And, yet, there was the picture before him, with the touch of cruelty in the mouth.

Il se jeta dans un fauteuil et rappela ses esprits... Soudainement, lui revint ce qu'il avait dit dans l'atelier de Basil le jour même où le portrait avait été terminé. Oui, il s'en souvenait parfaitement. Il avait énoncé le désir fou de rester jeune alors que vieillirait ce tableau... Ah ! si sa beauté pouvait ne pas se ternir et qu'il fut donné à ce portrait peint sur cette toile de porter le poids de ses passions, de ses péchés !... Cette peinture ne pouvait-elle donc être marquée des lignes de souffrance et de doute, alors que lui-même garderait l'épanouissement délicat et la joliesse de son adolescence ! Son vœu, pardieu ! ne pouvait être exaucé ! De telles choses sont impossibles ! C'était même monstrueux de les évoquer... Et, cependant, le portrait était devant lui portant à la bouche une moue de cruauté !

He got up from his chair and drew a large screen right in front of the portrait, shuddering as he glanced at it. "How horrible!" he murmured to himself, and he walked across to the window and opened it. When he stepped out on to the grass, he drew a deep breath. The fresh morning air seemed to drive away all his sombre passions. He thought only of Sibyl. A faint echo of his love came back to him. He repeated her name over and over again. The birds that were singing in the dew-drenched garden seemed to be telling the flowers about her.

Il se leva du fauteuil, tira un haut et large paravent devant le portrait, frissonnant en-core pendant qu'il le regardait... « Quelle horreur ! » pensait-il, en allant ouvrir la porte-fenêtre... Quand il fut sur le gazon, il poussa un profond soupir. L'air frais du matin parut dissiper toutes ses noires pensées, il songeait seulement à Sibyl. Un écho affaibli de son amour lui revint. Il répéta son nom, et le répéta encore. Les oiseaux qui chantaient dans le jardin plein de rosée, semblaient parler d'elle aux fleurs...

He got up and locked both doors. At least he would be alone when he looked upon the mask of his shame. Then he drew the screen aside and saw himself face to face. It was perfectly true. The portrait had altered.

Il se leva et alla fermer les deux portes. Au moins, il serait seul à contempler le masque de sa honte... Alors il tira le paravent et face à face se regarda... Oui, c'était vrai ! le portrait avait changé !...

The painter turned to his servant, who stood blinking in the sunlight. "Ask Mr. Gray to wait, Parker: I shall be in in a few moments." The man bowed and went up the walk.

Le peintre se tourna vers le serviteur qui restait au soleil, les yeux clignotants : - Dites à Mr Gray d'attendre, Parker ; je suis à lui dans un moment.

He felt that the time had really come for making his choice. Or had his choice already been made? Yes, life had decided that for him--life, and his own infinite curiosity about life. Eternal youth, infinite passion, pleasures subtle and secret, wild joys and wilder sins--he was to have all these things. The portrait was to bear the burden of his shame: that was all.

Il sentit que le temps était venu, cette fois, de faire son choix. Son choix n'avait-il été déjà fait ? Oui, la vie avait décidé pour lui... la vie, et aussi l'âpre curiosité qu'il en avait... L'éternelle jeunesse, l'infinie passion, les plaisirs subtils et secrets, les joies ardentes et les péchés plus ardents encore, toutes ces choses il devait les connaître. Le portrait assumerait le poids de sa honte, voilà tout !...

He felt that the eyes of Dorian Gray were fixed on him, and the consciousness that amongst his audience there was one whose temperament he wished to fascinate seemed to give his wit keenness and to lend colour to his imagination. He was brilliant, fantastic, irresponsible. He charmed his listeners out of themselves, and they followed his pipe, laughing. Dorian Gray never took his gaze off him, but sat like one under a spell, smiles chasing each other over his lips and wonder growing grave in his darkening eyes.

Il sentit que les regards de Dorian Gray étaient fixés sur lui, et la conscience que parmi son auditoire se trouvait un être qu'il voulait fasciner, semblait aiguiser son esprit et prêter plus de couleurs encore à son imagination. Il fut brillant, fantastique, inspiré. Il ravit ses auditeurs à eux-mêmes ; ils écoutèrent jusqu'au bout ce joyeux air de flûte. Dorian Gray ne l'avait pas quitté des yeux, comme sous le charme, les sourires se succédaient sur ses lèvres et l'étonnement devenait plus grave dans ses yeux sombres.

He flung himself down on the sofa and turned away his face. "You have killed my love," he muttered.

Il tomba sur le sofa et détourna la tête. - Vous avez tué mon amour ! murmura-t-il.

There was something terribly enthralling in the exercise of influence. No other activity was like it. To project one's soul into some gracious form, and let it tarry there for a moment; to hear one's own intellectual views echoed back to one with all the added music of passion and youth; to convey one's temperament into another as though it were a subtle fluid or a strange perfume: there was a real joy in that--perhaps the most satisfying joy left to us in an age so limited and vulgar as our own, an age grossly carnal in its pleasures, and grossly common in its aims....

Il y avait quelque chose de terriblement séducteur dans l'action de cette influence ; aucun exercice qui y fut comparable. Projeter son âme dans une forme gracieuse, l'y laisser un instant reposer et entendre ensuite ses idées répétées comme par un écho, avec en plus toute la musique de la passion et de la jeunesse, transporter son tempérament dans un autre, ainsi qu'un fluide subtil ou un étrange parfum : c'était là, une véritable jouissance, peut être la plus parfaite de nos jouissances dans un temps aussi borné et aussi vulgaire que le nôtre, dans un temps grossièrement charnel en ses plaisirs, commun et bas en ses aspirations...

There was something about him, Harry, that amused me. He was such a monster. You will laugh at me, I know, but I really went in and paid a whole guinea for the stage-box. To the present day I can't make out why I did so; and yet if I hadn't-- my dear Harry, if I hadn't--I should have missed the greatest romance of my life. I see you are laughing. It is horrid of you!"

Il y avait quelque chose en lui, Harry, qui m'amusa. C'était un vrai monstre. Vous rirez de moi, je le sais, mais en vérité j'entrai et je payai cette loge une guinée. Aujourd'hui, je ne pourrais dire comment cela se fit, et pourtant si ce n'eût été, mon cher Harry, si ce n'eût été, j'aurais manqué le plus magnifique roman de toute ma vie... Je vois que vous riez. C'est mal à vous.

They took their seats amidst a crowd of watchers. The tulip-beds across the road flamed like throbbing rings of fire. A white dust-- tremulous cloud of orris-root it seemed--hung in the panting air. The brightly coloured parasols danced and dipped like monstrous butterflies.

Ils s'assirent au milieu d'un groupe de badauds. Les plants de tulipes semblaient de vi-brantes bagues de feu. Une poussière blanche comme un nuage tremblant d'iris se balançait dans l'air embrasé. Les ombrelles aux couleurs vives allaient et venaient comme de gigan-tesques papillons.

Yet they felt that the true test of any Juliet is the balcony scene of the second act. They waited for that. If she failed there, there was nothing in her.

Ils savaient que la scène du balcon du second acte était l'épreuve décisive des actrices abordant le rôle de Juliette ; ils l'attendaient tous deux ; si elle y échouait, elle n'était bonne à rien.

They got up and put on their coats, sipping their coffee standing. The painter was silent and preoccupied. There was a gloom over him. He could not bear this marriage, and yet it seemed to him to be better than many other things that might have happened. After a few minutes, they all passed downstairs. He drove off by himself, as had been arranged, and watched the flashing lights of the little brougham in front of him. A strange sense of loss came over him. He felt that Dorian Gray would never again be to him all that he had been in the past. Life had come between them.... His eyes darkened, and the crowded flaring streets became blurred to his eyes. When the cab drew up at the theatre, it seemed to him that he had grown years older.

Ils se levèrent et endossèrent leurs pardessus, en buvant debout leurs cafés. Le peintre demeurait silencieux et préoccupé ; un lourd ennui semblait peser sur lui. Il ne pouvait ap-prouver ce mariage, et cependant cela lui semblait préférable à d'autres choses qui auraient pu arriver... Quelques minutes après, ils étaient en bas. Il conduisit lui-même, comme c'était convenu, guettant les lanternes brillantes du petit brougham qui marchait devant lui. Une étrange sensation de désastre l'envahit. Il sentait que Dorian Gray ne serait jamais à lui comme par le passé. La vie était survenue entre eux... Ses yeux s'embrumèrent, et ils ne virent plus les rues populeuses étincelantes de lu-mière... Quand la voiture s'arrêta devant le théâtre, il lui sembla qu'il était plus vieux d'années...

They rose up and sauntered down the walk together. Two green-and-white butterflies fluttered past them, and in the pear-tree at the corner of the garden a thrush began to sing.

Ils se levèrent et paresseusement, marchèrent le long du mur. Deux papillons verts et blancs voltigeaient devant eux, et dans un poirier situé au coin du mur, une grive se mit à chanter.

The painter stared in amazement. It was so unlike Dorian to speak like that. What had happened? He seemed quite angry. His face was flushed and his cheeks burning.

Le peintre le regarda avec étonnement. Il était si peu habitué à entendre Dorian s'exprimer ainsi. Qu'était il donc arrivé ? C'est vrai qu'il semblait désolé ; sa face était toute rouge et ses joues allumées.

In Sybil's own room they parted. There was jealousy in the lad's heart, and a fierce murderous hatred of the stranger who, as it seemed to him, had come between them. Yet, when her arms were flung round his neck, and her fingers strayed through his hair, he softened and kissed her with real affection. There were tears in his eyes as he went downstairs.

Ils se séparèrent dans la chambre de Sibyl. Le cœur du jeune homme était plein de ja-lousie, et d'une haine ardente et meurtrière contre cet étranger qui, lui semblait-il, venait se placer entre eux. Cependant lorsqu'elle lui mit les bras autour du cou et que ses doigts lui caressèrent les cheveux, il s'attendrit et l'embrassa avec une réelle affection. Ses yeux étaient pleins de larmes lorsqu'il descendit.

They went out into the flickering, wind-blown sunlight and strolled down the dreary Euston Road. The passersby glanced in wonder at the sullen heavy youth who, in coarse, ill-fitting clothes, was in the company of such a graceful, refined-looking girl. He was like a common gardener walking with a rose.

Ils sortirent et descendirent la triste Euston Road. Une légère brise s'élevait ; le soleil brillait gaiement. Les passants avaient l'air étonnés de voir ce lourdaud vêtu d'habits râpés en compagnie d'une aussi gracieuse et distinguée jeune fille. C'était comme un jardinier rustaud marchant une rose à la main.

I sat in the dingy box absolutely enthralled. I forgot that I was in London and in the nineteenth century. I was away with my love in a forest that no man had ever seen. After the performance was over, I went behind and spoke to her. As we were sitting together, suddenly there came into her eyes a look that I had never seen there before. My lips moved towards hers. We kissed each other. I can't describe to you what I felt at that moment. It seemed to me that all my life had been narrowed to one perfect point of rose-coloured joy. She trembled all over and shook like a white narcissus. Then she flung herself on her knees and kissed my hands. I feel that I should not tell you all this, but I can't help it. Of course, our engagement is a dead secret. She has not even told her own mother. I don't know what my guardians will say. Lord Radley is sure to be furious. I don't care. I shall be of age in less than a year, and then I can do what I like. I have been right, Basil, haven't I, to take my love out of poetry and to find my wife in Shakespeare's plays? Lips that Shakespeare taught to speak have whispered their secret in my ear. I have had the arms of Rosalind around me, and kissed Juliet on the mouth."

Je restais dans la loge obscure, absolument sous le charme... J'oubliais que j'étais à Londres, au XIXe siècle. J'étais bien loin avec mon amour dans une forêt que jamais homme ne vit. Le rideau tombé, j'allais dans les coulisses et lui parlai. Comme nous étions assis l'un à côté de l'autre, un regard brilla soudain dans ses yeux que je n'avais encore surpris. Je lui tendis mes lèvres. Nous nous embrassâmes. Je ne puis vous rapporter ce qu'alors je ressentis. Il me sembla que toute ma vie était centralisée dans un point de joie couleur de rose. Elle fut prise d'un tremblement et vacillait comme un blanc narcisse ; elle tomba à mes genoux et me baisa les mains... Je sens que je ne devrais vous dire cela, mais je ne puis m'en empêcher. Naturellement notre engagement est un secret ; elle ne l'a même pas dit à sa mère. Je ne sais pas ce que diront mes tuteurs ; lord Radley sera certainement furieux. Ça m'est égal ! J'aurai ma majorité avant un an et je ferai ce qu'il me plaira. J'ai eu raison, n'est-ce pas, Basil, de prendre mon amour dans la poésie et de trouver ma femme dans les drames de Shakespeare. Les lèvres auxquelles Shakespeare apprit à parler ont soufflé leur secret à mon oreille. J'ai eu les bras de Rosalinde autour de mon cou et Juliette m'a embrassé sur la bouche.

I am bound to state that she ate an enormous dinner, so I did not feel any anxiety. But what a lack of taste she showed! The one charm of the past is that it is the past. But women never know when the curtain has fallen. They always want a sixth act, and as soon as the interest of the play is entirely over, they propose to continue it. If they were allowed their own way, every comedy would have a tragic ending, and every tragedy would culminate in a farce. They are charmingly artificial, but they have no sense of art. You are more fortunate than I am. I assure you, Dorian, that not one of the women I have known would have done for me what Sibyl Vane did for you.

Je suis autorisé à croire qu'elle mangea énormément ; aussi ne ressentis-je aucune anxiété... Mais quel manque de goût elle montra ! « Le seul charme du passé est que c'est le passé, et les femmes ne savent jamais quand la toile est tombée ; elles réclament toujours un sixième acte, et proposent de continuer le spectacle quand l'intérêt s'en est allé... Si on leur permettait d'en faire à leur gré, toute comé-die aurait une fin tragique, et toute tragédie finirait en farce. Elles sont délicieusement artifi-cielles, mais elles n'ont aucun sens de l'art. « Vous êtes plus heureux que moi. Je vous assure Dorian, qu'aucune des femmes que j'ai connues n'aurait fait pour moi ce que Sibyl Vane a fait pour vous.

I have grown sick of shadows. You are more to me than all art can ever be. What have I to do with the puppets of a play? When I came on to-night, I could not understand how it was that everything had gone from me. I thought that I was going to be wonderful. I found that I could do nothing. Suddenly it dawned on my soul what it all meant. The knowledge was exquisite to me. I heard them hissing, and I smiled. What could they know of love such as ours? Take me away, Dorian--take me away with you, where we can be quite alone. I hate the stage. I might mimic a passion that I do not feel, but I cannot mimic one that burns me like fire. Oh, Dorian, Dorian, you understand now what it signifies? Even if I could do it, it would be profanation for me to play at being in love. You have made me see that."

Je suis écœurée des ombres ! Vous m'êtes plus que tout ce que l'art pourra jamais être ! Que puis-je avoir de commun avec les fantoches d'un drame ? Quand j'arrivai ce soir, je ne pus comprendre comment cela m'avait quittée. Je pensais que j'allais être merveilleuse et je m'aperçus que je ne pouvais rien faire. Soudain, la lumière se fit en moi, et la connaissance m'en fut exquise... Je les entendis siffler, et je me mis à sourire... Pourraient-ils comprendre un amour tel que le nôtre ? Emmène-moi, Dorian, emmène-moi, quelque part où nous puissions être seuls. Je hais la scène ! Je puis mimer une passion que je ne ressens pas, mais je ne puis mimer ce quelque chose qui me brûle comme le feu ! Oh ! Dorian ! Dorian, tu comprends maintenant ce que cela signifie. Même si je parvenais à le faire, ce serait une profanation, car pour moi, désormais, jouer, c'est d'être amoureuse ! Voilà ce que tu m'as faite !...

Jim frowned from time to time when he caught the inquisitive glance of some stranger. He had that dislike of being stared at, which comes on geniuses late in life and never leaves the commonplace. Sibyl, however, was quite unconscious of the effect she was producing. Her love was trembling in laughter on her lips. She was thinking of Prince Charming, and, that she might think of him all the more, she did not talk of him, but prattled on about the ship in which Jim was going to sail, about the gold he was certain to find, about the wonderful heiress whose life he was to save from the wicked, red-shirted bushrangers. For he was not to remain a sailor, or a supercargo, or whatever he was going to be. Oh, no! A sailor's existence was dreadful. Fancy being cooped up in a horrid ship, with the hoarse, hump-backed waves trying to get in, and a black wind blowing the masts down and tearing the sails into long screaming ribands!

Jim fronçait les sourcils de temps en temps lorsqu'il saisissait le regard inquisiteur de quelque passant. Il éprouvait cette aversion d'être regardé qui ne vient que tard dans la vie aux hommes célèbres et qui ne quitte jamais le vulgaire. Sibyl, cependant était parfaitement in-consciente de l'effet qu'elle produisait. Son amour épanouissait ses lèvres en sourires. Elle pensait au Prince Charmant et pour pouvoir d'autant plus y rêver, elle n'en parlait pas, mais babillait, parlant du bateau où Jim allait s'embarquer, de l'or qu'il découvrirait sûrement et de la merveilleuse héritière à qui il sauverait la vie en l'arrachant aux méchants bushrangers aux chemises rouges. Car il ne serait pas toujours marin, ou commis maritime ou rien de ce qu'il allait bientôt être. Oh non ! L'existence d'un marin est trop triste. Être claquemuré dans un affreux bateau, avec les vagues bossues et rauques qui cherchent à vous envahir, et un vilain vent noir qui renverse les mâts et déchire les voiles en longues et sifflantes lanières !

The lad started and drew back. He was bareheaded, and the leaves had tossed his rebellious curls and tangled all their gilded threads. There was a look of fear in his eyes, such as people have when they are suddenly awakened. His finely chiselled nostrils quivered, and some hidden nerve shook the scarlet of his lips and left them trembling.

L'adolescent tressaillit et se retourna... Il était tête nue, et les feuilles avaient dérangé ses boucles rebelles, emmêlé leurs fils dorés. Dans ses yeux nageait comme de la crainte, cette crainte que l'on trouve dans les yeux des gens éveillés en sursaut... Ses narines finement dessinées palpitaient, et quelque trouble caché aviva le carmin de ses lèvres frissonnantes.

Lord Henry sipped his champagne in a meditative manner. "At what particular point did you mention the word marriage, Dorian? And what did she say in answer? Perhaps you forgot all about it."

Lord Henry sirotait son champagne d'un air méditatif. - À quel moment exact avez-vous prononcé le mot mariage, Dorian ? Et que vous ré-pondit-elle ?... Peut-être l'avez-vous oublié !...

Then he looked at Lord Henry. "Dorian Gray is my dearest friend," he said. "He has a simple and a beautiful nature. Your aunt was quite right in what she said of him. Don't spoil him. Don't try to influence him. Your influence would be bad. The world is wide, and has many marvellous people in it. Don't take away from me the one person who gives to my art whatever charm it possesses: my life as an artist depends on him. Mind, Harry, I trust you." He spoke very slowly, and the words seemed wrung out of him almost against his will.

L'homme s'inclina et retourna sur ses pas. Hallward regarda lord Henry... - Dorian Gray est mon plus cher ami, dit-il. C'est une simple et belle nature. Votre tante a eu parfaitement raison de dire de lui ce que vous m'avez rapporté... Ne me le gâtez pas ; n'essayez point de l'influencer ; votre influence lui serait pernicieuse. Le monde est grand et ne manque pas de gens intéressants. Ne m'enlevez pas la seule personne qui donne à mon art le charme qu'il peut posséder ; ma vie d'artiste dépend de lui. Faites attention, Harry, je vous en conjure... Il parlait à voix basse et les mots semblaient jaillir de ses lèvres malgré sa volonté...

Soul and body, body and soul--how mysterious they were! There was animalism in the soul, and the body had its moments of spirituality. The senses could refine, and the intellect could degrade. Who could say where the fleshly impulse ceased, or the psychical impulse began? How shallow were the arbitrary definitions of ordinary psychologists! And yet how difficult to decide between the claims of the various schools! Was the soul a shadow seated in the house of sin? Or was the body really in the soul, as Giordano Bruno thought? The separation of spirit from matter was a mystery, and the union of spirit with matter was a mystery also.

L'âme et le corps, le corps et l'âme, quels mystères ! Il y a de l'animalité dans l'âme, et le corps a ses moments de spiritualité. Les sens peuvent s'affiner et l'intelligence se dégrader. Qui pourrait dire où cessent les impulsions de la chair et où commencent les suggestions psychiques. Combien sont bornées les arbitraires définitions des psychologues ! Et quelle difficulté de décider entre les prétentions des diverses écoles ! L'âme était-elle une ombre recluse dans la maison du péché ! Ou bien le corps ne faisait-il réellement qu'un avec l'âme, comme le pensait Giordano Bruno. La séparation de l'esprit et de la matière était un mystère et c'était un mystère aussi que l'union de la matière et de l'esprit.

Thin-lipped wisdom spoke at her from the worn chair, hinted at prudence, quoted from that book of cowardice whose author apes the name of common sense. She did not listen. She was free in her prison of passion. Her prince, Prince Charming, was with her. She had called on memory to remake him. She had sent her soul to search for him, and it had brought him back. His kiss burned again upon her mouth. Her eyelids were warm with his breath.

La Sagesse aux lèvres minces lui parlait dans le vieux fauteuil, lui soufflant cette prudence inscrite au livre de couardise sous le nom de sens commun. Elle n'écoutait pas. Elle était libre dans la prison de sa passion. Son prince, le Prince Charmant était avec elle. Elle avait recouru à la Mémoire pour le reconstituer. Elle avait envoyé son âme à sa recherche et il était venu. Ses baisers brûlaient ses lèvres. Ses paupières étaient chaudes de son souffle.

The duchess looked puzzled.

La duchesse parut embarrassée.

The exaggerated folly of the threat, the passionate gesture that accompanied it, the mad melodramatic words, made life seem more vivid to her. She was familiar with the atmosphere. She breathed more freely, and for the first time for many months she really admired her son. She would have liked to have continued the scene on the same emotional scale, but he cut her short. Trunks had to be carried down and mufflers looked for. The lodging-house drudge bustled in and out. There was the bargaining with the cabman. The moment was lost in vulgar details.

La folle exagération de la menace, le geste passionné qui l'accompagnait et son ex-pression mélodramatique, rendirent la vie plus intéressante aux yeux de la mère. Elle était familiarisée avec ce ton. Elle respira plus librement, et pour la première fois depuis des mois, elle admira réellement son fils. Elle aurait aimé à poursuivre cette scène dans cette note émouvante, mais il coupa court. On avait descendu les malles et préparé les couvertures. La bonne de la logeuse allait et venait, il fallut marchander le cocher. Les instants étaient absorbés par de vulgaires détails.

The girl grew white, and trembled. She clenched her hands together, and her voice seemed to catch in her throat. "You are not serious, Dorian?" she murmured. "You are acting."

La jeune fille pâlissait et tremblait. Elle joignit les mains, et d'une voix qui s'arrêta dans la gorge : - Vous n'êtes pas sérieux, Dorian, murmura-t-elle ; vous jouez !...

The girl smiled. "Dorian," she answered, lingering over his name with long-drawn music in her voice, as though it were sweeter than honey to the red petals of her mouth. "Dorian, you should have understood. But you understand now, don't you?"

La jeune fille sourit... - Dorian, répondit-elle, appuyant sur son prénom d'une voix traînante et musicale, comme s'il eût été plus doux que miel aux rouges pétales de sa bouche, Dorian, vous auriez dû comprendre, mais vous comprenez maintenant, n'est-ce pas ?

Music had stirred him like that. Music had troubled him many times. But music was not articulate. It was not a new world, but rather another chaos, that it created in us. Words! Mere words! How terrible they were! How clear, and vivid, and cruel! One could not escape from them. And yet what a subtle magic there was in them! They seemed to be able to give a plastic form to formless things, and to have a music of their own as sweet as that of viol or of lute. Mere words! Was there anything so real as words?

La musique l'avait ainsi remué déjà ; elle l'avait troublé bien des fois. Ce n'est pas un nouveau monde, mais bien plutôt un nouveau chaos qu'elle crée en nous... Les mots ! Les simples mots ! Combien ils sont terribles ! Combien limpides, éclatants ou cruels ! On voudrait leur échapper. Quelle subtile magie est donc en eux ?... On dirait qu'ils donnent une forme plastique aux choses informes, et qu'ils ont une musique propre à eux-mêmes aussi douce que celle du luth ou du violon ! Les simples mots ! Est-il quelque chose de plus réel que les mots ?

The painter had been busy mixing his colours and getting his brushes ready. He was looking worried, and when he heard Lord Henry's last remark, he glanced at him, hesitated for a moment, and then said, "Harry, I want to finish this picture to-day. Would you think it awfully rude of me if I asked you to go away?"

Le peintre s'occupait fiévreusement de préparer sa palette et ses pinceaux... Il avait l'air ennuyé ; quand il entendit la dernière remarque de lord Henry il le fixa... Il hésita un moment, puis se décidant : - Harry, dit-il, j'ai besoin de finir ce portrait aujourd'hui. M'en voudriez-vous si je vous demandais de partir... ?

The post on her left was occupied by Mr. Erskine of Treadley, an old gentleman of considerable charm and culture, who had fallen, however, into bad habits of silence, having, as he explained once to Lady Agatha, said everything that he had to say before he was thirty. His own neighbour was Mrs. Vandeleur, one of his aunt's oldest friends, a perfect saint amongst women, but so dreadfully dowdy that she reminded one of a badly bound hymn-book. Fortunately for him she had on the other side Lord Faudel, a most intelligent middle-aged mediocrity, as bald as a ministerial statement in the House of Commons, with whom she was conversing in that intensely earnest manner which is the one unpardonable error, as he remarked once himself, that all really good people fall into, and from which none of them ever quite escape.

La place de gauche était occupée par Mr Erskine de Treadley, un vieux gentilhomme de beaucoup de charme et très cultivé qui avait pris toutefois une fâcheuse habitude de silence, ayant, ainsi qu'il le disait un jour à lady Agathe, dit tout ce qu'il avait à dire avant l'âge de trente ans. La voisine de lord Henry était Mme Vandeleur, une des vieilles amies de sa tante, une sainte parmi les femmes, mais si terriblement fagotée qu'elle faisait penser à un livre de prières mal relié. Heureusement pour lui elle avait de l'autre côté lord Faudel, médiocrité intelligente et entre deux âges, aussi chauve qu'un exposé ministériel à la Chambre les Communes, avec qui elle conversait de cette façon intensément sérieuse qui est, il l'avait souvent remarqué, l'impardonnable erreur où tombent les gens excellents et à laquelle aucun d'eux ne peut échapper.

The scene was the hall of Capulet's house, and Romeo in his pilgrim's dress had entered with Mercutio and his other friends. The band, such as it was, struck up a few bars of music, and the dance began. Through the crowd of ungainly, shabbily dressed actors, Sibyl Vane moved like a creature from a finer world. Her body swayed, while she danced, as a plant sways in the water. The curves of her throat were the curves of a white lily. Her hands seemed to be made of cool ivory.

La scène représentait la salle du palais de Capulet, et Roméo, dans ses habits de pèlerin, entrait avec Mercutio et ses autres amis. L'orchestre attaqua quelques mesures de musique, et la danse commença... Au milieu de la foule des figurants gauches aux costumes râpés, Sibyl Vane se mouvait comme un être d'essence supérieure. Son corps s'inclinait, pendant qu'elle dansait, comme dans l'eau s'incline un roseau. Les courbes de sa poitrine semblaient les courbes d'un blanc lys. Ses mains étaient faites d'un pur ivoire.

The elder woman grew pale beneath the coarse powder that daubed her cheeks, and her dry lips twitched with a spasm of pain. Sybil rushed to her, flung her arms round her neck, and kissed her. "Forgive me, Mother. I know it pains you to talk about our father. But it only pains you because you loved him so much. Don't look so sad. I am as happy to-day as you were twenty years ago. Ah! let me be happy for ever!"

La vieille femme pâlit sous la couche de poudre qui couvrait ses joues, et ses lèvres desséchées se tordirent dans un effort douloureux. Sibyl courut à elle, entoura son cou de ses bras et l'embrassa. - Pardon, mère, je sais que cela vous peine de parler de notre père. Mais ce n'est que parce que vous l'aimiez trop. Ne soyez pas si triste. Je suis aussi heureuse aujourd'hui que vous l'étiez il y a vingt ans. Ah ! puissé-je être toujours heureuse !

"A dangerous theory!" came from Sir Thomas's tight lips. Lady Agatha shook her head, but could not help being amused. Mr. Erskine listened.

Lady Agathe secoua la tête, mais ne put arriver à paraître amusée. Mr Erskine écoutait.

The painter laughed. "I don't think there will be any difficulty about that. Sit down again, Harry. And now, Dorian, get up on the platform, and don't move about too much, or pay any attention to what Lord Henry says. He has a very bad influence over all his friends, with the single exception of myself."

Le peintre se mit à rire. - Je pense que cela s'arrangera tout seul... Asseyez-vous, Harry... Et maintenant, Do-rian, montez sur la plate-forme ; ne bougez pas trop et tâchez de n'apporter aucune attention à ce que vous dira lord Henry. Son influence est mauvaise pour tout le monde, sauf pour lui-même...

The son, who had been his father's secretary, had resigned along with his chief, somewhat foolishly as was thought at the time, and on succeeding some months later to the title, had set himself to the serious study of the great aristocratic art of doing absolutely nothing. He had two large town houses, but preferred to live in chambers as it was less trouble, and took most of his meals at his club. He paid some attention to the management of his collieries in the Midland counties, excusing himself for this taint of industry on the ground that the one advantage of having coal was that it enabled a gentleman to afford the decency of burning wood on his own hearth.

Le fils, qui avait été le secrétaire de son père, avait démissionné en même temps que celui-ci, un peu légèrement avait-on pensé alors, et quelques mois après être devenu chef de sa maison il se mettait sérieusement à l'étude de l'art très aristocratique de ne faire absolument rien. Il possédait deux grandes maisons en ville, mais préférait vivre à l'hôtel pour avoir moins d'embarras, et prenait la plupart de ses repas au club. Il s'occupait de l'exploitation de ses mines de charbon des comtés du centre, mais il s'excusait de cette teinte d'industrialisme en disant que le fait de posséder du charbon avait pour avantage de permettre à un gentleman de brûler décemment du bois dans sa propre cheminée.

The lad frowned. "I don't like that explanation, Harry," he rejoined, "but I am glad you don't think I am heartless. I am nothing of the kind. I know I am not. And yet I must admit that this thing that has happened does not affect me as it should. It seems to me to be simply like a wonderful ending to a wonderful play. It has all the terrible beauty of a Greek tragedy, a tragedy in which I took a great part, but by which I have not been wounded."

Le jeune homme fronça les sourcils. - Je n'aime point cette explication, Harry, reprit-il, mais cela me fait plaisir d'apprendre que vous ne me croyez pas sans cœur ; je ne le suis vraiment pas, je le sais... Et cependant je me rends compte que je ne suis affecté par cette chose comme je le devrais être ; elle me semble simplement être le merveilleux épilogue d'un merveilleux drame. Cela a toute la beauté terrible d'une tragédie grecque, une tragédie dans laquelle j'ai pris une grande part, mais dans laquelle je ne fus point blessé.

The lad muttered something to himself and drummed on the window-pane with his coarse fingers. He had just turned round to say something when the door opened and Sibyl ran in.

Le jeune homme grommela quelques mots et se mit à tambouriner sur les vitres avec ses doigts épais. Il se retournait pour dire quelque chose lorsque Sibyl entra en courant...

The lad hesitated, and looked over at Lord Henry, who was watching them from the tea-table with an amused smile.

Le jeune homme hésitait, et jeta un regard vers lord Henry qui les guettait de la table où il prenait le thé, avec un sourire amusé.

The lad listened sulkily to her and made no answer. He was heart-sick at leaving home.

Le jeune homme l'écoutait avec maussaderie, et ne répondait rien. Il était plein de la tristesse de quitter son home.

The lad flushed up and, going to the window, looked out for a few moments on the green, flickering, sun-lashed garden. "I owe a great deal to Harry, Basil," he said at last, "more than I owe to you. You only taught me to be vain."

Le jeune homme rougit et allant à la fenêtre, resta quelques instants à considérer la pe-louse fleurie et ensoleillée. - Je dois beaucoup à Harry, Basil, dit-il enfin, plus que je ne vous dois. Vous ne m'avez appris qu'à être vain.

The lad was touched. He went towards her, and stooping down, he kissed her. "I am sorry if I have pained you by asking about my father," he said, "but I could not help it. I must go now. Good-bye. Don't forget that you will have only one child now to look after, and believe me that if this man wrongs my sister, I will find out who he is, track him down, and kill him like a dog. I swear it."

Le jeune homme s'attendrit. Il vint vers elle, se baissa et l'embrassa. - Je suis fâché de vous avoir fait de la peine en vous parlant de mon père, dit-il, mais je n'en pouvais plus. Il faut que je parte maintenant. Au revoir ! N'oubliez pas que vous n'avez plus qu'un enfant à surveiller désormais, et croyez-moi, si cet homme fait du tort à ma sœur, je saurai qui il est, je le poursuivrai et le tuerai comme un chien. Je le jure !...

As he was sitting at breakfast next morning, Basil Hallward was shown into the room.

Le lendemain matin, tandis qu'il déjeunait, Basil Hallward entra.

At half-past twelve next day Lord Henry Wotton strolled from Curzon Street over to the Albany to call on his uncle, Lord Fermor, a genial if somewhat rough-mannered old bachelor, whom the outside world called selfish because it derived no particular benefit from him, but who was considered generous by Society as he fed the people who amused him. His father had been our ambassador at Madrid when Isabella was young and Prim unthought of, but had retired from the diplomatic service in a capricious moment of annoyance on not being offered the Embassy at Paris, a post to which he considered that he was fully entitled by reason of his birth, his indolence, the good English of his dispatches, and his inordinate passion for pleasure.

Le lendemain, à midi et demi, lord Henry Wotton se dirigeait de Curzon Street vers Albany pour aller voir son oncle, lord Fermor, un vieux garçon bon vivant, quoique de rudes manières, qualifié d'égoïste par les étrangers qui n'en pouvaient rien tirer, mais considéré comme généreux par la Société, car il nourrissait ceux qui savaient l'amuser. Son père avait été notre ambassadeur à Madrid, au temps où la reine Isabelle était jeune et Prim inconnu. Mais il avait quitté la diplomatie par un caprice, dans un moment de contrariété venu de ce qu'on ne lui offrit point l'ambassade de Paris, poste pour lequel il se considérait comme particulièrement désigné en raison de sa naissance, de son indolence, du bon anglais de ses dépêches et de sa passion peu ordinaire pour le plaisir.

The same nervous staccato laugh broke from her thin lips, and her fingers began to play with a long tortoise-shell paper-knife.

Le même rire nerveux et saccadé tomba de ses lèvres fines, et elle se mit à jouer avec un long coupe-papier d'écaille.

The politician looked at him keenly. "What change do you propose, then?" he asked.

Le politicien le regarda avec anxiété. - Quels changements proposez-vous, alors ? demanda-t-il.

The old gentleman growled approvingly and rang the bell for his servant. Lord Henry passed up the low arcade into Burlington Street and turned his steps in the direction of Berkeley Square.

Le vieux gentleman murmura une vague approbation et sonna son domestique. Lord Henry prit par l'arcade basse de Burlington Street et se dirigea dans la direction de Berkeley square.

Basil Hallward's compliments had seemed to him to be merely the charming exaggeration of friendship. He had listened to them, laughed at them, forgotten them. They had not influenced his nature. Then had come Lord Henry Wotton with his strange panegyric on youth, his terrible warning of its brevity. That had stirred him at the time, and now, as he stood gazing at the shadow of his own loveliness, the full reality of the description flashed across him. Yes, there would be a day when his face would be wrinkled and wizen, his eyes dim and colourless, the grace of his figure broken and deformed. The scarlet would pass away from his lips and the gold steal from his hair. The life that was to make his soul would mar his body. He would become dreadful, hideous, and uncouth. As he thought of it, a sharp pang of pain struck through him like a knife and made each delicate fibre of his nature quiver. His eyes deepened into amethyst, and across them came a mist of tears. He felt as if a hand of ice had been laid upon his heart.

Les compliments de Basil Hallward lui avait semblé être simplement des exagérations charmantes d'amitié. Il les avait écoutés en riant, et vite oubliés... son caractère n'avait point été influencé par eux. Lord Henry Wotton était venu avec son étrange pané-gyrique de la jeunesse, l'avertissement terrible de sa brièveté. Il en avait été frappé à point nommé, et à présent, en face de l'ombre de sa propre beauté, il en sentait la pleine réalité s'épandre en lui. Oui, un jour viendrait où sa face serait ridée et plissée, ses yeux creusés et sans couleur, la grâce de sa figure brisée et déformée. L'écarlate de ses lèvres passerait, comme se ternirait l'or de sa chevelure. La vie qui devait façonner son âme abîmerait son corps ; il deviendrait horrible, hideux, baroque... Comme il pensait à tout cela, une sensation aiguë de douleur le traversa comme une dague, et fit frissonner chacune des délicates fibres de son être... L'améthyste de ses yeux se fonça ; un brouillard de larmes les obscurcit... Il sentit qu'une main de glace se posait sur son cœur...

Ordinary women never appeal to one's imagination. They are limited to their century. No glamour ever transfigures them. One knows their minds as easily as one knows their bonnets. One can always find them. There is no mystery in any of them. They ride in the park in the morning and chatter at tea-parties in the afternoon. They have their stereotyped smile and their fashionable manner. They are quite obvious. But an actress! How different an actress is! Harry! why didn't you tell me that the only thing worth loving is an actress?"

Les femmes ordinaires ne frappent point nos imaginations. Elles sont limitées à leur époque. Aucune magie ne peut jamais les transfigurer. On connaît leur cœur comme on connaît leurs chapeaux. On peut toujours les pénétrer. Il n'y a de mystère dans aucune d'elles. Elles conduisent dans le parc le matin et babillent aux thés de l'après-midi. Elles ont leurs sourires stéréotypés et leurs manières à la mode. Elles sont parfaitement limpides. Mais une actrice ! Combien différente est une actrice ! Harry ! pourquoi ne m'avez-vous pas dit que le seul être digne d'amour est une actrice.

Lord Henry watched him with a subtle sense of pleasure. How different he was now from the shy frightened boy he had met in Basil Hallward's studio! His nature had developed like a flower, had borne blossoms of scarlet flame. Out of its secret hiding-place had crept his soul, and desire had come to meet it on the way.

Lord Henry le regardait avec un subtil sentiment du plaisir. Comme il était différent, maintenant, du jeune garçon timide, apeuré, qu'il avait rencontré dans l'atelier de Basil Hall-ward. Son naturel s'était développé comme une fleur, épanoui en ombelles d'écarlate. Son âme était sortie de sa retraite cachée, et le désir l'avait rencontrée.

Lord Henry smiled. "People are very fond of giving away what they need most themselves. It is what I call the depth of generosity."

Lord Henry sourit : - On aime beaucoup à se débarrasser de ce dont on a le plus besoin. C'est ce que j'appelle l'abîme de la générosité.

No; it was merely an illusion wrought on the troubled senses. The horrible night that he had passed had left phantoms behind it. Suddenly there had fallen upon his brain that tiny scarlet speck that makes men mad. The picture had not changed. It was folly to think so.

Non ! c'était purement une illusion de ses sens troublés ; l'horrible nuit qu'il venait de passer avait suscité des fantômes !... Tout d'un coup, cette même tache écarlate qui rend les hommes déments s'était étendue dans son esprit... Le portrait n'avait pas changé. C'était folie d'y songer...

Ordinary women always console themselves. Some of them do it by going in for sentimental colours. Never trust a woman who wears mauve, whatever her age may be, or a woman over thirty-five who is fond of pink ribbons. It always means that they have a history. Others find a great consolation in suddenly discovering the good qualities of their husbands. They flaunt their conjugal felicity in one's face, as if it were the most fascinating of sins. Religion consoles some. Its mysteries have all the charm of a flirtation, a woman once told me, and I can quite understand it. Besides, nothing makes one so vain as being told that one is a sinner. Conscience makes egotists of us all. Yes; there is really no end to the consolations that women find in modern life. Indeed, I have not mentioned the most important one."

Les femmes ordinaires se consolent toujours, quelques-unes en portant des couleurs sentimentales. Ne placez jamais votre confiance en une femme qui porte du mauve, quelque soit son âge, ou dans une femme de trente-cinq ans affectionnant les rubans roses ; cela veut toujours dire qu'elles ont eu des histoires. D'autres trouvent une grande consolation à la découverte inopinée des bonnes quali-tés de leurs maris. Elles font parade de leur félicité conjugale, comme si c'était le plus fasci-nant des péchés. La religion en console d'autres encore. Ses mystères ont tout le charme d'un flirt, me dit un jour une femme, et je puis le comprendre. En plus, rien ne vous fait si vain que de vous dire que vous êtes un pêcheur. La conscience fait de nous des égoïstes... Oui, il n'y a réellement pas de fin aux consolations que les femmes trouvent dans la vie moderne, et je n'ai point encore mentionné la plus importante.

People are afraid of themselves, nowadays. They have forgotten the highest of all duties, the duty that one owes to one's self. Of course, they are charitable. They feed the hungry and clothe the beggar. But their own souls starve, and are naked. Courage has gone out of our race. Perhaps we never really had it. The terror of society, which is the basis of morals, the terror of God, which is the secret of religion--these are the two things that govern us. And yet--"

Les hommes sont effrayés d'eux-mêmes aujourd'hui. Ils ont oublié le plus haut de tous les devoirs, le devoir que l'on se doit à soi-même. Naturellement ils sont charitables. Ils nourrissent le pauvre et vêtent le loque-teux ; mais ils laissent crever de faim leurs âmes et vont nus. Le courage nous a quittés ; peut-être n'en eûmes-nous jamais ! La terreur de la Société, qui est la base de toute morale, la terreur de Dieu, qui est le secret de la religion : voilà les deux choses qui nous gouvernent. Et encore...

Dorian Gray listened, open-eyed and wondering. The spray of lilac fell from his hand upon the gravel. A furry bee came and buzzed round it for a moment. Then it began to scramble all over the oval stellated globe of the tiny blossoms. He watched it with that strange interest in trivial things that we try to develop when things of high import make us afraid, or when we are stirred by some new emotion for which we cannot find expression, or when some thought that terrifies us lays sudden siege to the brain and calls on us to yield. After a time the bee flew away. He saw it creeping into the stained trumpet of a Tyrian convolvulus. The flower seemed to quiver, and then swayed gently to and fro.

Les yeux grands ouverts, Dorian Gray écoutait, s'émerveillant... La branche de lilas tomba de sa main à terre. Une abeille se précipita, tourna autour un moment, bourdonnante, et ce fut un frisson général des globes étoilés des mignonnes fleurs. Il regardait cela avec cet étrange intérêt que nous prenons aux choses menues quand nous sommes préoccupés de problèmes qui nous effraient, quand nous sommes ennuyés par une nouvelle sensation pour laquelle nous ne pouvons trouver d'expression, ou terrifiés par une obsédante pensée à qui nous nous sentons forcés de céder... Bientôt l'abeille prit son vol. Il l'aperçut se posant sur le calice tacheté d'un convolvulus tyrien. La fleur s'inclina et se balança dans le vide, douce-ment...

Lord Henry flung himself into a large wicker arm-chair and watched him. The sweep and dash of the brush on the canvas made the only sound that broke the stillness, except when, now and then, Hallward stepped back to look at his work from a distance. In the slanting beams that streamed through the open doorway the dust danced and was golden. The heavy scent of the roses seemed to brood over everything.

Lord Harry s'était étendu dans un large fauteuil d'osier et l'observait... Le va et vient du pinceau sur la toile et les allées et venues de Hallward se reculant pour juger de l'effet, brisaient seuls le silence... Dans les rayons obliques venant de la porte entr'ouverte, une pous-sière dorée dansait. La senteur lourde des roses semblait peser sur toute chose.

Lord Henry looked at him. Yes, he was certainly wonderfully handsome, with his finely curved scarlet lips, his frank blue eyes, his crisp gold hair. There was something in his face that made one trust him at once. All the candour of youth was there, as well as all youth's passionate purity. One felt that he had kept himself unspotted from the world. No wonder Basil Hallward worshipped him.

Lord Henry l'observait... Certes, il était merveilleusement beau avec ses lèvres écarlates finement dessinées, ses clairs yeux bleus, sa chevelure aux boucles dorées. Tout dans sa face attirait la confiance ; on y trouvait la candeur de la jeunesse jointe à la pureté ardente de l'adolescence. On sentait que le monde ne l'avait pas encore souillé. Comment s'étonner que Basil Hallward l'estimât pareillement ?...

With his subtle smile, Lord Henry watched him. He knew the precise psychological moment when to say nothing. He felt intensely interested. He was amazed at the sudden impression that his words had produced, and, remembering a book that he had read when he was sixteen, a book which had revealed to him much that he had not known before, he wondered whether Dorian Gray was passing through a similar experience. He had merely shot an arrow into the air. Had it hit the mark? How fascinating the lad was!

Lord Henry le guettait, son mystérieux sourire aux lèvres. Il connaissait le moment psychologique du silence... Il se sentait vivement intéressé. Il s'étonnait de l'impression subite que ses paroles avaient produite ; se souvenant d'un livre qu'il avait lu quand il avait seize ans et qui lui avait révélé ce qu'il avait toujours ignoré, il s'émerveilla de voir Dorian Gray passer par une semblable expérience. Il avait simplement lancé une flèche en l'air. Avait-elle touché le but ?... Ce garçon était vraiment intéressant.

Lord Henry shook his head. "American girls are as clever at concealing their parents, as English women are at concealing their past," he said, rising to go.

Lord Henry secoua la tête. - Les Américaines sont aussi habiles à cacher leurs parents que les Anglais à dissimuler leur passé, dit-il en se levant pour partir.

Lord Henry shrugged his shoulders. "It is the real Dorian Gray-- that is all."

Lord Henry leva les épaules. - Voilà le vrai Dorian Gray vous voulez dire !...

Lord Henry shrugged his shoulders. "My dear fellow, mediaeval art is charming, but mediaeval emotions are out of date. One can use them in fiction, of course. But then the only things that one can use in fiction are the things that one has ceased to use in fact. Believe me, no civilized man ever regrets a pleasure, and no uncivilized man ever knows what a pleasure is."

Lord Henry leva ses épaules... - Mon cher ami, l'art du moyen âge est charmant, mais les médiévales émotions sont périmées... Elles peuvent servir à la fiction, j'en conviens... Les seules choses dont peut user la fiction sont, en fait, les choses qui ne peuvent plus nous servir... Croyez-moi, un homme civilisé ne regrette jamais un plaisir, et jamais une brute ne saura ce que peut être un plaisir.

Lord Henry had not yet come in. He was always late on principle, his principle being that punctuality is the thief of time. So the lad was looking rather sulky, as with listless fingers he turned over the pages of an elaborately illustrated edition of Manon Lescaut that he had found in one of the book-cases. The formal monotonous ticking of the Louis Quatorze clock annoyed him. Once or twice he thought of going away.

Lord Henry n'était pas encore rentré. Il était toujours en retard par principe, son opi-nion étant que la ponctualité était un vol sur le temps. Aussi l'adolescent semblait-il maussade, feuilletant d'un doigt nonchalant une édition illustrée de Manon Lescaut qu'il avait trouvée sur un des rayons de la bibliothèque. Le tic-tac monotone de l'horloge Louis XIV l'agaçait. Une fois ou deux il avait voulu partir...

Lord Henry took up his hat and gloves. "You are very pressing, Basil, but I am afraid I must go. I have promised to meet a man at the Orleans. Good-bye, Mr. Gray. Come and see me some afternoon in Curzon Street. I am nearly always at home at five o'clock. Write to me when you are coming. I should be sorry to miss you."

Lord Henry prit son chapeau et ses gants. - Vous êtes trop bon, Basil, mais je dois m'en aller. J'ai un rendez-vous avec quelqu'un à l'« Orléans » ... adieu, Mr Gray. Venez me voir une de ces après-midi à Curzon Street. Je suis presque toujours chez moi vers cinq heures. Écrivez-moi quand vous viendrez : je serais désolé de ne pas vous rencontrer.

Lord Henry looked over at Mr. Erskine. "Humanity takes itself too seriously. It is the world's original sin. If the caveman had known how to laugh, history would have been different."

Lord Henry regarda Mr Erskine. - L'humanité se prend beaucoup trop au sérieux ; c'est le péché originel du monde. Si les hommes des cavernes avaient su rire, l'Histoire serait bien différente.

Lord Henry looked across the table. "Dorian is never annoyed with me," he answered. "I asked the question for the best reason possible, for the only reason, indeed, that excuses one for asking any question-- simple curiosity. I have a theory that it is always the women who propose to us, and not we who propose to the women. Except, of course, in middle-class life. But then the middle classes are not modern."

Lord Henry regarda par dessus la table. - Je n'ennuie jamais Dorian, répondit-il. Je lui ai fait cette question pour la meilleure raison possible, pour la seule raison même qui excuse toute question, la curiosité. Ma théorie est que ce sont toujours les femmes qui se proposent à nous et non nous, qui nous proposons aux femmes... excepté dans la classe populaire, mais la classe populaire n'est pas moderne.

Lord Henry laughed. "I don't desire to change anything in England except the weather," he answered. "I am quite content with philosophic contemplation. But, as the nineteenth century has gone bankrupt through an over-expenditure of sympathy, I would suggest that we should appeal to science to put us straight. The advantage of the emotions is that they lead us astray, and the advantage of science is that it is not emotional."

Lord Henry se mit à rire. - Je ne désire rien changer en Angleterre excepté la température, répondit-il, je suis parfaitement satisfait de la contemplation philosophique. Mais comme le dix-neuvième siècle va à la banqueroute, avec sa dépense exagérée de sympathie, je proposerais d'en appeler à la science pour nous remettre dans le droit chemin. Le mérite des émotions est de nous égarer, et le mérite de la science est de n'être pas émouvant.

Lord Henry laughed. "The reason we all like to think so well of others is that we are all afraid for ourselves. The basis of optimism is sheer terror. We think that we are generous because we credit our neighbour with the possession of those virtues that are likely to be a benefit to us. We praise the banker that we may overdraw our account, and find good qualities in the highwayman in the hope that he may spare our pockets.

Lord Henry se mit à rire. - La raison pour laquelle nous pensons du bien des autres, est que nous sommes ef-frayés pour nous-mêmes. La base de l'optimisme est la terreur, tout simplement. Nous pensons être généreux parce que nous gratifions le voisin de la possession de vertus qui nous sont un bénéfice. Nous estimons notre banquier dans l'espérance qu'il saura faire fructifier les fonds à lui confiés, et nous trouvons de sérieuses qualités au voleur de grands chemins qui épargnera nos poches.

And besides, my dear old Basil, if you really want to console me, teach me rather to forget what has happened, or to see it from a proper artistic point of view. Was it not Gautier who used to write about la consolation des arts? I remember picking up a little vellum-covered book in your studio one day and chancing on that delightful phrase. Well, I am not like that young man you told me of when we were down at Marlow together, the young man who used to say that yellow satin could console one for all the miseries of life. I love beautiful things that one can touch and handle. Old brocades, green bronzes, lacquer-work, carved ivories, exquisite surroundings, luxury, pomp--there is much to be got from all these. But the artistic temperament that they create, or at any rate reveal, is still more to me.

Maintenant, mon cher Basil, si vraiment vous voulez me consoler, apprenez-moi à oublier ce qui est arrivé ou à le considérer à un point de vue assez artistique. N'est-ce pas Gautier qui écrivait sur la « Consolation des arts » ? Je me rappelle avoir trouvé un jour dans votre atelier un petit volume relié en vélin, où je cueillis ce mot délicieux. Encore ne suis-je pas comme ce jeune homme dont vous me parliez lorsque nous fûmes ensemble à Marlow, ce jeune homme qui disait que le satin jaune pouvait nous consoler de toutes les misères de l'existence. J'aime les belles choses que l'on peut toucher et tenir : les vieux brocarts, les bronzes verts, les laques, les ivoires, exquisément travaillés, ornés, parés ; il y a beaucoup à tirer de ces choses. Mais le tempérament artistique qu'elles créent ou du moins révèlent est plus encore pour moi.

But Juliet! Harry, imagine a girl, hardly seventeen years of age, with a little, flowerlike face, a small Greek head with plaited coils of dark-brown hair, eyes that were violet wells of passion, lips that were like the petals of a rose. She was the loveliest thing I had ever seen in my life. You said to me once that pathos left you unmoved, but that beauty, mere beauty, could fill your eyes with tears. I tell you, Harry, I could hardly see this girl for the mist of tears that came across me.

Mais Juliette ! Harry, imaginez une jeune fille de dix-sept ans à peine, avec une figure comme une fleur, une petite tête grecque avec des nattes roulées châtain foncé, des yeux de passion aux profondeurs violettes et des lèvres comme des pétales de rose. C'était la plus adorable créature que j'aie vue de ma vie. Vous m'avez dit une fois que le pathétique vous laissait insensible. Mais cette beauté, cette simple, beauté eut rempli vos yeux de larmes. Je vous assure. Harry, je ne pus à peine voir cette jeune fille qu'à travers la buée de larmes qui me monta aux paupières.

But, as I was saying, you must not think I have not suffered. If you had come in yesterday at a particular moment-- about half-past five, perhaps, or a quarter to six-- you would have found me in tears. Even Harry, who was here, who brought me the news, in fact, had no idea what I was going through. I suffered immensely. Then it passed away. I cannot repeat an emotion. No one can, except sentimentalists. And you are awfully unjust, Basil. You come down here to console me. That is charming of you. You find me consoled, and you are furious. How like a sympathetic person! You remind me of a story Harry told me about a certain philanthropist who spent twenty years of his life in trying to get some grievance redressed, or some unjust law altered--I forget exactly what it was. Finally he succeeded, and nothing could exceed his disappointment. He had absolutely nothing to do, almost died of ennui, and became a confirmed misanthrope.

Mais comme je vous le disais, ne croyez pas que je n'aie pas souffert. Si vous étiez venu hier, à un certain moment - vers cinq heures et demie peut-être ou six heures moins le quart - vous m'auriez trouvé en larmes... Même Harry qui était ici et qui, au fait, m'apporta la nouvelle, se demandait où j'allais en venir. Je souffris intensément. Puis cela passa. Je ne puis répéter une émotion. Personne d'ailleurs ne le peut, excepté les sentimentaux. Et vous êtes cruellement injuste, Basil : vous venez ici pour me consoler, ce qui est charmant de votre part ; vous me trouvez tout consolé et vous êtes furieux !... Tout comme une personne sympathique ! Vous me rappelez une histoire qu'Harry m'a racontée à propos d'un certain philanthrope qui dépensa vingt ans de sa vie à essayer de redresser quelque tort, ou de modifier une loi injuste, je ne sais plus exactement. Enfin il y réussit, et rien ne put surpasser son désespoir. Il n'avait absolument plus rien à faire, sinon à mourir d'ennui et il devint un misanthrope résolu.

But the picture? What was he to say of that? It held the secret of his life, and told his story. It had taught him to love his own beauty. Would it teach him to loathe his own soul? Would he ever look at it again?

Mais le portrait ?... Que dire de cela ? Il possédait le secret de sa vie, en révélait l'histoire ; il lui avait appris à aimer sa propre beauté. Lui apprendrait-il à haïr son âme ?... Devait-il le regarder encore ?

You have never been to any of my parties, have you, Mr. Gray? You must come. I can't afford orchids, but I share no expense in foreigners. They make one's rooms look so picturesque. But here is Harry! Harry, I came in to look for you, to ask you something-- I forget what it was--and I found Mr. Gray here. We have had such a pleasant chat about music. We have quite the same ideas. No; I think our ideas are quite different. But he has been most pleasant. I am so glad I've seen him."

Mais vous n'êtes jamais venu à mes réunions, Mr Gray. Il faudra venir. Je ne puis point offrir d'orchidées, mais je n'épargne aucune dépense pour avoir des étrangers. Ils vous font une chambrée si pittoresque... Voici Harry ! Harry, je venais pour vous demander quelque chose, je ne sais plus quoi, et j'ai trouvé ici Mr Gray. Nous avons ou une amusante conversation sur la musique. Nous avons tout à fait les mêmes idées. Non ! je crois nos idées tout à fait différentes, mais il a été vraiment aimable. Je suis très heureux de l'avoir vu.

It was long past noon when he awoke. His valet had crept several times on tiptoe into the room to see if he was stirring, and had wondered what made his young master sleep so late. Finally his bell sounded, and Victor came in softly with a cup of tea, and a pile of letters, on a small tray of old Sevres china, and drew back the olive-satin curtains, with their shimmering blue lining, that hung in front of the three tall windows.

Midi avait sonné depuis longtemps, quand il s'éveilla. Son valet était venu plusieurs fois sur la pointe du pied dans la chambre voir s'il dormait encore, et s'était demandé ce qui pouvait bien retenir si tard au lit son jeune maître. Finalement, Victor entendit retentir le timbre et il arriva doucement, portant une tasse de thé et un paquet de lettres sur un petit plateau de vieux Sèvres chinois ; il tira les rideaux de satin olive, aux dessins bleus, tendus devant les trois grandes fenêtres...

Mrs. Vane glanced at her, and with one of those false theatrical gestures that so often become a mode of second nature to a stage-player, clasped her in her arms. At this moment, the door opened and a young lad with rough brown hair came into the room. He was thick-set of figure, and his hands and feet were large and somewhat clumsy in movement. He was not so finely bred as his sister. One would hardly have guessed the close relationship that existed between them. Mrs. Vane fixed her eyes on him and intensified her smile. She mentally elevated her son to the dignity of an audience. She felt sure that the tableau was interesting.

Mme Vane la regarda et avec un de ses faux gestes scéniques qui deviennent si souvent comme une seconde nature chez les acteurs, elle serra sa fille entre ses bras. À ce moment, la porte s'ouvrit et un jeune garçon aux cheveux bruns hérissés entra dans la chambre. Il avait la figure pleine, de grands pieds et de grandes mains et quelque chose de brutal dans ses mou-vements. Il n'avait pas la distinction de sa sœur. On eût eu peine à croire à la proche parenté qui les unissait. Mme Vane fixa les yeux sur lui et accentua son sourire. Elle élevait mentalement son fils à la dignité d'un auditoire. Elle était certaine que ce tableau devait être touchant.

Mrs. Vane winced and put her thin, bismuth-whitened hands on her daughter's head. "Happy!" she echoed, "I am only happy, Sibyl, when I see you act. You must not think of anything but your acting. Mr. Isaacs has been very good to us, and we owe him money."

Mme Vane tressaillit et posa ses mains maigres et blanchies au bismuth sur la tête de sa fille. - Contente ! répéta-t-elle, je ne suis contente, Sibyl, que lorsque je vous vois jouer. Vous ne devez pas penser à autre chose. Mr Isaacs a été très bon pour nous et nous lui devons de l'argent. La jeune fille leva une tête boudeuse.

My brother . . . No; never mind. He didn't mean it. He was in jest. . . . But you, oh! can't you forgive me for to-night? I will work so hard and try to improve. Don't be cruel to me, because I love you better than anything in the world. After all, it is only once that I have not pleased you. But you are quite right, Dorian. I should have shown myself more of an artist. It was foolish of me, and yet I couldn't help it. Oh, don't leave me, don't leave me." A fit of passionate sobbing choked her. She crouched on the floor like a wounded thing, and Dorian Gray, with his beautiful eyes, looked down at her, and his chiselled lips curled in exquisite disdain. There is always something ridiculous about the emotions of people whom one has ceased to love. Sibyl Vane seemed to him to be absurdly melodramatic. Her tears and sobs annoyed him.

Mon frère... Non, ça ne fait rien ! Il ne voulait pas dire cela... il plaisantait !... Mais vous, pouvez-vous m'oublier à cause de ce soir ? Je veux tant travailler et essayer de faire des progrès. Ne me sois pas cruel parce que je t'aime mieux que tout au monde ! Après tout, c'est la seule fois que je t'ai déplu... Tu as raison. Dorian... J'aurais dû me montrer mieux qu'une artiste... C'était fou de ma part... et cependant, je n'ai pu faire autrement... Oh ! ne me quitte pas ! ne m'abandonne pas !... Une rafale de sanglots passionnés la courba... Elle s'écrasa sur le plancher comme une chose blessée. Dorian Gray la regardait à terre, ses lèvres fines retroussées en un suprême dédain. Il y a toujours quelque chose de ridicule dans les émotions des personnes que l'on a cessé d'aimer ; Sibyl Vane lui semblait absurdement mélodramatique. Ses larmes et ses san-glots l'ennuyaient...

Even the common uneducated audience of the pit and gallery lost their interest in the play. They got restless, and began to talk loudly and to whistle. The Jew manager, who was standing at the back of the dress-circle, stamped and swore with rage. The only person unmoved was the girl herself.

Même les auditeurs vulgaires et dépourvus de toute éducation, du parterre et des gale-ries, perdaient tout intérêt à la pièce. Ils commencèrent à s'agiter, à parler haut, à siffler... Le manager israélite, debout au fond du parterre, frappait du pied et jurait de rage. L'on eût dit que la seule personne calme était la jeune fille.

Yes, the lad was premature. He was gathering his harvest while it was yet spring. The pulse and passion of youth were in him, but he was becoming self-conscious. It was delightful to watch him. With his beautiful face, and his beautiful soul, he was a thing to wonder at. It was no matter how it all ended, or was destined to end. He was like one of those gracious figures in a pageant or a play, whose joys seem to be remote from one, but whose sorrows stir one's sense of beauty, and whose wounds are like red roses.

Oui, l'adolescent était précoce. Il moissonnait au printemps. La poussée de la passion et de la jeunesse était en lui, mais il devenait peu à peu conscient de lui-même. C'était une joie de l'observer. Avec sa belle figure et sa belle âme, il devait faire rêver. Pourquoi s'inquiéter de la façon dont cela finirait, ou si cela, même devait avoir une fin !... Il était comme une de ses gracieuses figures d'un spectacle, dont les joies nous sont étrangères, mais dont les chagrin nous éveillent au sentiment de la beauté, et dont les blessures sont comme des roses rouges.

Where he went to he hardly knew. He remembered wandering through dimly lit streets, past gaunt, black-shadowed archways and evil-looking houses. Women with hoarse voices and harsh laughter had called after him. Drunkards had reeled by, cursing and chattering to themselves like monstrous apes. He had seen grotesque children huddled upon door-steps, and heard shrieks and oaths from gloomy courts.

Où il alla ?... il ne s'en souvint. Il se rappela vaguement avoir vagabondé par des rues mal éclairées, passé sous des voûtes sombres et devant des maisons aux façades hostiles... Des femmes, avec des voix enrouées et des rires éraillés l'avaient appelé. Il avait rencontré de chancelants ivrognes jurant, se grommelant à eux-mêmes des choses comme des singes mons-trueux. Des enfants grotesques se pressaient devant des seuils ; des cris, des jurons, partaient des cours obscures.

For some reason or other, the house was crowded that night, and the fat Jew manager who met them at the door was beaming from ear to ear with an oily tremulous smile. He escorted them to their box with a sort of pompous humility, waving his fat jewelled hands and talking at the top of his voice. Dorian Gray loathed him more than ever. He felt as if he had come to look for Miranda and had been met by Caliban. Lord Henry, upon the other hand, rather liked him. At least he declared he did, and insisted on shaking him by the hand and assuring him that he was proud to meet a man who had discovered a real genius and gone bankrupt over a poet.

Par hasard, il se trouva que la salle, ce soir-là, était pleine de monde, et le gras manager juif, qui les reçut à la porte du théâtre rayonnait d'une oreille à l'autre d'un onctueux et trem-blotant sourire. Il les escorta jusqu'à leur loge avec une sorte d'humilité pompeuse, en agitant ses grasses mains chargées de bijoux et parlant de sa voix la plus aiguë. Dorian Gray se sentit pour lui une aversion plus prononcée que jamais ; il venait voir Miranda, pensait-il, et il rencontrait Caliban... Il paraissait, d'un autre côté, plaire à lord Henry ; ce dernier même se décida à lui té-moigner sa sympathie d'une façon formelle en lui serrant la main et l'affirmant qu'il était heureux d'avoir rencontré un homme qui avait découvert un réel talent et faisait banqueroute pour un poète.

Poor Sibyl! What a romance it had all been! She had often mimicked death on the stage. Then Death himself had touched her and taken her with him. How had she played that dreadful last scene? Had she cursed him, as she died? No; she had died for love of him, and love would always be a sacrament to him now. She had atoned for everything by the sacrifice she had made of her life. He would not think any more of what she had made him go through, on that horrible night at the theatre. When he thought of her, it would be as a wonderful tragic figure sent on to the world's stage to show the supreme reality of love. A wonderful tragic figure? Tears came to his eyes as he remembered her childlike look, and winsome fanciful ways, and shy tremulous grace. He brushed them away hastily and looked again at the picture.

Pauvre Sibyl ! Quel roman cela avait été ! Elle avait souvent mimé la mort au théâtre. La mort l'avait touchée et prise avec elle. Comment avait-elle joué cette ultime scène terri-fiante ? L'avait-elle maudit en mourant ? Non ! elle était morte par amour pour lui, et l'amour, désormais, lui serait un sacrement. Elle avait tout racheté par le sacrifice qu'elle avait fait de sa vie. Il ne voulait plus songer à ce qu'elle lui avait fait éprouver pendant cette terrible soirée, au théâtre... Quand il penserait à elle, ce serait comme à une prestigieuse figure tragique envoyée sur la scène du monde pour y montrer la réalité suprême de l'Amour. Une prestigieuse figure tragique ! Des larmes lui montèrent aux yeux, en se souvenant de son air enfantin, de ses manières douces et capricieuses, de sa farouche et tremblante grâce. Il les refoula en hâte, et regarda de nouveau le portrait.

For nearly ten minutes he stood there, motionless, with parted lips and eyes strangely bright. He was dimly conscious that entirely fresh influences were at work within him. Yet they seemed to him to have come really from himself. The few words that Basil's friend had said to him--words spoken by chance, no doubt, and with wilful paradox in them-- had touched some secret chord that had never been touched before, but that he felt was now vibrating and throbbing to curious pulses.

Pendant presque dix minutes, il demeura sans faire un mouvement, les lèvres entr'ouvertes et les yeux étrangement brillants. Il semblait avoir obscurément conscience que le travaillaient des influences tout à fait nouvelles, mais elles lui paraissaient venir entièrement de lui-même. Les quelques mots que l'ami de Basil lui avait dits - mots dits sans doute par hasard et chargés de paradoxes voulus - avaient touché quelque corde secrète qui n'avait jamais été touchée auparavant mais qu'il sentait maintenant palpitante et vibrante en lui.

While Lord Henry sat dreaming on these things, a knock came to the door, and his valet entered and reminded him it was time to dress for dinner. He got up and looked out into the street. The sunset had smitten into scarlet gold the upper windows of the houses opposite. The panes glowed like plates of heated metal. The sky above was like a faded rose. He thought of his friend's young fiery-coloured life and wondered how it was all going to end.

Pendant que Lord Henry, assis, rêvait sur ces choses, on frappa à la porte et son do-mestique entra et lui rappela qu'il était temps de s'habiller pour dîner. Il se leva et jeta un coup d'œil dans la rue. Le soleil couchant enflammait de pourpre et d'or les fenêtres hautes des maisons d'en face. Les carreaux étincelaient comme des plaques de métal ardent. Au-dessus, le ciel semblait une rose fanée. Il pensa à la vitalité impétueuse de son jeune ami et se demanda comment tout cela finirait.

Why should I not love her? Harry, I do love her. She is everything to me in life. Night after night I go to see her play. One evening she is Rosalind, and the next evening she is Imogen. I have seen her die in the gloom of an Italian tomb, sucking the poison from her lover's lips. I have watched her wandering through the forest of Arden, disguised as a pretty boy in hose and doublet and dainty cap. She has been mad, and has come into the presence of a guilty king, and given him rue to wear and bitter herbs to taste of. She has been innocent, and the black hands of jealousy have crushed her reedlike throat. I have seen her in every age and in every costume.

Pourquoi ne l'aimerai-je pas, Harry ? Je l'aime. Elle est tout pour moi dans la vie. Tous les soirs je vais la voir jouer. Un jour elle est Rosalinde et le jour suivant, Imogène. Je l'ai vue mourir dans l'horreur sombre d'un tombeau italien, aspirant le poison aux lèvres de son amant. Je l'ai suivie, errant dans la forêt d'Ardennes, déguisée en joli garçon, vêtue du pourpoint et des chausses, coiffée d'un mignon chaperon. Elle était folle et se trouvait en face d'un roi coupable à qui elle donnait à porter de la rue et faisait prendre des herbes amères. Elle était innocente et les mains noires de la jalousie étreignaient sa gorge frêle comme un roseau. Je l'ai vue dans tous les temps et dans tous les costumes.

When he entered, she looked at him, and an expression of infinite joy came over her. "How badly I acted to-night, Dorian!" she cried.

Quand il entra, elle le regarda, et sembla soudainement possédée d'une joie infinie. - Ai-je assez mal joué, ce soir, Dorian ? cria-t-elle.

When Lord Henry entered the room, he found his uncle sitting in a rough shooting-coat, smoking a cheroot and grumbling over The Times. "Well, Harry," said the old gentleman, "what brings you out so early? I thought you dandies never got up till two, and were not visible till five."

Quand lord Henry entra dans la chambre, il trouva son oncle, assis, habillé d'un épais veston de chasse, fumant un cigare et grommelant sur un numéro du Times. - Eh bien ! Harry, dit le vieux gentleman, qui vous amène de si bonne heure ? Je croyais que vous autres dandies n'étiez jamais levés avant deux heures, et visibles avant cinq.

As for conversation, there are only five women in London worth talking to, and two of these can't be admitted into decent society. However, tell me about your genius. How long have you known her?"

Quant à la conversation, il n'y a que cinq femmes dans Londres qui vaillent la peine qu'on leur parle, et deux d'entre elles ne peuvent être reçues dans une société qui se respecte. À propos, parlez-moi de votre génie. Depuis quand la connaissez-vous ?

A few moments afterwards the footlights flared up and the curtain rose on the third act. Dorian Gray went back to his seat. He looked pale, and proud, and indifferent. The play dragged on, and seemed interminable. Half of the audience went out, tramping in heavy boots and laughing. The whole thing was a fiasco. The last act was played to almost empty benches. The curtain went down on a titter and some groans.

Quelques instants plus tard, la rampe s'illumina, et le rideau se leva sur le troisième acte. Dorian Gray reprit son siège ; il était pâle, mais dédaigneux et indifférent. L'action se traînait, interminable. La moitié de l'auditoire était sortie, en faisant un bruit grossier de lourds souliers, et en riant. Le fiasco était complet. Le dernier acte fut joué devant les banquettes. Le rideau s'abaissa sur des murmures ou des grognements.

Romeo was a stout elderly gentleman, with corked eyebrows, a husky tragedy voice, and a figure like a beer-barrel. Mercutio was almost as bad. He was played by the low-comedian, who had introduced gags of his own and was on most friendly terms with the pit. They were both as grotesque as the scenery, and that looked as if it had come out of a country- booth.

Roméo était un gros gentleman assez âgé, avec des sourcils noircis au bouchon, une voix rauque de tragédie et une figure comme un baril à bière. Mercutio était à peu près aussi laid. Il jouait comme ces comédiens de bas étage qui ajoutent leurs insanités à leurs rôles et semblait être dans les termes les plus amicaux avec le parterre. Ils étaient tous deux aussi grotesques que les décors ; on eut pu se croire dans une baraque foraine.

His mother! He had something on his mind to ask of her, something that he had brooded on for many months of silence. A chance phrase that he had heard at the theatre, a whispered sneer that had reached his ears one night as he waited at the stage-door, had set loose a train of horrible thoughts. He remembered it as if it had been the lash of a hunting-crop across his face. His brows knit together into a wedgelike furrow, and with a twitch of pain he bit his underlip.

Sa mère ! Il avait en lui-même une question à résoudre à propos d'elle, une question qu'il couvait depuis des mois de silence. Une phrase hasardée qu'il avait entendue au théâtre, un ricanement étouffé qu'il avait saisi un soir en attendant à la porte des coulisses, lui avaient suggéré d'horribles pensées. Tout cela lui revenait à l'esprit comme un coup de fouet en pleine figure. Ses sourcils se rejoignirent dans une contraction involontaire, et dans un spasme douloureux, il se mordit la lèvre inférieure.

His mother was waiting for him below. She grumbled at his unpunctuality, as he entered. He made no answer, but sat down to his meagre meal. The flies buzzed round the table and crawled over the stained cloth. Through the rumble of omnibuses, and the clatter of street-cabs, he could hear the droning voice devouring each minute that was left to him.

Sa mère l'attendait en bas. Elle bougonna sur son retard lorsqu'il entra. Il ne répondit rien, et s'assit devant son maigre repas. Les mouches voletaient autour de la table et se pro-menaient sur la nappe tachée. À travers le bruit des omnibus et des voitures qui montait de la rue, il percevait le bourdonnement qui dévorait chacune des minutes lui restant à vivre là...

Suddenly his eye fell on the screen that he had placed in front of the portrait, and he started.

Ses regards tout à coup, tombèrent sur le paravent qu'il avait placé devant le portrait et il tressaillit...

Suddenly she felt the need to speak. The wordy silence troubled her. "Mother, Mother," she cried, "why does he love me so much? I know why I love him. I love him because he is like what love himself should be. But what does he see in me? I am not worthy of him. And yet--why, I cannot tell--though I feel so much beneath him, I don't feel humble. I feel proud, terribly proud. Mother, did you love my father as I love Prince Charming?"

Soudain elle éprouva le besoin de parler. Le monologue de la vieille la gênait. - Mère, mère, s'écria-t-elle, pourquoi m'aime-t-il tant ? Moi, je sais pourquoi je l'aime. C'est parce qu'il est tel que pourrait être l'Amour lui-même. Mais que voit-il en moi ? Je ne suis pas digne de lui. Et cependant je ne saurais dire pourquoi, tout en me trouvant fort inférieure à lui, je ne me sens pas humble. Je suis fière, extrêmement fière... Mère, aimiez-vous mon père comme j'aime le prince Charmant ?

How late it was! He sat up, and having sipped some tea, turned over his letters. One of them was from Lord Henry, and had been brought by hand that morning. He hesitated for a moment, and then put it aside. The others he opened listlessly. They contained the usual collection of cards, invitations to dinner, tickets for private views, programmes of charity concerts, and the like that are showered on fashionable young men every morning during the season. There was a rather heavy bill for a chased silver Louis- Quinze toilet-set that he had not yet had the courage to send on to his guardians, who were extremely old-fashioned people and did not realize that we live in an age when unnecessary things are our only necessities; and there were several very courteously worded communications from Jermyn Street money- lenders offering to advance any sum of money at a moment's notice and at the most reasonable rates of interest.

Si tard !... Il s'assit dans son lit, et après avoir bu un peu de thé, se mit à regarder les lettres ; l'une d'elles était de lord Henry, et avait été apportée le matin même. Il hésita un moment et la mit de côté. Il ouvrit les autres, nonchalamment. Elles contenaient la collection ordinaire de cartes, d'invitations à dîner, de billets pour des expositions privées, des pro-grammes de concerts de charité, et tout ce que peut recevoir un jeune homme à la mode chaque matin, durant la saison. Il trouva une lourde facture, pour un nécessaire de toilette Louis XV en argent ciselé, qu'il n'avait pas encore eu le courage d'envoyer à ses tuteurs, gens de jadis qui ne comprenaient point que nous vivons dans un temps où les choses inutiles sont les seules choses nécessaires ; il parcourut encore quelques courtoises propositions de prêteurs d'argent de Jermyn Street, qui s'offraient à lui avancer n'importe quelle somme aussitôt qu'il le jugerait bon et aux taux les plus raisonnables.

Sibyl Vane tossed her head and laughed. "We don't want him any more, Mother. Prince Charming rules life for us now." Then she paused. A rose shook in her blood and shadowed her cheeks. Quick breath parted the petals of her lips. They trembled. Some southern wind of passion swept over her and stirred the dainty folds of her dress. "I love him," she said simply.

Sibyl Vane secoua la tête et se mit à rire. - Nous n'aurons plus besoin de lui désormais, mère. Le Prince Charmant s'occupe de nous. Elle s'arrêta ; une rougeur secoua son sang et enflamma ses joues. Une respiration ha-letante entr'ouvrit les pétales de ses lèvres tremblantes. Un vent chaud de passion sembla l'envelopper et agiter les plis gracieux de sa robe. - Je l'aime ! dit-elle simplement.

Sir Thomas waved his hand. "Mr. Erskine of Treadley has the world on his shelves. We practical men like to see things, not to read about them. The Americans are an extremely interesting people. They are absolutely reasonable. I think that is their distinguishing characteristic. Yes, Mr. Erskine, an absolutely reasonable people. I assure you there is no nonsense about the Americans."

Sir Thomas leva les mains. - Mr Erskine de Treadley se soucie peu du monde. Nous autres, hommes pratiques, nous aimons à voir les choses par nous-mêmes, au lieu de lire ce qu'on en rapporte. Les Amé-ricains sont un peuple extrêmement intéressant. Ils sont tout à fait raisonnables. Je crois que c'est la leur caractère distinctif. Oui, Mr Erskine, un peuple absolument raisonnable, je vous assure qu'il n'y a pas de niaiseries chez les Américains.

Sir Thomas frowned. "I am afraid that your nephew is prejudiced against that great country," he said to Lady Agatha. "I have travelled all over it in cars provided by the directors, who, in such matters, are extremely civil. I assure you that it is an education to visit it."

Sir Thomas se renfrogna. - J'ai peur que votre neveu ne soit prévenu contre ce grand pays, dit-il à lady Agathe, je l'ai parcouru dans des trains fournis par les gouvernants qui, en pareil cas, sont extrêmement civils, je vous assure que c'est un enseignement que cette visite.

Suddenly the painter appeared at the door of the studio and made staccato signs for them to come in. They turned to each other and smiled.

Soudain, le peintre apparut à la porte de l'atelier et leur fit des signes réitérés... Ils se tournèrent l'un vers l'autre en souriant...

He drew the screen back into its former place in front of the picture, smiling as he did so, and passed into his bedroom, where his valet was already waiting for him. An hour later he was at the opera, and Lord Henry was leaning over his chair.

Souriant, il replaça le paravent dans la position qu'il occupait devant le portrait, et passa dans la chambre où l'attendait son valet. Une heure plus tard, il était à l'Opéra, et lord Henry s'appuyait sur le dos de son fauteuil.

So that was the story of Dorian Gray's parentage. Crudely as it had been told to him, it had yet stirred him by its suggestion of a strange, almost modern romance. A beautiful woman risking everything for a mad passion. A few wild weeks of happiness cut short by a hideous, treacherous crime. Months of voiceless agony, and then a child born in pain. The mother snatched away by death, the boy left to solitude and the tyranny of an old and loveless man.

Telle était en effet, l'histoire des parents de Dorian Gray. Ainsi crûment racontée, elle avait tout à fait bouleversé lord Henry comme un étrange quoique moderne roman. Une très belle femme risquant tout pour une folle passion. Quelques semaines d'un bonheur solitaire, tout à coup brisé par un crime hideux et perfide. Des mois d'agonie muette, et enfin un enfant né dans les larmes. La mère enlevée par la mort et l'enfant abandonné tout seul à la tyrannie d'un vieillard sans cœur.

Three o'clock struck, and four, and the half-hour rang its double chime, but Dorian Gray did not stir. He was trying to gather up the scarlet threads of life and to weave them into a pattern; to find his way through the sanguine labyrinth of passion through which he was wandering. He did not know what to do, or what to think. Finally, he went over to the table and wrote a passionate letter to the girl he had loved, imploring her forgiveness and accusing himself of madness. He covered page after page with wild words of sorrow and wilder words of pain. There is a luxury in self-reproach. When we blame ourselves, we feel that no one else has a right to blame us. It is the confession, not the priest, that gives us absolution. When Dorian had finished the letter, he felt that he had been forgiven.

Trois heures sonnèrent, puis quatre. La demie tinta son double carillon... Dorian Gray ne bougeait pas. Il essayait de réunir les fils vermeils de sa vie et de les tresser ensemble ; il tentait de trouver son chemin à travers le labyrinthe d'ardente passion dans lequel il errait. Il ne savait quoi faire, quoi penser ?... Enfin, il se dirigea vers la table et rédigea une lettre passionnée à la jeune fille qu'il avait aimée, implorant son pardon, et s'accusant de démence. Il couvrit des pages de mots de chagrin furieux, suivis de plus furieux cris de douleur... Il y a une sorte de volupté à se faire des reproches... Quand nous nous blâmons, nous pensons que personne autre n'a le droit de nous blâmer. C'est la confession, non le prêtre, qui nous donne l'absolution. Quand Dorian eût terminé sa lettre, il se sentit pardonné.

A cry of pain broke from the lad's lips, and he leaped to his feet, tearing his hands away from Lord Henry's grasp.

Un cri de douleur jaillit des lèvres de l'adolescent ; il bondit sur ses pieds, s'arrachant de l'étreinte de lord Henry :

For a moment, he thought of praying that the horrible sympathy that existed between him and the picture might cease. It had changed in answer to a prayer; perhaps in answer to a prayer it might remain unchanged. And yet, who, that knew anything about life, would surrender the chance of remaining always young, however fantastic that chance might be, or with what fateful consequences it might be fraught? Besides, was it really under his control? Had it indeed been prayer that had produced the substitution? Might there not be some curious scientific reason for it all? If thought could exercise its influence upon a living organism, might not thought exercise an influence upon dead and inorganic things? Nay, without thought or conscious desire, might not things external to ourselves vibrate in unison with our moods and passions, atom calling to atom in secret love or strange affinity? But the reason was of no importance. He would never again tempt by a prayer any terrible power. If the picture was to alter, it was to alter. That was all. Why inquire too closely into it?

Un instant, il songea à prier pour que cessât l'horrible sympathie existant entre lui et le portrait. Une prière l'avait faite ; peut-être une prière la pouvait-elle détruire ?... Cependant, qui, connaissant la vie, hésiterait pour garder la chance de rester toujours jeune, quelque fantastique que cette chance pût paraître, à tenter les conséquences que ce choix pouvait entraîner ?... D'ailleurs cela dépendait-il de sa volonté ?... Était-ce vraiment la prière qui avait produit cette substitution ? Quelque raison scienti-fique ne pouvait-elle l'expliquer ? Si la pensée pouvait exercer une influence sur un organisme vivant, cette influence ne pouvait-elle s'exercer sur les choses mortes ou inorganiques ? Ne pouvaient-elles, les choses extérieures à nous-mêmes, sans pensée ou désir conscients, vibrer à l'unisson de nos humeurs ou de nos passions, l'atome appelant l'atome dans un amour secret ou une étrange affinité. Mais la raison était sans importance. Il ne tenterait plus par la prière un si terrible pouvoir. Si la peinture devait s'altérer, rien ne pouvait l'empêcher. C'était clair. Pourquoi approfondir cela ?

An oath broke from his lips. "I don't care for myself," he exclaimed, "but don't let Sibyl. . . . It is a gentleman, isn't it, who is in love with her, or says he is? Highly connected, too, I suppose."

Un juron s'échappa de ses lèvres : - Pour moi, ça m'est égal, s'écria-t-il, mais ne laissez pas Sibyl... C'est un gentleman, n'est-ce pas, qui est son amoureux, du moins il le dit. Il a aussi de belles relations sans doute, lui !

A quarter of an hour afterwards, amidst an extraordinary turmoil of applause, Sibyl Vane stepped on to the stage. Yes, she was certainly lovely to look at-- one of the loveliest creatures, Lord Henry thought, that he had ever seen. There was something of the fawn in her shy grace and startled eyes. A faint blush, like the shadow of a rose in a mirror of silver, came to her cheeks as she glanced at the crowded enthusiastic house. She stepped back a few paces and her lips seemed to tremble. Basil Hallward leaped to his feet and began to applaud. Motionless, and as one in a dream, sat Dorian Gray, gazing at her. Lord Henry peered through his glasses, murmuring, "Charming! charming!"

Un quart d'heure après, parmi une tempête extraordinaire d'applaudissements, Sibyl Vane s'avança sur la scène... Certes, elle était adorable à voir, une des plus adorables créatures même, pensait lord Henry, qu'il eut jamais vues. Il y avait quelque chose d'animal dans sa grâce farouche et ses yeux frémissants. Un sourire abattu, comme l'ombre d'une rose dans un miroir d'argent, vint à ses lèvres en regardant la foule enthousiaste emplissant le théâtre. Elle recula de quelques pas, et ses lèvres semblèrent trembler. Basil Hallward se dressa et commença à l'applaudir. Sans mouvement, comme dans un rêve, Dorian Gray la regardait ; Lord Henry la lorgnant à l'aide de sa jumelle murmurait : « Charmante ! Charmante ! »

A laugh ran round the table.

Un rire courut autour de la table...

There was a silence. The evening darkened in the room. Noiselessly, and with silver feet, the shadows crept in from the garden. The colours faded wearily out of things.

Un silence suivit. Le crépuscule assombrissait la chambre ; sans bruit, à pas de velours, les ombres se glissaient dans le jardin. Les couleurs des objets s'évanouissaient paresseuse-ment.

When the second act was over, there came a storm of hisses, and Lord Henry got up from his chair and put on his coat. "She is quite beautiful, Dorian," he said, "but she can't act. Let us go."

Un tonnerre de sifflets suivit la chute du rideau... Lord Henry se leva et mit son par-dessus... - Elle est très belle, Dorian, dit-il, mais elle ne sait pas jouer. Allons-nous-en...

There was a rustle of chirruping sparrows in the green lacquer leaves of the ivy, and the blue cloud-shadows chased themselves across the grass like swallows. How pleasant it was in the garden! And how delightful other people's emotions were!-- much more delightful than their ideas, it seemed to him. One's own soul, and the passions of one's friends--those were the fascinating things in life. He pictured to himself with silent amusement the tedious luncheon that he had missed by staying so long with Basil Hallward.

Un vol piaillant de passereaux s'abattit dans le vert profond des lierres... Comme une troupe d'hirondelles, l'ombre bleue des nuages passa sur le gazon... Quel charme s'émanait de ce jardin ! Combien, pensait lord Henry, étaient délicieuses les émotions des autres ! beaucoup plus délicieuses que leurs idées, lui semblait-il. Le soin de sa propre âme et les passions de ses amis, telles lui paraissaient être les choses notables de la vie. Il se représentait, en s'amusant à cette pensée, le lunch assommant que lui avait évité sa visite chez Hallward ;

One afternoon, a month later, Dorian Gray was reclining in a luxurious arm-chair, in the little library of Lord Henry's house in Mayfair. It was, in its way, a very charming room, with its high panelled wainscoting of olive-stained oak, its cream-coloured frieze and ceiling of raised plasterwork, and its brickdust felt carpet strewn with silk, long-fringed Persian rugs. On a tiny satinwood table stood a statuette by Clodion, and beside it lay a copy of Les Cent Nouvelles, bound for Margaret of Valois by Clovis Eve and powdered with the gilt daisies that Queen had selected for her device. Some large blue china jars and parrot- tulips were ranged on the mantelshelf, and through the small leaded panes of the window streamed the apricot-coloured light of a summer day in London.

Une après-midi, un mois après, Dorian Gray était allongé en un luxueux fauteuil, dans la petite bibliothèque de la maison de lord Henry à Mayfair. C'était, en son genre, un charmant réduit, avec ses hauts lambris de chêne olivâtre, sa frise et son plafond crème rehaussé de moulure, et son tapis de Perse couleur brique aux longues franges de soie. Sur une mignonne table de bois satiné, une statuette de Clodion à côté d'un exemplaire des « Cent Nouvelles » relié pour Marguerite de Valois par Clovis Ève, et semé des pâquerettes d'or que cette reine avait choisies pour emblème. Dans de grands vases bleus de Chine, des tulipes panachées étaient rangées sur le manteau de la cheminée. La vive lumière abricot d'un jour d'été londonien entrait à flots à travers les petits losanges de plombs des fenêtres.

A long line of boys carrying crates of striped tulips, and of yellow and red roses, defiled in front of him, threading their way through the huge, jade-green piles of vegetables. Under the portico, with its grey, sun-bleached pillars, loitered a troop of draggled bareheaded girls, waiting for the auction to be over. Others crowded round the swinging doors of the coffee-house in the piazza. The heavy cart-horses slipped and stamped upon the rough stones, shaking their bells and trappings. Some of the drivers were lying asleep on a pile of sacks. Iris-necked and pink-footed, the pigeons ran about picking up seeds.

Une bande de garçons portant des corbeilles de tulipes rayées, de jaunes et rouges roses, défila devant lui, à travers les monceaux de légumes d'un vert de jade. Sous le portique aux piliers grisâtres, musait une troupe de filles têtes nues attendant la fin des enchères... D'autres, s'ébattaient aux alentours des portes sans cesse ouvertes des bars de la Piazza. Les énormes chevaux de ca-mions glissaient ou frappaient du pied sur les pavés raboteux, faisant sonner leurs cloches et leurs harnais... Quelques conducteurs gisaient endormis sur des piles de sacs. Des pigeons, aux cous irisés, aux pattes rosés, voltigeaient, picorant des graines...

For a moment a hideous sense of humiliation came over the woman. Her head drooped. She wiped her eyes with shaking hands. "Sibyl has a mother," she murmured; "I had none."

Une hideuse expression d'humiliation passa sur la figure de la vieille femme. Sa tête se baissa, elle essuya ses yeux du revers de ses mains. - Sibyl a une mère, murmura-t-elle. Je n'en avais pas.

A feeling of pain crept over him as he thought of the desecration that was in store for the fair face on the canvas. Once, in boyish mockery of Narcissus, he had kissed, or feigned to kiss, those painted lips that now smiled so cruelly at him. Morning after morning he had sat before the portrait wondering at its beauty, almost enamoured of it, as it seemed to him at times. Was it to alter now with every mood to which he yielded? Was it to become a monstrous and loathsome thing, to be hidden away in a locked room, to be shut out from the sunlight that had so often touched to brighter gold the waving wonder of its hair? The pity of it! the pity of it!

Une sensation de douleur le poignit en pensant à la désagrégation que subirait sa belle face peinte sur la toile. Une fois, moquerie gamine de Narcisse, il avait baisé, ou feint de baiser ces lèvres peintes, qui, maintenant, lui souriaient si cruellement. Des jours et des jours, il s'était assis devant son portrait, s'émerveillant de sa beauté, presque énamouré d'elle comme il lui sembla maintes fois... Devait-elle s'altérer, à présent, à chaque péché auquel il céderait ? Cela deviendrait-il un monstrueux et dégoûtant objet à cacher dans quelque chambre cadenassée, loin de la lumière du soleil qui avait si souvent léché l'or éclatant de sa chevelure ondée ? Quelle dérision sans mesure !

Then came that dreadful night--was it really only last night?-- when she played so badly, and my heart almost broke. She explained it all to me. It was terribly pathetic. But I was not moved a bit. I thought her shallow. Suddenly something happened that made me afraid. I can't tell you what it was, but it was terrible. I said I would go back to her. I felt I had done wrong. And now she is dead. My God! My God! Harry, what shall I do? You don't know the danger I am in, and there is nothing to keep me straight. She would have done that for me. She had no right to kill herself. It was selfish of her."

Vint cet affreux soir - était-ce la nuit dernière ? - où elle joua si mal, et mon cœur se brisa ! Elle m'expliqua pourquoi ? Ce fut horriblement touchant ! Je ne fus pas ému : je la croyais sotte !... Quelque chose arriva soudain qui m'épouvanta ! Je ne puis vous dire ce que ce fut, mais ce fut terrible... Je voulus retourner à elle ; je sentis que je m'étais mal conduit... et maintenant elle est morte ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Harry, que dois-je faire ? Vous savez dans quel danger je suis, et rien n'est là pour m'en garder ! Elle aurait fait cela pour moi ! Elle n'avait point le droit de se tuer... Ce fut égoïste de sa part.

You came--oh, my beautiful love!-- and you freed my soul from prison. You taught me what reality really is. To-night, for the first time in my life, I saw through the hollowness, the sham, the silliness of the empty pageant in which I had always played. To- night, for the first time, I became conscious that the Romeo was hideous, and old, and painted, that the moonlight in the orchard was false, that the scenery was vulgar, and that the words I had to speak were unreal, were not my words, were not what I wanted to say. You had brought me something higher, something of which all art is but a reflection. You had made me understand what love really is. My love! My love! Prince Charming! Prince of life!

Vous vîntes, ô mon bel amour ! et vous délivrâtes mon âme emprisonnée... Vous m'avez appris ce qu'était réelle-ment la réalité ! Ce soir, pour la première fois de ma vie, je perçus le vide, la honte, la vilenie de ce que j'avais joué jusqu'alors. Ce soir, pour la première fois, j'eus la conscience que Roméo était hideux, et vieux, et grimé, que faux était le clair de lune du verger, que les décors étaient odieux, que les mots que je devais dire étaient menteurs, qu'ils n'étaient pas mes mots, que ce n'était pas ce que je devais dire !... Vous m'avez élevée dans quelque chose de plus haut, dans quelque chose dont tout l'art n'est qu'une réflexion. Vous m'avez fait comprendre ce qu'était véritablement l'amour ! Mon amour ! Mon amour ! Prince Charmant ! Prince de ma vie !

You, Mr. Gray, you yourself, with your rose-red youth and your rose-white boyhood, you have had passions that have made you afraid, thoughts that have fined you with terror, day-dreams and sleeping dreams whose mere memory might stain your cheek with shame--"

Vous, Mr Gray, vous-même avec votre jeunesse rose-rouge, et votre enfance rose-blanche, vous avez eu des passions qui vous ont effrayé, des pensées qui vous rempli de terreur, des jours de rêve et des nuits de rêve dont le simple rappel colorerait de honte vos joues...

was declaimed with the painful precision of a schoolgirl who has been taught to recite by some second- rate professor of elocution. When she leaned over the balcony and came to those wonderful lines--

fut déclamé avec la pitoyable précision d'une écolière instruite dans la récitation par un professeur de deuxième ordre. Quand elle s'inclina sur le balcon et qu'elle eut à dire les admi-rables vers :

Had he gone to his aunt's, he would have been sure to have met Lord Goodbody there, and the whole conversation would have been about the feeding of the poor and the necessity for model lodging-houses. Each class would have preached the importance of those virtues, for whose exercise there was no necessity in their own lives. The rich would have spoken on the value of thrift, and the idle grown eloquent over the dignity of labour. It was charming to have escaped all that! As he thought of his aunt, an idea seemed to strike him. He turned to Hallward and said, "My dear fellow, I have just remembered."

s'il était allé chez sa tante, il eût été sûr d'y rencontrer lord Goodbody, et la conversation entière aurait roulé sur l'entretien des pauvres, et la nécessité d'établir des maisons de secours modèles. Il aurait entendu chaque classe prêcher l'importance des différentes vertus, dont, bien entendu, l'exercice ne s'imposait point à elles-mêmes. Le riche aurait parlé sur la nécessité de l'épargne, et le fainéant éloquemment vaticiné sur la dignité du travail... Quel inappréciable bonheur d'avoir échappé à tout cela ! Soudain, comme il pensait à sa tante, une idée lui vint. Il se tourna vers Hallward... - Mon cher ami, je me souviens.

You smile? Ah! when you have lost it you won't smile. . . .People say sometimes that beauty is only superficial. That may be so, but at least it is not so superficial as thought is. To me, beauty is the wonder of wonders. It is only shallow people who do not judge by appearances. The true mystery of the world is the visible, not the invisible. . . . Yes, Mr. Gray, the gods have been good to you. But what the gods give they quickly take away. You have only a few years in which to live really, perfectly, and fully. When your youth goes, your beauty will go with it, and then you will suddenly discover that there are no triumphs left for you, or have to content yourself with those mean triumphs that the memory of your past will make more bitter than defeats. Every month as it wanes brings you nearer to something dreadful. Time is jealous of you, and wars against your lilies and your roses.

vous souriez ?... Ah ! vous ne sourirez plus quand vous l'aurez perdue... On dit parfois que la beauté n'est que superficielle, cela peut être, mais tout au moins elle est moins superficielle que la Pensée. Pour moi, la Beauté est la merveille des merveilles. Il n'y a que les gens bornés qui ne jugent pas sur l'apparence. Le vrai mystère du monde est le visible, non l'invisible... Oui, Mr Gray, les Dieux vous furent bons. Mais ce que les Dieux donnent, ils le reprennent vite. Vous n'avez que peu d'années à vivre réellement, parfaitement, pleinement ; votre beauté s'évanouira avec votre jeunesse, et vous découvrirez tout à coup qu'il n'est plus de triomphes pour vous et qu'il vous faudra vivre désormais sur ces menus triomphes que la mémoire du passé rendra plus amers que des défaites. Chaque mois vécu vous approche de quelque chose de terrible. Le temps est jaloux de vous, et guerroie contre vos lys et vos roses.

In the present case, what is it that has really happened? Some one has killed herself for love of you. I wish that I had ever had such an experience. It would have made me in love with love for the rest of my life. The people who have adored me--there have not been very many, but there have been some--have always insisted on living on, long after I had ceased to care for them, or they to care for me. They have become stout and tedious, and when I meet them, they go in at once for reminiscences. That awful memory of woman! What a fearful thing it is! And what an utter intellectual stagnation it reveals! One should absorb the colour of life, but one should never remember its details. Details are always vulgar."

« Qu'est-il réellement arrivé dans le cas qui nous occupe ? Une femme s'est tuée par amour pour vous. Je suis ravi que pareille chose ne me soit jamais arrivée ; cela m'aurait fait aimer l'amour pour le restant de mes jours. Les femmes qui m'ont adoré - elles n'ont pas été nombreuses, mais il y en a eu - ont voulu continuer, alors que depuis longtemps j'avais cessé d'y prêter attention, ou elles de faire attention à moi. Elles sont devenues grasses et assom-mantes et quand je les rencontre, elles entament le chapitre des réminiscences... Oh ! la terrible mémoire des femmes ! Quelle chose effrayante ! Quelle parfaite stagnation intellectuelle cela révèle ! On peut garder dans sa mémoire la couleur de la vie, mais on ne peut se souvenir des détails, toujours vulgaires...

You will become sallow, and hollow-cheeked, and dull- eyed. You will suffer horribly.... Ah! realize your youth while you have it. Don't squander the gold of your days, listening to the tedious, trying to improve the hopeless failure, or giving away your life to the ignorant, the common, and the vulgar. These are the sickly aims, the false ideals, of our age. Live! Live the wonderful life that is in you! Let nothing be lost upon you. Be always searching for new sensations. Be afraid of nothing. . . . A new Hedonism-- that is what our century wants. You might be its visible symbol. With your personality there is nothing you could not do. The world belongs to you for a season. . . .

« Vous blêmirez, vos joues se creuseront et vos regards se faneront. Vous souffrirez horriblement... Ah ! réalisez votre jeunesse pendant que vous l'avez !... « Ne gaspillez pas l'or de vos jours, en écoutant les sots essayant d'arrêter l'inéluctable défaite et gardez-vous de l'ignorant, du commun et du vulgaire... C'est le but maladif, l'idéal faux de notre âge. Vivez ! vivez la merveilleuse vie qui est en vous ! N'en laissez rien perdre ! Cherchez de nouvelles sensations, toujours ! Que rien ne vous effraie... Un nouvel Hédonisme, voilà ce que le siècle demande. Vous pouvez en être le tangible symbole. Il n'est rien avec votre personnalité que vous ne puissiez faire. Le monde vous appartient pour un temps !

At the Marble Arch they hailed an omnibus, which left them close to their shabby home in the Euston Road. It was after five o'clock, and Sibyl had to lie down for a couple of hours before acting. Jim insisted that she should do so. He said that he would sooner part with her when their mother was not present. She would be sure to make a scene, and he detested scenes of every kind.

À l'Arche de Marbre, ils hélèrent un omnibus qui les déposa tout près de leur misérable logis de Euston Road. Il était plus de cinq heures, et Sibyl devait dormir une heure ou deux avant de jouer. Jim insista pour qu'elle n'y manquât pas. Il voulut de suite lui faire ses adieux pendant que leur mère était absente ; car elle ferait une scène et il détestait les scènes quelles qu'elles fussent.

As the dawn was just breaking, he found himself close to Covent Garden. The darkness lifted, and, flushed with faint fires, the sky hollowed itself into a perfect pearl. Huge carts filled with nodding lilies rumbled slowly down the polished empty street. The air was heavy with the perfume of the flowers, and their beauty seemed to bring him an anodyne for his pain. He followed into the market and watched the men unloading their waggons. A white-smocked carter offered him some cherries. He thanked him, wondered why he refused to accept any money for them, and began to eat them listlessly. They had been plucked at midnight, and the coldness of the moon had entered into them.

À l'aube, il se trouva devant Covent Garden... Les ténèbres se dissipaient, et coloré de feux affaiblis, le ciel prit des teintes perlées... De lourdes charrettes remplies de lys vacillants roulèrent doucement sur les pavés des rues désertes... L'air était plein du parfum des fleurs, et leur beauté sembla apporter un réconfort à sa peine. Il entra dans un marché et observa les hommes déchargeant les voitures... Un charretier en blouse blanche lui offrit des cerises ; il le remercia, s'étonnant qu'il ne voulût accepter aucun argent, et les mangea distraitement. Elles avaient été cueillies dans la nuit ; et la fraîcheur de la lune les avaient pénétrées.

Was it all true? Had the portrait really changed? Or had it been simply his own imagination that had made him see a look of evil where there had been a look of joy? Surely a painted canvas could not alter? The thing was absurd. It would serve as a tale to tell Basil some day. It would make him smile.

Était-ce vrai ? Le portrait avait-il réellement changé ? Ou était-ce simplement un effet de sa propre imagination qui lui avait montré une expression de cruauté, là où avait été peinte une expression de joie. Sûrement, une toile peinte ne pouvait ainsi s'altérer ? Cette pensée était absurde. Ça serait un jour une bonne histoire à raconter à Basil ; elle l'amuserait.

"Basil, this is extraordinary! I must see Dorian Gray."

- Basil, cela est stupéfiant ! Il faut que je voie ce Dorian Gray !...

"Well, I will tell you what it is. I want you to explain to me why you won't exhibit Dorian Gray's picture. I want the real reason."

- Bien, je vais vous la redire. J'ai besoin que vous m'expliquiez pourquoi vous ne vou-lez pas exposer le portrait de Dorian Gray. Je désire en connaître la vraie raison.

"It is your best work, Basil, the best thing you have ever done," said Lord Henry languidly. "You must certainly send it next year to the Grosvenor. The Academy is too large and too vulgar. Whenever I have gone there, there have been either so many people that I have not been able to see the pictures, which was dreadful, or so many pictures that I have not been able to see the people, which was worse. The Grosvenor is really the only place."

- Ceci est votre meilleure œuvre, Basil, la meilleure chose que vous ayez jamais faite, dit lord Henry languissamment. Il faut l'envoyer l'année prochaine à l'exposition Grosvenor. L'Académie est trop grande et trop vulgaire. Chaque fois que j'y suis allé, il y avait là tant de monde qu'il m'a été impossible de voir les tableaux, ce qui était épouvantable, ou tant de tableaux que je n'ai pu y voir le monde, ce qui était encore plus horrible. Grosvenor est encore le seul endroit convenable...

"How English you are Basil! That is the second time you have made that observation. If one puts forward an idea to a true Englishman--always a rash thing to do--he never dreams of considering whether the idea is right or wrong. The only thing he considers of any importance is whether one believes it oneself. Now, the value of an idea has nothing whatsoever to do with the sincerity of the man who expresses it. Indeed, the probabilities are that the more insincere the man is, the more purely intellectual will the idea be, as in that case it will not be coloured by either his wants, his desires, or his prejudices. However, I don't propose to discuss politics, sociology, or metaphysics with you. I like persons better than principles, and I like persons with no principles better than anything else in the world. Tell me more about Mr. Dorian Gray. How often do you see him?"

- Comme vous êtes bien anglais Basil ! Voici la seconde fois que vous me faites cette observation. Si l'on fait part d'une idée à un véritable Anglais - ce qui est toujours une chose téméraire - il ne cherche jamais à savoir si l'idée est bonne ou mauvaise ; la seule chose à laquelle il attache quelque importance est de découvrir ce que l'on en pense soi-même. D'ailleurs la valeur d'une idée n'a rien à voir avec la sincérité de l'homme qui l'exprime. À la vérité, il y a de fortes chances pour que l'idée soit intéressante en proportion directe du carac-tère insincère du personnage, car, dans ce cas elle ne sera colorée par aucun des besoins, des désirs ou des préjugés de ce dernier. Cependant, je ne me propose pas d'aborder les questions politiques, sociologiques ou métaphysiques avec vous. J'aime mieux les personnes que leurs principes, et j'aime encore mieux les personnes sans principes que n'importe quoi au monde. Parlons encore de Mr Dorian Gray. L'avez-vous vu souvent ?

"How horribly unjust of you!" cried Lord Henry, tilting his hat back and looking up at the little clouds that, like ravelled skeins of glossy white silk, were drifting across the hollowed turquoise of the summer sky.

- Comme vous êtes injuste ! s'écria lord Henry, mettant en arrière son chapeau et re-gardant au ciel les petits nuages, qui, comme les floches d'écheveau d'une blanche soie lui-sante, fuyaient dans le bleu profond de turquoise de ce ciel d'été. «

"Dorian Gray? Is that his name?" asked Lord Henry, walking across the studio towards Basil Hallward.

- Dorian Gray ? Est-ce son nom, demanda lord Henry, en allant vers Basil Hallward.

"And how did Lady Brandon describe this wonderful young man?" asked his companion. "I know she goes in for giving a rapid precis of all her guests. I remember her bringing me up to a truculent and red-faced old gentleman covered all over with orders and ribbons, and hissing into my ear, in a tragic whisper which must have been perfectly audible to everybody in the room, the most astounding details. I simply fled. I like to find out people for myself. But Lady Brandon treats her guests exactly as an auctioneer treats his goods. She either explains them entirely away, or tells one everything about them except what one wants to know."

- Et comment lady Brandon vous parla-t-elle de ce merveilleux jeune homme, demanda l'ami. Je sais qu'elle a la marotte de donner un précis rapide de chacun de ses invités. Je me souviens qu'elle me présenta une fois à un apoplectique et truculent gentleman, couvert d'ordres et de rubans et sur lui, me souffla à l'oreille, sur un mode tragique, les plus abasour-dissants détails, qui durent être perçus de chaque personne alors dans le salon. Cela me mit en fuite ; j'aime connaître les gens par moi-même... Lady Brandon traite exactement ses invités comme un commissaire-priseur ses marchandises. Elle explique les manies et coutumes de chacun, mais oublie naturellement tout ce qui pourrait vous intéresser au personnage.

"And much less than a friend. A sort of brother, I suppose?"

- Et moins qu'un ami : Une sorte de... frère, je suppose !

"Harry!" exclaimed Hallward, frowning.

- Harry ! protesta Hallward sur un ton chagrin.

"Harry," said Basil Hallward, looking him straight in the face, "every portrait that is painted with feeling is a portrait of the artist, not of the sitter. The sitter is merely the accident, the occasion. It is not he who is revealed by the painter; it is rather the painter who, on the coloured canvas, reveals himself. The reason I will not exhibit this picture is that I am afraid that I have shown in it the secret of my own soul."

- Harry, dit Basil Hallward, le regardant droit dans les yeux, tout portrait peint com-préhensivement est un portrait de l'artiste, non du modèle. Le modèle est purement l'accident, l'occasion. Ce n'est pas lui qui est révélé par le peintre ; c'est plutôt le peintre qui, sur la toile colorée, se révèle lui-même. La raison pour laquelle je n'exhiberai pas ce portrait consiste dans la terreur que j'ai de montrer par lui le secret de mon âme !

"Harry, don't talk like that. As long as I live, the personality of Dorian Gray will dominate me. You can't feel what I feel. You change too often."

- Harry, ne parlez pas comme cela. Aussi longtemps que Dorian Gray existera, je serai dominé par sa personnalité. Vous ne pouvez sentir de la même façon que moi. Vous changez trop souvent.

"He is all my art to me now," said the painter gravely. "I sometimes think, Harry, that there are only two eras of any importance in the world's history. The first is the appearance of a new medium for art, and the second is the appearance of a new personality for art also. What the invention of oil-painting was to the Venetians, the face of Antinous was to late Greek sculpture, and the face of Dorian Gray will some day be to me. It is not merely that I paint from him, draw from him, sketch from him. Of course, I have done all that. But he is much more to me than a model or a sitter.

- Il est tout mon art, maintenant, répliqua le peintre, gravement ; je pense quelquefois, Harry, qu'il n'y a que deux ères de quelque importance dans l'histoire du monde. La première est l'apparition d'un nouveau moyen d'art, et la seconde l'avènement d'une nouvelle person-nalité artistique. Ce que la découverte de la peinture fut pour les Vénitiens, la face d'Antinoüs pour l'art grec antique, Dorian Gray me le sera quelque jour. Ce n'est pas simplement parce que je le peins, que je le dessine ou que j'en prends des esquisses ; j'ai fait tout cela d'abord. Il m'est beaucoup plus qu'un modèle.

"I hate them for it," cried Hallward. "An artist should create beautiful things, but should put nothing of his own life into them. We live in an age when men treat art as if it were meant to be a form of autobiography. We have lost the abstract sense of beauty. Some day I will show the world what it is; and for that reason the world shall never see my portrait of Dorian Gray."

- Je les hais pour cela, clama Hallward... Un artiste doit créer de belles choses, mais ne doit rien mettre de lui-même en elles. Nous vivons dans un âge où les hommes ne voient l'art que sous un aspect autobiographique. Nous avons perdu le sens abstrait de la beauté. Quelque jour je montrerai au monde ce que c'est et pour cette raison le monde ne verra jamais mon portrait de Dorian Gray.

"I hate the way you talk about your married life, Harry," said Basil Hallward, strolling towards the door that led into the garden. "I believe that you are really a very good husband, but that you are thoroughly ashamed of your own virtues. You are an extraordinary fellow. You never say a moral thing, and you never do a wrong thing. Your cynicism is simply a pose."

- Je n'aime pas cette façon de parler de votre vie conjugale, Harry, dit Basil Hallward en allant vers la porte conduisant au jardin. Je vous crois un très bon mari honteux de ses propres vertus. Vous êtes un être vraiment extraordinaire. Vous ne dites jamais une chose morale, et jamais vous ne faites une chose mauvaise. Votre cynisme est simplement une pose.

"I don't agree with a single word that you have said, and, what is more, Harry, I feel sure you don't either."

- Je n'approuve pas une seule des paroles que vous venez de prononcer, et, je sens, Harry, que vous ne les approuvez pas plus que moi.

"I don't believe that, Harry, and I don't believe you do either. However, whatever was my motive--and it may have been pride, for I used to be very proud--I certainly struggled to the door. There, of course, I stumbled against Lady Brandon. 'You are not going to run away so soon, Mr. Hallward?' she screamed out. You know her curiously shrill voice?"

- Je ne crois pas cela, Harry, et je pense que vous ne le croyez pas non plus. Cependant, quel qu'en fut alors le motif - c'était peut-être l'orgueil, car je suis très orgueilleux - je me précipitai vers la porte. Là, naturellement, je me heurtai contre lady Brandon. « Vous n'avez pas l'intention de partir si vite, Mr Hallward » s'écria-t-elle... Vous connaissez le timbre aigu de sa voix ?...

"I don't think I shall send it anywhere," he answered, tossing his head back in that odd way that used to make his friends laugh at him at Oxford.

- Je ne crois pas que j'enverrai ceci quelque part, répondit le peintre en rejetant la tête de cette singulière façon qui faisait se moquer de lui ses amis d'Oxford.

"I could not get rid of her. She brought me up to royalties, and people with stars and garters, and elderly ladies with gigantic tiaras and parrot noses. She spoke of me as her dearest friend. I had only met her once before, but she took it into her head to lionize me. I believe some picture of mine had made a great success at the time, at least had been chattered about in the penny newspapers, which is the nineteenth-century standard of immortality.

- Je ne pus me débarrasser d'elle. Elle me présenta à des Altesses, et à des personnes portant Étoiles et Jarretières, à des dames mûres, affublées de tiares gigantesques et de nez de perroquets... Elle parla de moi comme de son meilleur ami. Je l'avais seulement rencontrée une fois auparavant, mais elle s'était mise en tête de me lancer. Je crois que l'un de mes tableaux avait alors un grand succès et qu'on en parlait dans les journaux de deux sous qui sont, comme vous le savez, les étendards d'immortalité du dix-neuvième siècle.

"I think you are wrong, Basil, but I won't argue with you. It is only the intellectually lost who ever argue. Tell me, is Dorian Gray very fond of you?"

- Je pense que vous avez tort, Basil, mais je ne veux pas discuter avec vous. Je ne m'occupe que de la perte intellectuelle... Dites-moi, Dorian Gray vous aime-t-il ?...

"I should think it was, Harry. But according to your category I must be merely an acquaintance."

- Je pense que ça l'est aussi Harry. Mais m'en référant à votre manière de sélection, je dois être pour vous un simple camarade.

"I told you the real reason."

- Je vous l'ai dite.

"I will tell you," said Hallward; but an expression of perplexity came over his face.

- Je vous le dirai, répondit Hallward, la figure assombrie.

"Laughter is not at all a bad beginning for a friendship, and it is far the best ending for one," said the young lord, plucking another daisy.

- L'hilarité n'est pas du tout un mauvais commencement d'amitié, et c'est loin d'en être une mauvaise fin, dit le jeune lord en cueillant une autre marguerite.

"Conscience and cowardice are really the same things, Basil. Conscience is the trade-name of the firm. That is all."

- La conscience et la lâcheté sont réellement les mêmes choses, Basil. La conscience est le surnom de la fermeté. C'est tout.

"Days in summer, Basil, are apt to linger," murmured Lord Henry. "Perhaps you will tire sooner than he will. It is a sad thing to think of, but there is no doubt that genius lasts longer than beauty. That accounts for the fact that we all take such pains to over-educate ourselves. In the wild struggle for existence, we want to have something that endures, and so we fill our minds with rubbish and facts, in the silly hope of keeping our place. The thoroughly well-informed man--that is the modern ideal. And the mind of the thoroughly well-informed man is a dreadful thing. It is like a bric-a-brac shop, all monsters and dust, with everything priced above its proper value.

- Les jours d'été sont bien longs, souffla lord Henry... Peut-être vous fatiguerez-vous de lui plutôt qu'il ne le voudra. C'est une triste chose à penser, mais on ne saurait douter que l'esprit dure plus longtemps que la beauté. Cela explique pourquoi nous prenons tant de peine à nous instruire. Nous avons besoin, pour la lutte effrayante de la vie, de quelque chose qui demeure, et nous nous emplissons l'esprit de ruines et de faits, dans l'espérance niaise de garder notre place. L'homme bien informé : voilà le moderne idéal... Le cerveau de cet homme bien informé est une chose étonnante. C'est comme la boutique d'un bric-à-brac, où l'on trouverait des monstres et... de la poussière, et toute chose cotée au-dessus de sa réelle valeur. «

"Poets are not so scrupulous as you are. They know how useful passion is for publication. Nowadays a broken heart will run to many editions."

- Les poètes ne sont pas aussi scrupuleux que vous l'êtes ; Ils savent combien la passion utilement divulguée aide à la vente. Aujourd'hui un cœur brisé se tire à plusieurs éditions.

"My dear fellow, I am not quite serious. But I can't help detesting my relations. I suppose it comes from the fact that none of us can stand other people having the same faults as ourselves. I quite sympathize with the rage of the English democracy against what they call the vices of the upper orders. The masses feel that drunkenness, stupidity, and immorality should be their own special property, and that if any one of us makes an ass of himself, he is poaching on their preserves. When poor Southwark got into the divorce court, their indignation was quite magnificent. And yet I don't suppose that ten per cent of the proletariat live correctly."

- Mon bon, je ne suis pas tout à fait sérieux. Mais je ne puis m'empêcher de détester mes parents ; je suppose que cela vient de ce que chacun de nous ne peut supporter de voir d'autres personnes ayant les mêmes défauts que soi-même. Je sympathise tout à fait avec la démocratie anglaise dans sa rage contre ce qu'elle appelle les vices du grand monde. La masse sent que l'ivrognerie, la stupidité et l'immoralité sont sa propriété, et si quelqu'un d'entre nous assume l'un de ces défauts, il paraît braconner sur ses chasses... Quand ce pauvre Southwark vint devant la « Cour du Divorce » l'indignation de cette même masse fut absolument magnifique, et je suis parfaitement convaincu que le dixième du peuple ne vit pas comme il conviendrait.

"My dear fellow, she tried to found a salon, and only succeeded in opening a restaurant. How could I admire her? But tell me, what did she say about Mr. Dorian Gray?"

- Mon cher ami, elle essaya de fonder un salon et elle ne réussit qu'à ouvrir un restau-rant. Comment pourrais-je l'admirer ?... Mais, dites-moi, que vous confia-t-elle sur Mr Dorian Gray ?

"No, you did not. You said it was because there was too much of yourself in it. Now, that is childish."

- Non pas. Vous m'avez dit que c'était parce qu'il y avait beaucoup trop de vous-même dans ce portrait. Cela est enfantin...

"Oh, there is really very little to tell, Harry," answered the painter; "and I am afraid you will hardly understand it. Perhaps you will hardly believe it."

- Oh ! c'est vraiment peu de chose, Harry, repartit le peintre et je crois bien que vous ne le comprendrez point. Peut-être à peine le croirez-vous...

"Oh, I can't explain. When I like people immensely, I never tell their names to any one. It is like surrendering a part of them. I have grown to love secrecy. It seems to be the one thing that can make modern life mysterious or marvellous to us. The commonest thing is delightful if one only hides it. When I leave town now I never tell my people where I am going. If I did, I would lose all my pleasure. It is a silly habit, I dare say, but somehow it seems to bring a great deal of romance into one's life. I suppose you think me awfully foolish about it?"

- Oh ! je ne puis vous l'expliquer. Quand j'aime quelqu'un intensément, je ne dis son nom à personne. C'est presque une trahison. J'ai appris à aimer le secret. Il me semble que c'est la seule chose qui puisse nous faire la vie moderne mystérieuse ou merveilleuse. La plus commune des choses nous paraît exquise si quelqu'un nous la cache. Quand je quitte cette ville, je ne dis à personne où je vais : en le faisant, je perdrais tout mon plaisir. C'est une mauvaise habitude, je l'avoue, mais en quelque sorte, elle apporte dans la vie une part de romanesque... Je suis sûr que vous devez me croire fou à m'entendre parler ainsi ?...

"Oh, something like, 'Charming boy--poor dear mother and I absolutely inseparable. Quite forget what he does--afraid he-- doesn't do anything--oh, yes, plays the piano--or is it the violin, dear Mr. Gray?' Neither of us could help laughing, and we became friends at once."

- Oh ! quelque chose de très vague dans ce genre : « Charmant garçon ! Sa pauvre chère mère et moi, étions inséparables. Tout à fait oublié ce qu'il fait, ou plutôt, je crains... qu'il ne fasse rien ! Ah ! si, il joue du piano... Ne serait-ce pas plutôt du violon, mon cher Mr Gray ? » Nous ne pûmes tous deux nous empêcher de rire et du coup nous devînmes amis.

"Yes, that is his name. I didn't intend to tell it to you."

- Oui, c'est son nom. Je n'avais pas l'intention de vous le dire.

"Yes; she is a peacock in everything but beauty," said Lord Henry, pulling the daisy to bits with his long nervous fingers.

- Oui, elle me fait l'effet d'être un paon en toutes choses, excepté en beauté, dit lord Henry, effeuillant la marguerite de ses longs doigts nerveux...

"Because, without intending it, I have put into it some expression of all this curious artistic idolatry, of which, of course, I have never cared to speak to him. He knows nothing about it. He shall never know anything about it. But the world might guess it, and I will not bare my soul to their shallow prying eyes. My heart shall never be put under their microscope. There is too much of myself in the thing, Harry--too much of myself!"

- Parce que, sans le vouloir, j'ai mis dans cela quelque expression de toute cette étrange idolâtrie artistique dont je ne lui ai jamais parlé. Il n'en sait rien ; il l'ignorera toujours. Mais le monde peut la deviner, et je ne veux découvrir mon âme aux bas regards quêteurs ; mon cœur ne sera jamais mis sous un microscope... Il y a trop de moi-même dans cette chose, Harry, trop de moi-même !...

"Not at all," answered Lord Henry, "not at all, my dear Basil. You seem to forget that I am married, and the one charm of marriage is that it makes a life of deception absolutely necessary for both parties. I never know where my wife is, and my wife never knows what I am doing. When we meet--we do meet occasionally, when we dine out together, or go down to the Duke's--we tell each other the most absurd stories with the most serious faces. My wife is very good at it--much better, in fact, than I am. She never gets confused over her dates, and I always do. But when she does find me out, she makes no row at all. I sometimes wish she would; but she merely laughs at me."

- Pas du tout, répondit lord Henry, pas du tout, mon cher Basil. Vous semblez oublier que je suis marié et que le seul charme du mariage est qu'il fait une vie de déception absolu-ment nécessaire aux deux parties. Je ne sais jamais où est ma femme, et ma femme ne sait jamais ce que je fais. Quand nous nous rencontrons - et nous nous rencontrons, de temps à autre, quand nous dînons ensemble dehors, ou que nous allons chez le duc - nous nous con-tons les plus absurdes histoires de l'air le plus sérieux du monde. Dans cet ordre d'idées, ma femme m'est supérieure. Elle n'est jamais embarrassée pour les dates, et je le suis toujours ; quand elle s'en rend compte, elle ne me fait point de scène ; parfois je désirerais qu'elle m'en fît ; mais elle se contente de me rire au nez.

"Poor Lady Brandon! You are hard on her, Harry!" said Hallward listlessly.

- Pauvre lady Brandon ! Vous êtes dur pour elle, observa nonchalamment Hallward.

"What is that?" said the painter, keeping his eyes fixed on the ground.

- Quelle question ? dit le peintre, restant les yeux fixés à terre.

"Too much of yourself in it! Upon my word, Basil, I didn't know you were so vain; and I really can't see any resemblance between you, with your rugged strong face and your coal-black hair, and this young Adonis, who looks as if he was made out of ivory and rose-leaves. Why, my dear Basil, he is a Narcissus, and you-- well, of course you have an intellectual expression and all that. But beauty, real beauty, ends where an intellectual expression begins. Intellect is in itself a mode of exaggeration, and destroys the harmony of any face. The moment one sits down to think, one becomes all nose, or all forehead, or something horrid. Look at the successful men in any of the learned professions. How perfectly hideous they are! Except, of course, in the Church. But then in the Church they don't think. A bishop keeps on saying at the age of eighty what he was told to say when he was a boy of eighteen, and as a natural consequence he always looks absolutely delightful.

- Trop de vous-même !... Sur ma parole, Basil, je ne vous savais pas si vain ; je ne vois vraiment pas de ressemblance entre vous, avec votre rude et forte figure, votre chevelure noire comme du charbon et ce jeune Adonis qui a l'air fait d'ivoire et de feuilles de roses. Car, mon cher, c'est Narcisse lui-même, tandis que vous !... Il est évident que votre face respire l'intelligence et le reste... Mais la beauté, la réelle beauté finit où commence l'expression intellectuelle. L'intellectualité est en elle-même un mode d'exagération, et détruit l'harmonie de n'importe quelle face. Au moment où l'on s'assoit pour penser, on devient tout nez, ou tout front, ou quelque chose d'horrible. Voyez les hommes ayant réussi dans une profession sa-vante, combien ils sont parfaitement hideux ! Excepté, naturellement, dans l'Église. Mais dans l'Église, ils ne pensent point. Un évêque dit à l'âge de quatre-vingts ans ce qu'on lui apprit à dire à dix-huit et la conséquence naturelle en est qu'il a toujours l'air charmant.

"Oh, brothers! I don't care for brothers. My elder brother won't die, and my younger brothers seem never to do anything else."

- Un frère !... Je me moque pas mal des frères !... Mon frère aîné ne veut pas mourir, et mes plus jeunes semblent vouloir l'imiter.

"The story is simply this," said the painter after some time. "Two months ago I went to a crush at Lady Brandon's. You know we poor artists have to show ourselves in society from time to time, just to remind the public that we are not savages. With an evening coat and a white tie, as you told me once, anybody, even a stock-broker, can gain a reputation for being civilized.

- Voici l'histoire, dit le peintre après un temps. Il y a deux mois, j'allais en soirée chez Lady Brandon. Vous savez que nous autres, pauvres artistes, nous avons à nous montrer dans le monde de temps à autre, juste assez pour prouver que nous ne sommes pas des sauvages. Avec un habit et une cravate blanche, tout le monde, même un agent de change, peut en arri-ver à avoir la réputation d'un être civilisé.

"How extraordinary! I thought you would never care for anything but your art."

- Vraiment curieux ! Je pensais que vous ne vous souciez d'autre chose que de votre art...

"Being natural is simply a pose, and the most irritating pose I know," cried Lord Henry, laughing; and the two young men went out into the garden together and ensconced themselves on a long bamboo seat that stood in the shade of a tall laurel bush. The sunlight slipped over the polished leaves. In the grass, white daisies were tremulous.

- Être naturel est aussi une pose, et la plus irritante que je connaisse, s'exclama en riant lord Henry. Les deux jeunes gens s'en allèrent ensemble dans le jardin et s'assirent sur un long siège de bambou posé à l'ombre d'un buisson de lauriers. Le soleil glissait sur les feuilles polies ; de blanches marguerites tremblaient sur le gazon.

Then--but I don't know how to explain it to you. Something seemed to tell me that I was on the verge of a terrible crisis in my life. I had a strange feeling that fate had in store for me exquisite joys and exquisite sorrows. I grew afraid and turned to quit the room. It was not conscience that made me do so: it was a sort of cowardice. I take no credit to myself for trying to escape."

Alors... mais je ne sais comment vous expliquer ceci... Quelque chose semblait me dire que ma vie allait traverser une crise terrible. J'eus l'étrange sensation que le destin me réservait d'exquises joies et des chagrins exquis. Je m'effrayai et me disposai à quitter le salon. Ce n'est pas ma conscience qui me faisait agir ainsi, il y avait une sorte de lâcheté dans mon action. Je ne vis point d'autre issue pour m'échapper.

After a pause, Lord Henry pulled out his watch. "I am afraid I must be going, Basil," he murmured, "and before I go, I insist on your answering a question I put to you some time ago."

Après un silence, lord Henry tira sa montre. - Je dois m'en aller, Basil, murmura-t-il, mais avant de partir, j'aimerais avoir une ré-ponse à la question que je vous ai posée tout à l'heure.

In the centre of the room, clamped to an upright easel, stood the full-length portrait of a young man of extraordinary personal beauty, and in front of it, some little distance away, was sitting the artist himself, Basil Hallward, whose sudden disappearance some years ago caused, at the time, such public excitement and gave rise to so many strange conjectures.

Au milieu de la chambre sur un chevalet droit, s'érigeait le portrait grandeur naturelle d'un jeune homme d'une extraordinaire beauté, et en face, était assis, un peu plus loin, le peintre lui-même, Basil Hallward, dont la disparition soudaine quelques années auparavant, avait causé un grand émoi public et donné naissance à tant de conjectures.

It is the spectator, and not life, that art really mirrors.

C'est le spectateur, et non la vie, que l'Art reflète réellement.

They are the elect to whom beautiful things mean only beauty.

Ce sont les élus pour qui les belles choses signifient simplement la Beauté.

I won't tell you that I am dissatisfied with what I have done of him, or that his beauty is such that art cannot express it. There is nothing that art cannot express, and I know that the work I have done, since I met Dorian Gray, is good work, is the best work of my life. But in some curious way--I wonder will you understand me?--his personality has suggested to me an entirely new manner in art, an entirely new mode of style. I see things differently, I think of them differently. I can now recreate life in a way that was hidden from me before. 'A dream of form in days of thought'--who is it who says that? I forget; but it is what Dorian Gray has been to me. The merely visible presence of this lad--for he seems to me little more than a lad, though he is really over twenty-- his merely visible presence--ah! I wonder can you realize all that that means? Unconsciously he defines for me the lines of a fresh school, a school that is to have in it all the passion of the romantic spirit, all the perfection of the spirit that is Greek. The harmony of soul and body-- how much that is! We in our madness have separated the two, and have invented a realism that is vulgar, an ideality that is void. Harry! if you only knew what Dorian Gray is to me! You remember that landscape of mine, for which Agnew offered me such a huge price but which I would not part with? It is one of the best things I have ever done. And why is it so? Because, while I was painting it, Dorian Gray sat beside me. Some subtle influence passed from him to me, and for the first time in my life I saw in the plain woodland the wonder I had always looked for and always missed."

Cela ne veut point dire que je sois peu satisfait de ce que j'ai fait d'après lui ou que sa beauté soit telle que l'Art ne la puisse rendre. Il n'est rien que l'Art ne puisse rendre, et je sais fort bien que l'œuvre que j'ai faite depuis ma rencontre avec Dorian Gray est une belle œuvre, la meilleure de ma vie. Mais, d'une manière indécise et curieuse - je m'étonnerais que vous puissiez me comprendre - sa personne m'a suggéré une manière d'art entièrement nouvelle, un mode d'expression entièrement nouveau. Je vois les choses différemment ; je les pense différemment. Je puis maintenant vivre une existence qui m'était cachée auparavant. « Une forme rêvée en des jours de pensée » qui a dit cela ? Je ne m'en souviens plus ; mais c'est exactement ce que Dorian Gray m'a été. La simple présence visible de cet adolescent - car il ne me semble guère qu'un adolescent, bien qu'il ait plus de vingt ans - la simple présence visible de cet adolescent !... Ah ! je m'étonnerais que vous puissiez vous rendre compte de ce que cela signifie ! Inconsciemment, il définit pour moi les lignes d'une école nouvelle, d'une école qui unirait la passion de l'esprit romantique à la perfection de l'esprit grec. L'harmonie du corps et de l'âme, quel rêve !... Nous, dans notre aveuglement, nous avons séparé ces deux choses et avons inventé un réalisme qui est vulgaire, une idéalité qui est vide ! Harry ! Ah ! si vous pouviez savoir ce que m'est Dorian Gray !... Vous vous souvenez de ce paysage, pour lequel Agnew m'offrit une somme si considérable, mais dont je ne voulus me séparer. C'est une des meilleures choses que j'aie jamais faites. Et savez-vous pourquoi ? Parce que, tandis que je le peignais, Dorian Gray était assis à côté de moi. Quelque subtile influence passa de lui en moi-même, et pour la première fois de ma vie, je surpris dans le paysage ce je ne sais quoi que j'avais toujours cherché... et toujours manqué.

Those who go beneath the surface do so at their peril.

Ceux qui cherchent sous la surface le font à leurs risques et périls.

Those who find ugly meanings in beautiful things are corrupt without being charming. This is a fault. Those who find beautiful meanings in beautiful things are the cultivated. For these there is hope.

Ceux qui trouvent de laides intentions en de belles choses sont corrompus sans être sé-duisants. Et c'est une faute. Ceux qui trouvent de belles intentions dans les belles choses sont les cultivés. Il reste à ceux-ci l'espérance.

As the painter looked at the gracious and comely form he had so skilfully mirrored in his art, a smile of pleasure passed across his face, and seemed about to linger there. But he suddenly started up, and closing his eyes, placed his fingers upon the lids, as though he sought to imprison within his brain some curious dream from which he feared he might awake.

Comme le peintre regardait la gracieuse et charmante figure que son art avait si subti-lement reproduite, un sourire de plaisir passa sur sa face et parut s'y attarder. Mais il tressaillit soudain, et fermant les yeux, mit les doigts sur ses paupières comme s'il eût voulu emprisonner dans son cerveau quelque étrange rêve dont il eût craint de se réveiller.

From the corner of the divan of Persian saddle-bags on which he was lying, smoking, as was his custom, innumerable cigarettes, Lord Henry Wotton could just catch the gleam of the honey-sweet and honey- coloured blossoms of a laburnum, whose tremulous branches seemed hardly able to bear the burden of a beauty so flamelike as theirs; and now and then the fantastic shadows of birds in flight flitted across the long tussore-silk curtains that were stretched in front of the huge window, producing a kind of momentary Japanese effect, and making him think of those pallid, jade-faced painters of Tokio who, through the medium of an art that is necessarily immobile, seek to convey the sense of swiftness and motion.

D'un coin du divan fait de sacs persans sur lequel il était étendu, fumant, selon sa cou-tume, d'innombrables cigarettes, lord Henry Wotton pouvait tout juste apercevoir le rayon-nement des douces fleurs couleur de miel d'un aubour dont les tremblantes branches sem-blaient à peine pouvoir supporter le poids d'une aussi flamboyante splendeur ; et de temps à autre, les ombres fantastiques des oiseaux fuyants passaient sur les longs rideaux de tussor tendus devant la large fenêtre, produisant une sorte d'effet japonais momentané, le faisant penser à ces peintres de Tokyo à la figure de jade pallide, qui, par le moyen d'un art nécessai-rement immobile, tentent d'exprimer le sens de la vitesse et du mouvement.

Hallward got up from the seat and walked up and down the garden. After some time he came back. "Harry," he said, "Dorian Gray is to me simply a motive in art. You might see nothing in him. I see everything in him. He is never more present in my work than when no image of him is there. He is a suggestion, as I have said, of a new manner. I find him in the curves of certain lines, in the loveliness and subtleties of certain colours. That is all."

Hallward se leva de son siège et marcha de long en large dans le jardin... Il revint un instant après... - Harry, dit-il, Dorian Gray m'est simplement un motif d'art ; vous, vous ne verriez rien en lui ; moi, j'y vois tout. Il n'est jamais plus présent dans ma pensée que quand je ne vois rien de lui me le rappelant. Il est une suggestion comme je vous l'ai dit, d'une nouvelle manière. Je le trouve dans les courbes de certaines lignes, dans l'adorable et le subtil de certaines nuances. C'est tout.

Hallward shook his head. "You don't understand what friendship is, Harry," he murmured--"or what enmity is, for that matter. You like every one; that is to say, you are indifferent to every one."

Hallward secoua la tête... - Vous ne pouvez comprendre, Harry, murmura-t-il, quelle sorte d'amitié ou quelle sorte de haine cela peut devenir, dans ce cas particulier. Vous n'aimez personne, ou, si vous le préférez, personne ne vous intéresse.

Well, after I had been in the room about ten minutes, talking to huge overdressed dowagers and tedious academicians, I suddenly became conscious that some one was looking at me. I turned half-way round and saw Dorian Gray for the first time. When our eyes met, I felt that I was growing pale. A curious sensation of terror came over me. I knew that I had come face to face with some one whose mere personality was so fascinating that, if I allowed it to do so, it would absorb my whole nature, my whole soul, my very art itself. I did not want any external influence in my life. You know yourself, Harry, how independent I am by nature. I have always been my own master; had at least always been so, till I met Dorian Gray.

J'étais donc dans le salon depuis une dizaine de minutes, causant avec des douairières lourdement parées ou de fastidieux académiciens, quand soudain je perçus obscurément que quelqu'un m'observait. Je me tournai à demi et pour la première loi, je vis Dorian Gray. Nos yeux se rencontrèrent et je me sentis pâlir. Une singulière terreur me poignit... Je compris que j'étais en face de quelqu'un dont la simple personnalité était si fascinante que, si je me laissais faire, elle m'absorberait en entier, moi, ma nature, mon âme et mon talent même. Je ne veux aucune ingérence extérieure dans mon existence. Vous savez, Harry, combien ma vie est indépendante. J'ai toujours été mon maître, je l'avais, tout au moins toujours été, jusqu'au jour de ma rencontre avec Dorian Gray.

I think you will tire first, all the same. Some day you will look at your friend, and he will seem to you to be a little out of drawing, or you won't like his tone of colour, or something. You will bitterly reproach him in your own heart, and seriously think that he has behaved very badly to you. The next time he calls, you will be perfectly cold and indifferent. It will be a great pity, for it will alter you. What you have told me is quite a romance, a romance of art one might call it, and the worst of having a romance of any kind is that it leaves one so unromantic."

Je pense que vous vous fatiguerez le premier, tout de même... Quelque jour, vous re-garderez votre ami et il vous semblera que « ça n'est plus ça » ; vous n'aimerez plus son teint, ou toute autre chose... Vous le lui reprocherez au fond de vous-même et finirez par penser qu'il s'est mal conduit envers vous. Le jour suivant, vous serez parfaitement calme et indiffé-rent. C'est regrettable, car cela vous changera... Ce que vous m'avez dit est tout à fait un roman, un roman d'art, l'appellerai-je, et le désolant de cette manière de roman est qu'il vous laisse un souvenir peu romanesque...

All art is quite useless.

L'Art est tout à fait inutile.

No artist has ethical sympathies. An ethical sympathy in an artist is an unpardonable mannerism of style.

L'artiste n'a point de sympathies éthiques. Une sympathie morale dans un artiste amène un maniérisme impardonnable du style.

No artist is ever morbid. The artist can express everything.

L'artiste n'est jamais pris au dépourvu. Il peut exprimer toute chose.

The studio was filled with the rich odour of roses, and when the light summer wind stirred amidst the trees of the garden, there came through the open door the heavy scent of the lilac, or the more delicate perfume of the pink-flowering thorn.

L'atelier était plein de l'odeur puissante des roses, et quand une légère brise d'été souf-fla parmi les arbres du jardin, il vint par la porte ouverte, la senteur lourde des lilas et le parfum plus subtil des églantiers.

The moral life of man forms part of the subject-matter of the artist, but the morality of art consists in the perfect use of an imperfect medium. No artist desires to prove anything. Even things that are true can be proved.

La vie morale de l'homme forme une part du sujet de l'artiste, mais la moralité de l'art consiste dans l'usage parfait d'un moyen imparfait. L'artiste ne désire prouver quoi que ce soit. Même les choses vraies peuvent être prou-vées.

The critic is he who can translate into another manner or a new material his impression of beautiful things. The highest as the lowest form of criticism is a mode of autobiography.

Le critique est celui qui peut traduire dans une autre manière ou avec de nouveaux pro-cédés l'impression que lui laissèrent de belles choses. L'autobiographie est à la fois la plus haute et la plus basse des formes de la critique.

The nineteenth century dislike of romanticism is the rage of Caliban not seeing his own face in a glass.

Le dédain du XIXe siècle pour le Romantisme est semblable à la rage de Caliban n'apercevant pas sa face dans un miroir.

The nineteenth century dislike of realism is the rage of Caliban seeing his own face in a glass.

Le dédain du XIXe siècle pour le réalisme est tout pareil à la rage de Caliban aperce-vant sa face dans un miroir.

The sullen murmur of the bees shouldering their way through the long unmown grass, or circling with monotonous insistence round the dusty gilt horns of the straggling woodbine, seemed to make the stillness more oppressive. The dim roar of London was like the bourdon note of a distant organ.

Le murmure monotone des abeilles cherchant leur chemin dans les longues herbes non fauchées ou volti-geant autour des poudreuses baies dorées d'un chèvrefeuille isolé, faisait plus oppressant encore ce grand calme. Le sourd grondement de Londres semblait comme la note bourdon-nante d'un orgue éloigné.

The painter considered for a few moments. "He likes me," he answered after a pause; "I know he likes me. Of course I flatter him dreadfully. I find a strange pleasure in saying things to him that I know I shall be sorry for having said. As a rule, he is charming to me, and we sit in the studio and talk of a thousand things. Now and then, however, he is horribly thoughtless, and seems to take a real delight in giving me pain. Then I feel, Harry, that I have given away my whole soul to some one who treats it as if it were a flower to put in his coat, a bit of decoration to charm his vanity, an ornament for a summer's day."

Le peintre sembla réfléchir quelques instants. - Il m'aime, répondit-il après une pause, je sais qu'il m'aime... Je le flatte beaucoup, cela se comprend. Je trouve un étrange plaisir à lui dire des choses que certes je serais désolé d'avoir dites. D'ordinaire, il est tout à fait charmant avec moi, et nous passons des journées dans l'atelier à parler de mille choses. De temps à autre, il est horriblement étourdi et semble trouver un réel plaisir à me faire de la peine. Je sens, Harry, que j'ai donné mon âme entière à un être qui la traite comme une fleur à mettre à son habit, comme un bout de ruban pour sa vanité, comme la parure d'un jour d'été...

The Picture of Dorian Gray

Le portrait de Dorian Gray

The wind shook some blossoms from the trees, and the heavy lilac-blooms, with their clustering stars, moved to and fro in the languid air. A grasshopper began to chirrup by the wall, and like a blue thread a long thin dragon-fly floated past on its brown gauze wings. Lord Henry felt as if he could hear Basil Hallward's heart beating, and wondered what was coming.

Le vent détacha quelques fleurs des arbustes et les lourdes grappes de lilas se balancè-rent dans l'air languide. Une cigale stridula près du mur, et, comme un fil bleu, passa une longue et mince libellule dont on entendit frémir les brunes ailes de gaze. Lord Henry restait silencieux comme s'il avait voulu percevoir les battements du cœur de Basil Hallward, se demandant ce qui allait se passer.

Vice and virtue are to the artist materials for an art. From the point of view of form, the type of all the arts is the art of the musician. From the point of view of feeling, the actor's craft is the type.

Le vice et la vertu en sont les matériaux. Au point de vue de la forme, le type de tous les arts est la musique. Au point de vue de la sensation, c'est le métier de comédien.

Diversity of opinion about a work of art shows that the work is new, complex, and vital. When critics disagree, the artist is in accord with himself.

Les diversités d'opinion sur une œuvre d'art montrent que cette œuvre est nouvelle, complexe et viable. Alors que les critiques diffèrent, l'artiste est en accord avec lui-même.

Lord Henry stroked his pointed brown beard and tapped the toe of his patent-leather boot with a tasselled ebony cane.

Lord Henry caressa sa longue barbe brune taillée en pointe, et tapotant avec sa canne d'ébène ornée de glands sa bottine de cuir fin :

Lord Henry elevated his eyebrows and looked at him in amazement through the thin blue wreaths of smoke that curled up in such fanciful whorls from his heavy, opium-tainted cigarette. "Not send it anywhere? My dear fellow, why? Have you any reason? What odd chaps you painters are! You do anything in the world to gain a reputation. As soon as you have one, you seem to want to throw it away. It is silly of you, for there is only one thing in the world worse than being talked about, and that is not being talked about. A portrait like this would set you far above all the young men in England, and make the old men quite jealous, if old men are ever capable of any emotion."

Lord Henry leva les yeux, le regardant avec étonnement à travers les minces spirales de fumée bleue qui s'entrelaçaient fantaisistement au bout de sa cigarette opiacée. - Vous n'enverrez cela nulle part ? Et pourquoi mon cher ami ? Quelle raison donnez-vous ? Quels singuliers bonshommes vous êtes, vous autres peintres ? Vous remuez le monde pour acquérir de la réputation ; aussitôt que vous l'avez, vous semblez vouloir vous en débar-rasser. C'est ridicule de votre part, car s'il n'y a qu'une chose au monde pire que la renommée, c'est de n'en pas avoir. Un portrait comme celui-ci vous mettrait au-dessus de tous les jeunes gens de l'Angleterre, et rendrait les vieux jaloux, si les vieux pouvaient encore ressentir quelque émotion.

Lord Henry stretched himself out on the divan and laughed.

Lord Henry s'étendit sur le divan en riant...

Lord Henry laughed. "And what is that?" he asked.

Lord Henry se mit à rire... - Et quel est-il ?

Lord Henry smiled, and leaning down, plucked a pink-petalled daisy from the grass and examined it. "I am quite sure I shall understand it," he replied, gazing intently at the little golden, white-feathered disk, "and as for believing things, I can believe anything, provided that it is quite incredible."

Lord Henry sourit ; se baissant, il cueillit dans le gazon une marguerite aux pétales rosés et l'examinant : - Je suis tout à fait sûr que je comprendrai cela, dit-il, en regardant attentivement le pe-tit disque doré, aux pétales blancs, et quant à croire aux choses, je les crois toutes, pourvu qu'elles soient incroyables.

"No, I won't send it anywhere."

Non, je n'enverrai ceci nulle part.

We can forgive a man for making a useful thing as long as he does not admire it. The only excuse for making a useless thing is that one admires it intensely.

Nous pouvons pardonner à un homme d'avoir fait une chose utile aussi longtemps qu'il ne l'admire pas. La seule excuse d'avoir fait une chose inutile est de l'admirer intensément.

"Yes; horribly unjust of you. I make a great difference between people. I choose my friends for their good looks, my acquaintances for their good characters, and my enemies for their good intellects. A man cannot be too careful in the choice of his enemies. I have not got one who is a fool. They are all men of some intellectual power, and consequently they all appreciate me. Is that very vain of me? I think it is rather vain."

Oui, horriblement injuste !... J'établis une grande différence entre les gens. Je choisis mes amis pour leur bonne mine, mes simples camarades pour leur caractère, et mes ennemis pour leur intelligence ; un homme ne saurait trop attacher d'importance au choix de ses en-nemis ; je n'en ai point un seul qui soit un sot ; ce sont tous hommes d'une certaine puissance intellectuelle et, par conséquent, ils m'apprécient. Est-ce très vain de ma part d'agir ainsi ! Je crois que c'est plutôt... vain.

Thought and language are to the artist instruments of an art.

Pour l'artiste, la pensée et le langage sont les instruments d'un art.

To reveal art and conceal the artist is art's aim.

Révéler l'Art en cachant l'artiste, tel est le but de l'Art.

Suddenly I found myself face to face with the young man whose personality had so strangely stirred me. We were quite close, almost touching. Our eyes met again. It was reckless of me, but I asked Lady Brandon to introduce me to him. Perhaps it was not so reckless, after all. It was simply inevitable. We would have spoken to each other without any introduction. I am sure of that. Dorian told me so afterwards. He, too, felt that we were destined to know each other."

Soudain, je me trouvai face à face avec le jeune homme dont la personnalité m'avait si singulièrement intrigué ; nous nous touchions presque ; de nouveau nos regards se rencontrèrent. Ce fut indépendant de ma volonté, mais je demandai à Lady Brandon de nous présenter l'un à l'autre. Peut-être après tout, n'était-ce pas si téméraire, mais simplement inévitable. Il est certain que nous nous serions parlé sans présentation préalable ; j'en suis sûr pour ma part, et Dorian plus tard me dit la même chose ; il avait senti, lui aussi, que nous étions destinés à nous connaître.

All art is at once surface and symbol.

Tout art est à la fois surface et symbole.

The artist is the creator of beautiful things.

Un artiste est un créateur de belles choses.

There is no such thing as a moral or an immoral book. Books are well written, or badly written. That is all.

Un livre n'est point moral ou immoral. Il est bien ou mal écrit. C'est tout.

Your mysterious young friend, whose name you have never told me, but whose picture really fascinates me, never thinks. I feel quite sure of that. He is some brainless beautiful creature who should be always here in winter when we have no flowers to look at, and always here in summer when we want something to chill our intelligence. Don't flatter yourself, Basil: you are not in the least like him."

Votre mystérieux jeune ami dont vous ne m'avez jamais dit le nom, mais dont le portrait me fascine réellement, n'a jamais pensé. Je suis sûr de cela. C'est une admirable créature sans cervelle qui pourrait toujours ici nous remplacer en hiver les fleurs absentes, et nous rafraîchir l'intelligence en été. Ne vous flattez pas, Basil : vous ne lui ressemblez pas le moins du monde.


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